{"accessibility":"METERED","authors":[{"coverUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F591d34b6-c406-47fa-9e81-7357ca832b25.png&width=1024&stripmeta=true","description":{"fr":"Collaboration spéciale"},"email":"flavoie@lequotidien.com","imageUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Fae052896-28a3-415c-995e-b15194245025.png&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","name":"Frédérick Lavoie","source":"Le Quotidien"}],"channel":"Frédérick Lavoie","chapters":[{"position":0,"text":"

«Je pourrais me tenir au milieu de la Cinquième Avenue [à New York] et abattre quelqu’un, et cela ne me ferait pas perdre un seul électeur, d’accord? C’est, comme, incroyable», avait déclaré celui qui n’était alors que candidat à l’investiture républicaine pour l’élection présidentielle.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"position":1,"text":"

Ce n’était qu’une figure de style évidemment — quoiqu’avec ce personnage, on ne peut en être tout à fait certain… —, mais cette image illustrait à merveille sa situation : peu importe ce qu’il pourrait dire ou faire de choquant, il savait que rien ne le disqualifierait aux yeux de son public pour occuper le poste qu’il convoitait.

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L’avenir lui donnerait raison.

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Encore aujourd’hui, malgré les multiples scandales et toutes les enquêtes criminelles qui menacent de déboucher sur des accusations formelles contre lui, il demeure pour bon nombre d’Américains un candidat légitime pour retourner à la Maison-Blanche. Ses appuis sont moins nombreux qu’avant, certes, mais toujours assez importants pour entretenir ses ambitions.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"position":4,"text":"

Ce qui le sauve vraiment d’une complète disqualification toutefois, à mon sens, c’est ce consensus que Donald Trump fait partie du «nous» américain.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"position":5,"text":"

Il a beau avoir cherché par différents moyens à détruire les institutions démocratiques au coeur même de l’identité américaine, on ne penserait pas à remettre en question son américanité. Contrairement à ce qui est arrivé à son prédécesseur — et à quoi Trump a contribué —, on ne colporte pas à son sujet de rumeurs sans fondement à l’effet qu’il serait né au Kenya ou serait secrètement de confession musulmane.

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Qu’il ait marié deux femmes nées de l’autre côté du Rideau de fer durant la Guerre froide n’en fait pas un communiste potentiel pour quiconque non plus. Même le fait que certains de ses plus proches collaborateurs aient été reconnus coupables de conspiration contre les États-Unis pour avoir entretenu des liens avec les services étrangers russes durant la campagne de 2016 n’a pas suffi à le transformer en traître à la Nation.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"position":7,"text":"

Selon les convictions politiques, Donald Trump est la pire ou la meilleure version de l’américanité, mais il est américain. Dans la psyché collective de la majorité de la population des États-Unis, il est tout, sauf l’Autre.

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Cela aide évidemment que les 44 autres personnes qui aient occupé le même poste que lui aient aussi été des hommes blancs, sauf une exception. Malgré son incompétence crasse, ses mensonges et ses frasques, il jouira ainsi toujours d’une légitimité coutumière pour diriger la destinée de son peuple, ou au moins donner son opinion sur celle-ci.

Altériser

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"position":9,"text":"

Parfois, dans mon rôle de chroniqueur dans ces pages, je me sens un peu comme Donald Trump.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"position":10,"text":"

C’est que, voyez-vous, je m’appelle Frédérick Lavoie et je viens du Saguenay.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"position":11,"text":"

J’ai beau avoir passé la majeure partie de ma vie adulte à l’extérieur du Québec, être marié à une étrangère et entretenir certaines opinions peu populaires, jamais n’ai-je reçu de commentaires cherchant à m’altériser.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"position":12,"text":"

Jamais n’a-t-on tenté d’invalider mes prises de position en me disant de retourner dans mon pays si je ne suis pas content. On attaque mes arguments, pas ma personne — ou si peu —, ni ma légitimité à m’exprimer sur la place publique québécoise.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"position":13,"text":"

Je peux bien prôner les vertus de l’écriture inclusive, proposer que le gouvernement canadien reconnaisse le régime taliban, dénoncer la vacuité des appels à la fierté québécoise du gouvernement Legault, écrire noir sur blanc que sa loi 21 sur la laïcité de l’État est xénophobe, rien ne me rend Autre.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"contents":[{"accessibility":"METERED","authors":[{"coverUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F591d34b6-c406-47fa-9e81-7357ca832b25.png&width=1024&stripmeta=true","description":{"fr":"Collaboration spéciale"},"email":"flavoie@lequotidien.com","imageUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Fae052896-28a3-415c-995e-b15194245025.png&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","name":"Frédérick Lavoie","source":"Le Quotidien"}],"channel":"Opinions","chapters":[{"position":0,"text":{"fr":"

«Nous ne sommes pas [rendus] là», m’a-t-on expliqué. Pour des fins de lisibilité, d’uniformité du journal et pour ne pas heurter la sensibilité des lectrices et des lecteurs, on préférait s’en tenir aux règles en usage. On ajoutait néanmoins comprendre et respecter le sens de ma démarche «sans doute visionnaire».

"},"type":"paragraph"},{"position":1,"text":{"fr":"

Évidemment, cette vision n’est pas la mienne au départ. Depuis des années, voire des décennies, des féministes, des militant·es LGBTQ, mais aussi des linguistes développent ces formes d’écriture. Il y a un peu plus de trois ans, quand j’ai commencé à m’y intéresser, je me suis donc simplement inspiré de leurs expérimentations.

"},"type":"paragraph"},{"position":2,"text":{"fr":"

Mais pourquoi? La langue française n’est-elle pas déjà assez compliquée comme ça?

"},"type":"paragraph"},{"position":3,"text":{"fr":"

À la base, cela vient d’un constat tout banal: la règle qui veut que le masculin l’emporte sur le féminin n’est en rien neutre. Elle n’a d’ailleurs jamais été imaginée comme telle. Au XVII^e siècle, quand l’Académie française — alors exclusivement composée d’hommes — l’a instaurée, elle n’a pas tenu un concours de pile ou face. Elle a motivé sa décision par le fait que «le genre masculin est réputé plus noble que le féminin, à cause de la supériorité du mâle sur la femelle».

"},"type":"paragraph"},{"position":4,"text":{"fr":"

Il serait difficile d’être plus clair sur les origines sexistes de cette règle de grammaire.

