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Un père a fait appel au TAQ après que le ministère eut refusé, dans une décision en révision rendue en avril dernier, de lui accorder les cinq semaines de prestations de paternité prévues à la Loi sur l’assurance parentale (LAP).

Dans sa décision, le ministère arguait notamment qu’aucune semaine ne pouvait lui être accordée puisque le nombre maximum de semaines de prestations de paternité prévu à la LAP avait déjà été utilisé par l’autre parent.

Pour la petite histoire, le demandeur n’a pas adopté son enfant, conçu dans le contexte d’un contrat de gestation conclu dans un État américain (à noter qu’au Québec, de tels contrats sont nuls, mais pas illégaux si la mère porteuse n’est pas rémunérée).

Il n’est pas contesté que le demandeur est légalement le père de l’enfant, mentionne le TAQ dans sa décision rendue le mois dernier. Son conjoint et lui apparaissent d’ailleurs comme pères de l’enfant dans l’acte de naissance de celui-ci, inscrit au registre de l’état civil du Québec.

Le demandeur a obtenu 20 semaines de prestations parentales, mais s’est vu refuser la prestation de paternité pour des motifs qui ne tiennent pas la route, selon le TAQ.

Devant le Tribunal, le ministère a plaidé que lorsque le législateur veut qu’une même prestation soit accessible à chacun des parents, il le dit expressément.

«Ainsi, l’interprétation de l’article 9 de la LAP [qui stipule simplement que le nombre maximal de semaines de prestations de paternité est de cinq] irait dans le sens que les cinq semaines de prestations de paternité ne peuvent être versées en double, soit cinq semaines pour chacun des pères», résume le TAQ, reprenant la position du ministère.

Le ministère a aussi plaidé que cette interprétation de l’article 9 était cohérente avec l’état actuel de la législation au Québec, puisque le Code civil ne reconnaît pas de filiations aux parents qui optent pour la gestation pour autrui.

Incohérences

Un argument non valable, selon le TAQ, qui n’a pas manqué de soulever les incohérences d’une telle position.

Si la portée de l’article 541 du Code civil (qui stipule que toute convention par laquelle une femme s’engage à procréer ou à porter un enfant pour le compte d’autrui est nulle de nullité absolue) était aussi large que ce que suggère le ministère, aucun des pères n’aurait obtenu de prestation de paternité, analyse le TAQ.

Or, dans les faits, le ministère a accordé cette prestation au conjoint du demandeur, pour cinq semaines, rappelle respectueusement le juge administratif Jean-Marc Dufour.

Deuxièmement, si l’intention du législateur de ne pas vouloir accorder de prestations de paternité pour chacun des pères est en partie liée à l’article 541 du Code civil, «il est difficile de comprendre par quelle logique il lui accorde des semaines de prestations parentales», expose le juge Dufour.

Enfin, malgré l’article 541 du Code civil, le Directeur de l’état civil a inséré dans ses registres l’acte de naissance délivré par l’État américain où est né l’enfant, note encore le TAQ.

«En somme […], l’enfant a officiellement deux pères, comme cela est possible au Québec depuis 2002», résume le Tribunal, pour qui la référence à l’article 541 du Code civil n’apporte «rien d’utile» dans le débat.

Une décision injuste

Le TAQ rejette aussi l’argument du ministère voulant que le requérant n’ait pas droit à des prestations de paternité sous prétexte que le nombre maximal de semaines de ces prestations a déjà été accordé à son conjoint.

Pour tous les parents qui adoptent, la LAP est sans ambiguïté : chacun a droit à cinq semaines de prestations exclusives à 70 %, auxquelles s’ajoutent 32 semaines de prestations partageables, rappelle le Tribunal.

Suivant le raisonnement du ministère, le fait de ne pas passer par l’adoption aurait un impact négatif qui correspond à cinq semaines de prestations, à 70 %, observe-t-il.

Pour le TAQ, il est difficile de comprendre pourquoi le législateur serait plus restrictif envers les familles qui ne sont pas passées par l’adoption.

L’esprit de la loi

Le but de la LAP, souligne le Tribunal, est «d’assurer un remplacement du revenu à un parent afin de lui permettre d’être proche de son enfant au début de sa vie, moment crucial pour nouer des liens affectifs».

«La position du [ministère] a pour résultat que, dans certains cas, des enfants seront privés de la présence de son parent, qui devra travailler puisqu’à l’évidence, ce n’est pas tous les parents qui peuvent s’absenter pendant cinq semaines sans remplacement de revenu», fait valoir le juge Jean-Marc Dufour.

«Face à une telle réalité, dans le contexte d’une loi sociale qui s’interprète de manière large et libérale, de façon à assurer l’accomplissement de son objet, le Tribunal estime que l’article 9 de la LAP doit être interprété dans le sens plaidé» par le requérant, tranche le juge.

Réaction du ministère

Le ministère du Travail n’a pas, à ce jour, porté en appel ce jugement du TAQ, le premier rendu en pareille matière par ce tribunal.

Il n’a pas voulu non plus le commenter sous prétexte qu’il «ne peut pas communiquer à des tiers des renseignements personnels sur les prestataires du Régime québécois d’assurance-parentale», explique la porte-parole Catherine Poulin.

Quant à savoir combien de pères et de mères d’un enfant issu d’une gestation pour autrui se sont vu refuser des prestations de paternité ou de maternité depuis la création du Régime, le ministère nous dit ne pas disposer de ces informations.

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