"},"type":"paragraph"},{"position":5,"text":{"fr":"

Ensuite, il est vrai que lorsqu’on parle d’objets ou de concepts, la question du genre n’est plus une affaire de sexe. Il n’y a pas vraiment trace de discrimination dans une phrase comme : «La table, les chaises et le comptoir sont neufs».

"},"type":"paragraph"},{"position":6,"text":{"fr":"

Lorsqu’on parle d’un groupe d’hommes et de femmes et qu’on les réduit à un «ils» collectif, par contre, il y a certainement des questions à se poser sur la neutralité de ce choix.

"},"type":"paragraph"},{"position":7,"text":{"fr":"

On pourrait débattre longtemps des conséquences de l’invisibilisation des femmes dans ce «ils», des impacts insidieux que cela peut avoir sur la place qu’elles estiment leur revenir dans la société. Mais disons pour l’instant que le fait que beaucoup plus de femmes que d’hommes semblent intéressées par l’écriture inclusive n’est certainement pas une coïncidence. Il est certainement plus facile de se voir invisible et de s’en soucier que de voir l’invisibilisation de l’autre et d’estimer qu’il est urgent de changer les choses.

"},"type":"paragraph"},{"position":8,"text":{"fr":"

En tant que journaliste, je vois une pertinence supplémentaire à l’écriture inclusive. En plus d’agir sur le plan de la justice, elle offre aussi plus de justesse. Car invisibiliser les femmes conduit aussi à un manque de précision.

"},"type":"paragraph"},{"position":9,"text":{"fr":"

La formulation «Ils regardent le feu» porte ainsi à confusion. Y a-t-il seulement des hommes dans ce groupe ou aussi des femmes? En revanche, «Elles regardent le feu» est clair.

"},"type":"paragraph"},{"position":10,"text":{"fr":"

Pour parler d’un groupe mixte, on pourrait alors plutôt dire «Ils et elles regardent le feu». Ou encore utiliser une formulation épicène comme «Ces personnes regardent le feu». Mais pour être encore plus concis·es, à condition d’accepter de s’aventurer dans l’écriture inclusive, on pourrait y aller avec «Iels regardent le feu».

"},"type":"paragraph"},{"position":11,"text":{"fr":"

Nouvelle vigueur
L’écriture inclusive, telle que je la conçois et l’utilise, n’a pas pour ambition de remplacer une norme hégémonique par une autre, un dogme par un autre, mais au contraire de faire éclore des nouvelles façons de dire le réel, et donc de le percevoir. Elle offre une flexibilité à notre langue, permet à chacun·e d’y trouver sa place, de se l’approprier. J’oserais même dire que plutôt que d’être le «péril mortel» que dénonçait l’Académie française il y a quatre ans, elle a le potentiel de redonner à la langue française une nouvelle vigueur en l’arrimant aux valeurs changeantes de celleux qui la parlent et l’écrivent.

"},"type":"paragraph"},{"position":12,"text":{"fr":"

Cela dit, je comprends tout à fait les réticences de plusieurs à son sujet, comme je comprends celles de ce journal à voir apparaître des néologismes dans ses pages avant qu’ils aient été consacrés par des institutions (à moins que ce soit le sujet même de la chronique!).

"},"type":"paragraph"},{"position":13,"text":{"fr":"

Il y a quelques jours, sans tambours ni trompette, le dictionnaire Robert a ajouté la définition du mot «iel·s» à son dictionnaire en ligne: «Pronom personnel sujet de la troisième personne du singulier et du pluriel, employé pour évoquer une personne quel que soit son genre.»

"},"type":"paragraph"},{"position":14,"text":{"fr":"

Même si on spécifie qu’il s’agit d’un mot rare, cette reconnaissance a eu pour effet de braquer une fois de plus les opinions. D’un côté, il y avait celleux qui s’en réjouissaient, notamment parce qu’elle donnait une identité pronominale minimalement reconnue aux personnes non binaires; et de l’autre, celles et ceux qui y voyaient une «démarche militante» de la part du Robert, le signe d’une victoire des wokes dans une prétendue guerre civilisationnelle.

"},"type":"paragraph"},{"position":15,"text":{"fr":"

Les motivations du dictionnaire étaient toutefois beaucoup plus terre à terre. «On a constaté que ce mot prenait de l’ampleur et nous l’avons intégré», répondait ainsi laconiquement au Figaro la lexicographe du Robert, Marie-Hélène Drivaud.

"},"type":"paragraph"},{"position":16,"text":{"fr":"

Bref, il s’agissait moins d’une décision en soi que du constat de l’existence d’une réalité. Un groupe de plus en plus important de gens utilisent ce mot et, si la tendance se maintient, son usage risque de continuer à se répandre.

"},"type":"paragraph"},{"position":17,"text":{"fr":"

Les linguistes ne le répéteront jamais assez : ce qui prime dans la langue, c’est l’usage. On a beau avoir essayé d’enlever tous les t-shirts en circulation dans le monde francophone il y a 50 ans, on voit rarement quelqu’un porter un gaminet. Par contre, il est de moins en moins choquant pour l’oreille et les yeux d’apprendre qu’une autrice a écrit un livre, alors que cela faisait encore débat il y a quelques mois.

"},"type":"paragraph"},{"position":18,"text":{"fr":"

Je vais d’ailleurs vous faire une confidence. Si j’emploie des mots comme «iels» à l’écrit, je n’arrive toujours pas à l’utiliser à l’oral lors d’intervention à la radio... ou même dans des discussions privées avec d’autres personnes qui l’utilisent à l’écrit.

"},"type":"paragraph"},{"position":19,"text":{"fr":"

C’est dire comment les changements linguistiques sont des processus complexes: même quand on est convaincu·es de leur pertinence, il faut encore prendre le temps de se les mettre en bouche.

"},"type":"paragraph"}],"creationDate":"2021-11-17T21:51:54.054Z","externalIds":{"newscycle":"E437FD58-23EB-48E5-BA4D-D968E7853974"},"firstPublicationDate":"2021-11-18T08:00:00.000Z","free":false,"id":"84f1aef31d884732e7e1295499f33648","lead":"CHRONIQUE / Depuis que j’ai commencé à tenir cette chronique il y a vingt semaines, on ne m’a jamais empêché d’écrire quoi que ce soit. Par contre, on m’a gentiment demandé d’éviter les formes d’écriture inclusive, comme les pronoms iels et celleux ou les points médians comme dans citoyen·nes canadien·nes.","locales":["fr"],"metadata":{},"modificationDate":"2021-11-18T09:00:20.082Z","publications":[{"canonical":false,"organizationKey":"latribune","sectionKey":"opinions"},{"canonical":false,"organizationKey":"lequotidien","sectionKey":"ma-region"},{"canonical":false,"editionKey":"site","organizationKey":"lesoleil","sectionKey":"chroniques"},{"canonical":false,"editionKey":"site","organizationKey":"ledroit","sectionKey":"opinions"},{"canonical":false,"organizationKey":"ledroit","sectionKey":"opinions"},{"canonical":false,"editionKey":"site","organizationKey":"lenouvelliste","sectionKey":"chroniques"},{"canonical":false,"editionKey":"site","organizationKey":"lavoixdelest","sectionKey":"chroniques"},{"canonical":false,"editionKey":"site","organizationKey":"lesoleil","sectionKey":"chroniques/frederick-lavoie"},{"canonical":false,"editionKey":"site","organizationKey":"lequotidien","sectionKey":"chroniques/frederick-lavoie"},{"canonical":false,"editionKey":"site","organizationKey":"latribune","sectionKey":"opinions"},{"canonical":true,"editionKey":"site","organizationKey":"lequotidien","sectionKey":"chroniques"},{"canonical":false,"organizationKey":"lesoleil","sectionKey":"opinions"},{"canonical":false,"organizationKey":"lenouvelliste","sectionKey":"opinions"},{"canonical":false,"organizationKey":"lavoixdelest","sectionKey":"opinions"}],"slug":"2021/11/18/iels-aiment-la-langue-francaise-84f1aef31d884732e7e1295499f33648","tags":[],"templateName":"article_columnist","title":"Iels aiment la langue française","type":"article","url":"global/contents/84f1aef31d884732e7e1295499f33648.json","visual":{"caption":{},"contentType":"image","credits":{"fr":"PHOTO 123RF"},"position":0,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Fd4ccff18-7dd3-4a5f-beaf-44a6368e01d8.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true"},"color":null,"mainVisual":{"contentType":"image","credits":"PHOTO 123RF","position":0,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Fd4ccff18-7dd3-4a5f-beaf-44a6368e01d8.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},"thumbnailVisual":{"url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Fd4ccff18-7dd3-4a5f-beaf-44a6368e01d8.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true"}},{"accessibility":"METERED","authors":[{"coverUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F591d34b6-c406-47fa-9e81-7357ca832b25.png&width=1024&stripmeta=true","description":{"fr":"Collaboration spéciale"},"email":"flavoie@lequotidien.com","imageUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Fae052896-28a3-415c-995e-b15194245025.png&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","name":"Frédérick Lavoie","source":"Le Quotidien"}],"channel":"Frédérick LAvoie","chapters":[{"position":0,"text":{"fr":"

Au risque de vous choquer, ce n’est pas mon cas.

"},"type":"paragraph"},{"position":1,"text":{"fr":"

Si nous avons réellement à cœur le bien-être des Afghans et des Afghanes comme nous le prétendons, si nous souhaitons assurer le respect de leurs libertés et de leurs droits, nous nous devons au contraire d’envisager de reconnaître un gouvernement formé par les talibans.

"},"type":"paragraph"},{"position":2,"text":{"fr":"

Cela vous apparaît certainement contre-intuitif, mais laissez-moi m’expliquer.

"},"type":"paragraph"},{"position":3,"text":{"fr":"

Je n’éprouve évidemment aucune sympathie envers les talibans. Comme les milliers d’Afghans et d’Afghanes qui se ruent à l’aéroport de Kaboul ces jours-ci pour quitter le pays, je ne partage ni leurs valeurs ni leurs méthodes. Je ne crois pas non plus aveuglément en leurs promesses de respect des droits des femmes et des minorités et d’amnistie pour leurs ennemis.

"},"type":"paragraph"},{"position":4,"text":{"fr":"

Or, reconnaître un gouvernement, ce n’est pas cautionner son idéologie ou ses actions. Ce n’est pas non plus lui donner carte blanche ni même estimer que son règne est tout à fait légitime. C’est reconnaître un état des faits. C’est ne pas se mettre la tête dans le sable devant une réalité dérangeante. Et c’est aussi, potentiellement, se donner les outils pour influencer le cours des choses. Car avec la reconnaissance viennent pour ce gouvernement des devoirs face à sa population et au reste du monde.

"},"type":"paragraph"},{"position":5,"text":{"fr":"

Les talibans ont conquis le pays dans un temps record, faisant face à peu ou pas de résistance. S’il y a eu depuis des soulèvements populaires limités dans quelques villes, il ne fait guère de doute en ce moment qu’ils contrôlent la vaste majorité du territoire afghan et des institutions du pays. Même le président déchu Ashraf Ghani a reconnu leur victoire « par le jugement de l’épée et du fusil », les appelant à maintenant prendre leurs responsabilités pour « protéger l’honneur, la prospérité et l’amour-propre de nos compatriotes. » Plusieurs seigneurs de guerre et autres opposants historiques des talibans ont aussi entamé des négociations avec eux, conscients qu’ils avaient peu de chance de renverser leur « Émirat islamique » par les armes.

"},"type":"paragraph"},{"position":6,"text":{"fr":"

Quant aux États-Unis, le président Joe Biden a bien fait comprendre qu’ils n’avaient aucune intention de reprendre le sentier de la guerre. La principale préoccupation de Washington en ce moment, c’est de pouvoir continuer à utiliser l’aéroport de Kaboul le plus longtemps possible afin d’évacuer les citoyens américains et les Afghans et Afghanes qui ont contribué à la présence occidentale dans le pays au fil des ans. Pour ce qui est des autres Afghans et Afghanes qui craignent le nouveau régime, Joe Biden a bien fait comprendre que leur sort n’est pas son problème.

"},"type":"paragraph"},{"position":7,"text":{"fr":"

L’argument vertueux

Les talibans sont donc bien en selle et il est peu probable qu’ils soient chassés du pouvoir par des forces intérieures ou extérieures dans un avenir rapproché. S’ils peuvent prétendre à une certaine représentativité compte tenu des nombreux appuis qu’ils ont trouvés dans chaque région durant leur conquête, il n’y a évidemment rien de vraiment démocratique dans leur victoire. C’est d’ailleurs parce qu’ils « ont pris le pouvoir par la force et remplacé un gouvernement dûment élu » que Justin Trudeau refuse d’envisager la reconnaissance de leur régime.

"},"type":"paragraph"},{"position":8,"text":{"fr":"

Cet argument vertueux ne tient toutefois pas la route quand on sait comment le Canada, comme d’autres pays, l’utilise de manière sélective. Plus d’une fois lors de guerres, de coups d’État ou de crises politiques, le Canada a reconnu la légitimité de leaders et de gouvernements qui n’avaient pas été « dûment élus », au Vénézuela et en Bolivie récemment, par exemple. Par contre, il a refusé de reconnaître l’élection démocratique du Hamas dans la bande de Gaza en 2006, car il considère cette organisation comme terroriste.

"},"type":"paragraph"},{"position":9,"text":{"fr":"

Il faudrait être naïf pour ne pas voir que la reconnaissance d’un gouvernement étranger a plus à voir avec ce que les autorités canadiennes estiment cadrer avec nos intérêts nationaux – politiques, mais aussi économiques – plutôt qu’avec des principes moraux prétendument inaltérables. Et dans cette décision, les intérêts de la population du pays concerné viennent au bas de la liste.

"},"type":"paragraph"},{"position":10,"text":{"fr":"

La carotte et le bâton

Entre 1996 et 2001, quand les talibans étaient au pouvoir à Kaboul, seuls l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Pakistan ont reconnu leur gouvernement. Trois pays qui ne sont pas vraiment des modèles en matière de démocratie et de respect des droits et libertés.

"},"type":"paragraph"},{"position":11,"text":{"fr":"

Pendant que le reste du monde se félicitait d’avoir exclu du concert des nations leur régime répressif, les talibans pouvaient continuer d’agir à leur guise en Afghanistan. Le siège du pays à l’ONU ayant été attribué à leurs opposants de l’Alliance du Nord, qui ne contrôlaient qu’une petite partie du territoire afghan, les talibans n’avaient même pas à subir directement les réprimandes internationales pour leurs actions.

"},"type":"paragraph"},{"position":12,"text":{"fr":"

Les femmes et les jeunes filles ont-elles bénéficié de cette mise au ban du régime qui les opprimait ? En profiteront-elles plus aujourd’hui si nous répétons cette même stratégie de l’isolation ?

"},"type":"paragraph"},{"position":13,"text":{"fr":"

La réponse est évidemment non. Elles seront les premières à en souffrir.

"},"type":"paragraph"},{"position":14,"text":{"fr":"

Ce que je dis, c’est que si l’avenir de toutes les Afghanes — et non seulement de celles qui partagent notre mode de vie et nos valeurs — nous importe autant que nous le prétendons, nous nous devons de maintenir des relations, même tendues, même hostiles, même compromettantes, avec les talibans.

"},"type":"paragraph"},{"position":15,"text":{"fr":"

Pour consolider leur emprise sur le pouvoir, les talibans cherchent actuellement à rassurer la planète quant à leurs intentions. La Chine a déjà fait savoir qu’elle allait collaborer avec leur régime. La Russie et la Turquie ont aussi fait connaître leur intérêt en ce sens.

"},"type":"paragraph"},{"position":16,"text":{"fr":"

Si les Américains et les Canadiens ne sont pas irréprochables en matière de respect des droits humains en Afghanistan et ailleurs, on peut être certains que la dictature chinoise et les régimes autoritaires turc et russe seront complètement indifférents sur ce sujet.

"},"type":"paragraph"},{"position":17,"text":{"fr":"

Alors, plutôt que de se draper dans la vertu, prenons les talibans aux mots. Maintenons le dialogue. Agitons aussi longtemps que possible la carotte et le bâton à propos d’une éventuelle reconnaissance et de l’aide économique dont ils ont cruellement besoin. Faisons en sorte qu’ils aient trop à perdre à être exclus de la scène internationale pour qu’ils jugent plus pragmatique de respecter leurs promesses faites en l’air. Aidons à créer les conditions et les garde-fous — littéralement — pour qu’un jour, plus tôt que tard, ces femmes et ces hommes qui prennent à contrecœur la route de l’exil en ce moment puissent revenir contribuer au développement de leur pays en toute sécurité.

"},"type":"paragraph"}],"creationDate":"2021-08-25T22:15:38.645Z","externalIds":{"newscycle":"265BB4CF-597F-4F21-ACD1-34EF99E1EDD7"},"firstPublicationDate":"2021-08-26T07:00:00.000Z","free":false,"id":"06f7b24fe774512efd30c93754c80809","lead":"CHRONIQUE / La semaine dernière, le premier ministre Justin Trudeau a fait savoir que le Canada n’avait « aucun plan pour reconnaître les talibans comme gouvernement en Afghanistan ». Les chefs des autres partis fédéraux ont tous tenu un discours similaire. Pas question de donner une quelconque légitimité à cette bande de barbares, ont-ils dit en substance. Il y a fort à parier qu’une écrasante majorité de la population canadienne est aussi en accord avec cette position.","locales":["fr"],"metadata":{},"modificationDate":"2021-08-26T09:00:16.117Z","publications":[{"canonical":false,"organizationKey":"lesoleil","sectionKey":"opinions"},{"canonical":false,"editionKey":"site","organizationKey":"lequotidien","sectionKey":"chroniques/frederick-lavoie"},{"canonical":false,"organizationKey":"lenouvelliste","sectionKey":"opinions"},{"canonical":false,"organizationKey":"ledroit","sectionKey":"opinions"},{"canonical":false,"editionKey":"site","organizationKey":"ledroit","sectionKey":"chroniques"},{"canonical":false,"organizationKey":"lequotidien","sectionKey":"ma-region"},{"canonical":true,"editionKey":"site","organizationKey":"lequotidien","sectionKey":"chroniques"},{"canonical":false,"organizationKey":"lavoixdelest","sectionKey":"opinions"},{"canonical":false,"editionKey":"site","organizationKey":"lesoleil","sectionKey":"chroniques"},{"canonical":false,"editionKey":"site","organizationKey":"lesoleil","sectionKey":"chroniques/frederick-lavoie"}],"slug":"2021/08/26/pourquoi-le-canada-devrait-songer-a-reconnaitre-un-gouvernement-taliban-06f7b24fe774512efd30c93754c80809","tags":[],"templateName":"article_columnist","title":"Pourquoi le Canada devrait songer à reconnaître un gouvernement taliban","type":"article","url":"global/contents/06f7b24fe774512efd30c93754c80809.json","visual":{"caption":{},"contentType":"image","credits":{"fr":"ASSOCIATED PRESS"},"position":0,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Ffccbe00f-774a-43b6-b95d-d8c5c6bc1082.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true"},"color":null,"mainVisual":{"contentType":"image","credits":"ASSOCIATED PRESS","position":0,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Ffccbe00f-774a-43b6-b95d-d8c5c6bc1082.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},"thumbnailVisual":{"url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Ffccbe00f-774a-43b6-b95d-d8c5c6bc1082.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true"}},{"accessibility":"METERED","authors":[{"coverUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F591d34b6-c406-47fa-9e81-7357ca832b25.png&width=1024&stripmeta=true","description":{"fr":"Collaboration spéciale"},"email":"flavoie@lequotidien.com","imageUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Fae052896-28a3-415c-995e-b15194245025.png&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","name":"Frédérick Lavoie","source":"Le Quotidien"}],"channel":"Frédérick Lavoie","chapters":[{"position":0,"text":{"fr":"

les hommes arrivent

"},"type":"paragraph"},{"position":1,"text":{"fr":"

on va s’asseoir dans l’herbe

"},"type":"paragraph"},{"position":2,"text":{"fr":"

à l’ombre de la maison

"},"type":"paragraph"},{"position":3,"text":{"fr":"

et on mange des sannouiches aux tomates

"},"type":"paragraph"},{"position":4,"text":{"fr":"

et elles sont tellement bonnes

"},"type":"paragraph"},{"position":5,"text":{"fr":"

que j’en ai envie de pleurer

"},"type":"paragraph"},{"position":6,"text":{"fr":"

parce que quelque chose en moi sait

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que pour tout le reste de ma vie

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quand je mangerai une sannouiche aux tomates

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je m’ennuierai de celles-là

"},"type":"paragraph"},{"position":10,"text":{"fr":"

qui règnent au milieu de mon amitié

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pour les gars

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de mon amour pour Marielle et Lucille

"},"type":"paragraph"},{"position":13,"text":{"fr":"

de mon respect pour monsieur Léger

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de mon émerveillement

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devant la simplicité du bonheur

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quand le plaisir d’être

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engloutit toutes circonstances

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dans la gloire de l’instant

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et parce que je me doute bien

"},"type":"paragraph"},{"position":20,"text":{"fr":"

que c’est de cette nourriture

"},"type":"paragraph"},{"position":21,"text":{"fr":"

que je serai gourmand toute ma vie

"},"type":"paragraph"},{"position":22,"text":{"fr":"

Gastronomiquement parlant, je ne suis pas un amateur de sandwichs aux tomates. Mais le poème de Garneau me rentre dedans et se répand sur toute la surface de ma langue, qui sait parfaitement savourer la nuance entre le sandwich et la sannouiche.

"},"type":"paragraph"},{"caption":{"fr":"Michel Garneau"},"contentType":"image","credits":{"fr":"FRÉDÉRICK LAVOIE"},"position":23,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F2fa6831e-d97b-45e7-bb5f-ba49f78cdd75.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true"},{"position":24,"text":{"fr":"

Ma sannouiche, comme celle de Garneau, est garnie de souvenirs. Elle s’inscrit au plus profond de mon intimité familiale, mais aussi, de l’intimité culturelle dans laquelle je navigue le mieux: la québécité.

"},"type":"paragraph"},{"position":25,"text":{"fr":"

La sannouiche aux tomates, c’est le lunch de pas-le-temps ou de juste-un-p’tit-creux de ma mère; c’est le souper que prépare môman dans La Petite Vie pour que Rénald et Lison se tannent de venir souper chaque maudit dimanche soir; c’est le genre de déformation vernaculaire du français qui pourrait sortir instinctivement de ma bouche à l’autre bout du monde face à un Québécois ou une Québécoise rencontré au hasard, avec l’assurance d’instaurer avec cette personne une complicité instantanée.

"},"type":"paragraph"},{"position":26,"text":{"fr":"

Mmmm, une bonne sannouiche aux tomates, toé chose!

"},"type":"paragraph"},{"position":27,"text":{"fr":"

C’est dimanche, je lis Garneau et le ministre de l’Éducation du Québec s’apprête à dévoiler les contours du nouveau cours de Culture et citoyenneté québécoise qui remplacera celui d’Éthique et culture religieuse.

"},"type":"paragraph"},{"position":28,"text":{"fr":"

Le contenu du cours demeure inconnu, mais le discours entourant l’annonce m’exaspère déjà. Il y a quelques jours, la vice-première ministre a indiqué que pour être «bénéfique», un tel cours devrait avoir «une petite saveur chauvine». Selon elle, pour former de bons citoyens, il est important de leur inculquer «histoire, culture et fierté québécoises».

"},"type":"paragraph"},{"position":29,"text":{"fr":"

Certains lui reprochent l’utilisation de l’adjectif «chauvin». Peut-être n’a-t-elle pas vérifié sa définition avant de l’employer. Elle y voyait probablement un synonyme inoffensif de «nationaliste» ou «patriotique». Le caractère péjoratif du terme lui aurait échappé. Donnons-lui le bénéfice du doute à ce sujet.

"},"type":"paragraph"},{"position":30,"text":{"fr":"

De toute façon, le mot qui m’agace n’est pas celui-là. C’est le mot «fierté». Il m’agace justement parce que contrairement à «chauvin», il fait consensus. On peut avoir des visions divergentes quant aux bases de cette fierté, mais il va de soi pour une majorité qu’il faut apprendre aux jeunes à être fiers de leur appartenance à la nation québécoise. Car si on n’est pas fier, on ne peut qu’être honteux, croit-on.

"},"type":"paragraph"},{"position":31,"text":{"fr":"

À l’épicerie un peu plus tard, j’entends une publicité radiophonique du gouvernement québécois. On me dit d’être fier de ma langue. Mais fier pour quoi au juste? Parce qu’elle existe? Parce que je la parle? Pourquoi devrais-je être plus fier de parler français qu’anglais, pendjabi, malgache ou innu-aimun? Pour ne pas ternir cette fierté, dois-je éviter de mentionner la violence coloniale de l’imposition de cette même langue aux Premières Nations ici et à de nombreux autres peuples ailleurs dans le monde?

"},"type":"paragraph"},{"position":32,"text":{"fr":"

Paresseuse fierté

"},"type":"paragraph"},{"position":33,"text":{"fr":"

Langue. Québec. Histoire. Culture. Fierté.

"},"type":"paragraph"},{"position":34,"text":{"fr":"

Je repense à René Lévesque, à son discours du 15 novembre 1976, soir de la première victoire du Parti québécois. «Je n’ai jamais pensé que je pouvais être aussi fier d’être Québécois que ce soir.» La foule l’interrompt constamment en scandant «Le Québec aux Québécois!» Elle ne demande qu’à être confortée dans sa fierté. Mais son leader adoré ne le fait que du bout des lèvres, avec précaution et nuances. Il est fier ce soir, oui, parce que les électeurs et les électrices ont osé vaincre leurs peurs de changement et porter au pouvoir un parti avec un projet ambitieux et risqué. Mais sa fierté envers ce «nous» qui est «peut-être quelque chose comme un grand peuple» n’est pas acquise. Elle est temporaire, fragile et réversible.

"},"type":"paragraph"},{"position":35,"text":{"fr":"

Ce qui m’irrite dans la conception que le gouvernement actuel se fait de la fierté nationale – comme bien d’autres gouvernements avant lui et bien d’autres gouvernements ailleurs dans le monde —, c’est son caractère automatique. C’est une fierté paresseuse, basée sur une sélection complaisante d’éléments du passé et du présent qui déforment le miroir dans lequel on se regarde et permettent de s’y trouver invariablement beaux, plus beaux que les autres.

"},"type":"paragraph"},{"position":36,"text":{"fr":"

Ironiquement, l’un des objectifs du nouveau cours de Citoyenneté et culture québécoise tels qu’énoncés par le ministre Jean-François Roberge dimanche est de «développer la pensée critique» chez les jeunes. Or, cette fierté non négociable qu’on souhaite inculquer aux élèves viendra inévitablement baliser et fausser les bases prétendument libres de toute discussion sur la citoyenneté et la culture québécoise.

"},"type":"paragraph"},{"position":37,"text":{"fr":"

Intimité culturelle

"},"type":"paragraph"},{"position":38,"text":{"fr":"

Je comprends qu’on puisse se sentir fier d’appartenir à une culture, à un peuple. Mais plus j’y pense, plus je me dis qu’on fait tout simplement fausse route en insistant sur le besoin de fierté.

"},"type":"paragraph"},{"position":39,"text":{"fr":"

Au fond, ce n’est pas la fierté qui devrait nous unir dans la québécité, ou dans toute culture. C’est notre intimité culturelle. L’anthropologue Michael Herzfeld définit ce sentiment comme «la reconnaissance de ces aspects de l’identité culturelle qui gênent ou qui embarrassent quelque peu vis-à-vis de l’extérieur, mais qui n’en confèrent pas moins, à ceux de l’intérieur, l’assurance d’une socialité commune».

"},"type":"paragraph"},{"position":40,"text":{"fr":"

Comme le lien familial, l’intimité culturelle nous rapproche ainsi plus souvent de la honte que de la fierté. Mais plus que tout, elle nous rapproche les uns des autres. Il n’y a pas de fierté à ressentir au fait d’aimer les «sannouiches aux tomates» et leur sonorité. Mais dans cette prononciation mâchouillée, il y a un sentiment puissant d’appartenance qui dépasse notre raison et même parfois notre désir d’appartenir.

"},"type":"paragraph"},{"position":41,"text":{"fr":"

Un nous plus fort que soi.

"},"type":"paragraph"},{"position":42,"text":{"fr":"

Puisque l’intimité culturelle est en constante renégociation, elle a également le potentiel d’inclure. La différence comme la dissidence, la nouveauté comme les nouvelles lectures du passé, l’immigrant comme l’Anglo-Québécoise ou l’Atikamekw.

"},"type":"paragraph"},{"position":43,"text":{"fr":"

On peut découvrir à 60 ans la sannouiche aux tomates dans un français hésitant et en demeurer ensuite «gourmand toute [s]a vie».

"},"type":"paragraph"},{"position":44,"text":{"fr":"

L’intimité culturelle me semble ainsi un terreau beaucoup plus fertile pour le développement de la pensée critique des élèves à l’égard de la citoyenneté et de la culture et, plus largement, pour un vivre-ensemble inclusif et fécond. Car contrairement à la fierté nationale, elle n’exige pas qu’on accepte docilement ses dogmes.

"},"type":"paragraph"}],"creationDate":"2021-10-27T23:23:36.450Z","externalIds":{"newscycle":"2D940FA2-49B7-4B7B-8AFD-85951D351547"},"firstPublicationDate":"2021-10-28T07:00:00.000Z","free":false,"id":"1fc9af1ff3a33d250ff49fbdbc642056","lead":"CHRONIQUE / C’est dimanche. Je suis dans un parc. Le soleil de midi réchauffe octobre. Je lis Michel Garneau, qui a rendu son dernier souffle le mois dernier à Magog. Le poème s’intitule Les sannouiches aux tomates. Garneau y est adolescent. C’est le temps des foins dans un champ des années 50. Et soudain, il est midi aussi dans le poème.","locales":["fr"],"metadata":{},"modificationDate":"2021-10-28T08:00:30.270Z","publications":[{"canonical":true,"editionKey":"site","organizationKey":"lequotidien","sectionKey":"chroniques"},{"canonical":false,"organizationKey":"lenouvelliste","sectionKey":"opinions"},{"canonical":false,"organizationKey":"lesoleil","sectionKey":"opinions"},{"canonical":false,"organizationKey":"ledroit","sectionKey":"opinions"},{"canonical":false,"organizationKey":"lavoixdelest","sectionKey":"opinions"},{"canonical":false,"organizationKey":"lequotidien","sectionKey":"ma-region"},{"canonical":false,"editionKey":"site","organizationKey":"lesoleil","sectionKey":"chroniques"},{"canonical":false,"editionKey":"site","organizationKey":"lavoixdelest","sectionKey":"chroniques"},{"canonical":false,"editionKey":"site","organizationKey":"lequotidien","sectionKey":"chroniques/frederick-lavoie"},{"canonical":false,"editionKey":"site","organizationKey":"lesoleil","sectionKey":"chroniques/frederick-lavoie"}],"slug":"2021/10/28/les-sannouiches-aux-tomates-1fc9af1ff3a33d250ff49fbdbc642056","tags":[],"templateName":"article_columnist","title":"Les sannouiches aux tomates","type":"article","url":"global/contents/1fc9af1ff3a33d250ff49fbdbc642056.json","visual":{"caption":{"fr":"Jean-François Roberge"},"contentType":"image","credits":{"fr":"ARCHIVES PC"},"position":0,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Ff5af4c8e-0d42-4bde-a47c-48cc5bd04798.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true"},"color":null,"mainVisual":{"caption":"Jean-François Roberge","contentType":"image","credits":"ARCHIVES PC","position":0,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Ff5af4c8e-0d42-4bde-a47c-48cc5bd04798.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},"thumbnailVisual":{"url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Ff5af4c8e-0d42-4bde-a47c-48cc5bd04798.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true"}},{"accessibility":"METERED","authors":[{"coverUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F591d34b6-c406-47fa-9e81-7357ca832b25.png&width=1024&stripmeta=true","description":{"fr":"Collaboration spéciale"},"email":"flavoie@lequotidien.com","imageUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Fae052896-28a3-415c-995e-b15194245025.png&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","name":"Frédérick Lavoie","source":"Le Quotidien"}],"channel":"Frédérick Lavoie","chapters":[{"position":0,"text":{"fr":"

Fin décembre, après un interminable intermède pandémique, c’est le retour en classe dans un collège mixte d’une petite ville du Karnataka, dans le sud de l’Inde. Six étudiantes musulmanes se présentent dans l’uniforme réglementaire. Elles demandent toutefois de pouvoir garder leur hijab. On les renvoie chez elles. Le règlement du collège, leur dit-on, les autorise à porter le voile dans l’enceinte de l’école, mais pas durant leurs cours, afin d’assurer « l’homogénéité » du corps étudiant. Les jeunes femmes jugent pour leur part que ce règlement brime leur liberté religieuse et qu’il est anticonstitutionnel. Elles assurent aussi que le port du voile en classe n’était pas proscrit dans le collège il y a encore quelques années, ce que la direction dément.

"},"type":"paragraph"},{"position":1,"text":{"fr":"

Compte tenu du flou dans les récits et des différentes possibilités d’interprétation des lois en vigueur, la question est certainement matière à débat judiciaire. Mais avant même qu’une quelconque cour ne se soit saisie du dossier, sur le terrain, l’affaire prend des proportions démesurées.

"},"type":"paragraph"},{"position":2,"text":{"fr":"

Des étudiants hindous se pointent au collège en arborant un foulard safran — la couleur de l’hindouisme — et en scandant des slogans religieux. Au nom de « l’égalité », de « l’uniformité » et de la défense des « droits », selon leurs dires, ils intimident leurs camarades musulmanes, cherchant à les empêcher d’entrer voilées sur le territoire du collège, même si la direction a permis à celles-ci de continuer de suivre leurs cours en hijab dans une classe à part.

"},"type":"paragraph"},{"position":3,"text":{"fr":"

Depuis cet incident, le nombre d’institutions scolaires à travers le pays qui a soudainement décidé d’interdire le port du voile islamique a bondi. Dans plusieurs endroits, l’interdiction ne vise pas seulement les étudiantes, mais aussi les professeures.

"},"type":"paragraph"},{"position":4,"text":{"fr":"

Le matin, à l’entrée des collèges, des caméras de télévision filment ces femmes, jeunes et moins jeunes, contraintes de se dévoiler pour pouvoir étudier ou travailler. Qu’on juge justifiés ou non ces règlements, il est difficile d’y voir une façon de permettre aux femmes de mieux exercer leur libre choix en ce qui a trait au port du hijab. La phrase la plus sensée que j’ai vue sur les réseaux sociaux indiens à ce sujet se lit ainsi : «Si le hijab vous est imposé, battez-vous contre. Si c’est votre choix, battez-vous pour».

"},"type":"paragraph"},{"position":5,"text":{"fr":"

Changer la norme

"},"type":"paragraph"},{"position":6,"text":{"fr":"

Le contexte indien est évidemment bien différent de celui d’un pays occidental. La Constitution indienne garantit la laïcité des institutions, ce qui n’empêche pas du tout les religions d’être omniprésentes dans la vie publique. Entre le turban sikh, le tilak hindou (marque cérémonielle portée sur le front), le hijab musulman, la croix chrétienne et tant d’autres, les signes religieux ostentatoires sont légion, même chez les fonctionnaires de l’État.

"},"type":"paragraph"},{"position":7,"text":{"fr":"

Depuis des millénaires, l’Inde est une société multiculturelle qui cherche tant bien que mal à maintenir un équilibre face à toutes les tensions et débats provoqués par ce complexe vivre-ensemble. L’accommodement raisonnable y est non seulement la norme, mais un droit.

"},"type":"paragraph"},{"position":8,"text":{"fr":"

Or, au cours des dernières années, avec la montée en puissance des nationalistes hindous et encore plus depuis l’arrivée au pouvoir de Narendra Modi en 2014, l’atmosphère a radicalement changé. Tout en disant appuyer officiellement la laïcité de l’État, le gouvernement du BJP (Parti du peuple indien) n’a cessé d’adopter des lois, décriées comme anticonstitutionnelles, qui font des pratiques hindoues la norme incontestable, en plus de criminaliser celles des minorités, principalement musulmanes.

"},"type":"paragraph"},{"position":9,"text":{"fr":"

Dans plusieurs États du pays, l’abattage de vaches — sacrées pour plusieurs hindous, mais pas tous — est désormais illégal et le gouvernement finance des refuges pour les vaches vieillissantes.

"},"type":"paragraph"},{"position":10,"text":{"fr":"

Une théorie du complot appelée love jihad, qui veut que les hommes musulmans cherchent à marier des femmes hindoues et à les convertir de force, a aussi mené à des lois dans plusieurs États contrôlés par le BJP.

"},"type":"paragraph"},{"position":11,"text":{"fr":"

En théorie, cette loi contre les conversions forcées est neutre et censée punir quiconque l’enfreint, peu importe son appartenance religieuse. Mais évidemment, les seules conversions qui intéressent ceux qui souhaitent la voir appliquée sont celles de l’hindouisme vers l’islam, réelles ou imaginaires. Même quand la mariée jure qu’elle est consentante — ou qu’il n’y a pas eu conversion —, on n’hésite pas à emprisonner préventivement le jeune amoureux, musulman donc suspect.

"},"type":"paragraph"},{"position":12,"text":{"fr":"

Car non, les autorités chargées de faire respecter les lois ne sont pas neutres. Elles sont composées d’humains, qui appartiennent en majorité au groupe majoritaire (les hindous forment 80% de la population du pays) et qui portent en eux les mêmes biais que leurs compatriotes ordinaires.

"},"type":"paragraph"},{"position":13,"text":{"fr":"

Pour ces représentants et représentantes de l’État, un foulard safran dans le cou d’un homme hindou n’est donc pas un signe religieux aussi menaçant pour la laïcité qu’un hijab sur la tête d’une femme musulmane.

"},"type":"paragraph"},{"position":14,"text":{"fr":"

Et au Québec?

"},"type":"paragraph"},{"position":15,"text":{"fr":"

Comment pourrais-je oser comparer la situation en Inde avec celle au Québec, vous demandez-vous peut-être? Si dans les deux cas un tel débat a pu déchaîner les passions et prendre des proportions nationales, il est vrai que le contexte dans lequel il se tient n’est pas tout à fait le même. Le fond du problème, cependant, l’est. Car tout le débat sur les accommodements raisonnables, qui dure depuis une décennie et demie et qui s’est soldé par l’adoption de la loi 21 sur la laïcité de l’État, trouve ses racines dans ce même aveuglement de la majorité par rapport à ses biais.

"},"type":"paragraph"},{"position":16,"text":{"fr":"

Un petit incident durant une conférence de presse du Parti québécois en septembre 2018 l’avait parfaitement illustré. Une journaliste avait alors demandé à Annie Lessard, candidate péquiste dans la circonscription de Laporte, ce qu’elle pensait de la position de son parti au sujet du port de signes religieux ostentatoires dans les garderies, étant elle-même responsable d’un service de garde en milieu familial. Peu habituée à être sous les projecteurs et encore mal au fait des subtilités du programme péquiste, elle avait fourni une réponse un peu maladroite. À son avis, la burqa n’était probablement pas acceptable pour une éducatrice, mais elle ne pouvait pas en dire plus.

"},"type":"paragraph"},{"position":17,"text":{"fr":"

Son chef Jean-François Lisée avait entrepris de lui clarifier en direct la position du parti. Le moment était cocasse, mais surtout révélateur. Tout naïvement, Mme Lessard lui avait demandé si la grosseur d’une croix chrétienne serait un facteur à considérer pour juger de son acceptabilité. Sans trop visiblement savoir quoi en penser elle-même, elle comprenait bien que, tout en se donnant des airs de neutralité, l’obsession de sa formation politique — et d’autres — pour la laïcité provenait moins d’un inconfort envers les signes religieux en général qu’envers certains en particulier, comme le hijab.

"},"type":"paragraph"},{"position":18,"text":{"fr":"

Une loi xénophobe

"},"type":"paragraph"},{"position":19,"text":{"fr":"

Il va de soi que certains services gouvernementaux doivent être offerts à visage découvert, à des fins de sécurité ou pour permettre l’identification des usagers et usagères. Il va aussi de soi que les profs ne devraient pas tenter de convertir leurs élèves à leur religion, quelle qu’elle soit.

"},"type":"paragraph"},{"position":20,"text":{"fr":"

Or, il semble évident que s’il existait un problème de prosélytisme dans les écoles et dans les autres institutions publiques — ce qui n’a jamais été démontré à ma connaissance —, il passerait par des mots et non par des signes religieux ostentatoires.

"},"type":"paragraph"},{"position":21,"text":{"fr":"

On ne convertit pas qui que ce soit à l’islam, au christianisme ou à l’athéisme en portant un hijab, une petite croix ou en affichant un portrait de Nietzsche. On ne libère pas non plus une personne d’une oppression présumée en décidant à sa place de ce qu’elle peut ou non porter.

"},"type":"paragraph"},{"position":22,"text":{"fr":"

Je suis farouchement pour la laïcité de l’État. C’est pourquoi, deux ans plus tard, je ne décolère toujours pas de l’adoption de la loi 21, qui prétend faussement chercher à renforcer la laïcité de l’État québécois. Le reste du Canada et du monde a bien raison de dénoncer cette loi xénophobe que nos œillères identitaires nous empêchent de voir comme telle.

"},"type":"paragraph"},{"position":23,"text":{"fr":"

En démocratie, les peurs et les désirs de la majorité finissent généralement par l’emporter, même si la raison et la justice doivent en écoper. Il est possible d’y voir le droit du plus grand nombre d’imposer sa loi. Mais de grâce, cessons de faire honte aux principes de laïcité et de neutralité en cachant nos aversions et nos traumatismes collectifs derrière leurs noms.

"},"type":"paragraph"}],"creationDate":"2022-02-17T01:05:14.604Z","externalIds":{"newscycle":"A4197CE6-750E-45C4-A419-A9638637AB0F"},"firstPublicationDate":"2022-02-17T05:00:00.000Z","free":false,"id":"ae78399af9428569f4fbe453f1fa88df","lead":"CHRONIQUE / En Inde ces jours-ci, une polémique autour du voile islamique déchaîne les passions. Et comme au Québec et dans bien d’autres endroits, quand il est question de hijab, il s’agit moins de défendre la laïcité en soi que d’asseoir une domination : celle de la majorité, qui vit dans l’illusion de sa neutralité.","locales":["fr"],"metadata":{},"modificationDate":"2022-02-17T05:00:01.096Z","publications":[{"canonical":false,"organizationKey":"lavoixdelest","sectionKey":"opinions"},{"canonical":false,"organizationKey":"lenouvelliste","sectionKey":"opinions"},{"canonical":false,"organizationKey":"lesoleil","sectionKey":"opinions"},{"canonical":false,"organizationKey":"lequotidien","sectionKey":"ma-region"},{"canonical":false,"editionKey":"site","organizationKey":"lesoleil","sectionKey":"chroniques/frederick-lavoie"},{"canonical":true,"editionKey":"site","organizationKey":"lequotidien","sectionKey":"chroniques/frederick-lavoie"}],"slug":"2022/02/17/laicite-je-salis-ton-nom-ae78399af9428569f4fbe453f1fa88df","tags":[],"templateName":"article_columnist","title":"Laïcité, je salis ton nom","type":"article","url":"global/contents/ae78399af9428569f4fbe453f1fa88df.json","visual":{"caption":{},"contentType":"image","credits":{"fr":"ARCHIVES AFP"},"position":0,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F7c139086-b1dc-4419-8d32-aea092d876cf.JPG&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true"},"color":null,"mainVisual":{"contentType":"image","credits":"ARCHIVES AFP","position":0,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F7c139086-b1dc-4419-8d32-aea092d876cf.JPG&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},"thumbnailVisual":{"url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F7c139086-b1dc-4419-8d32-aea092d876cf.JPG&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true"}}],"position":14,"type":"content_block","photos":[]},{"position":15,"text":"

Car quand vous, lecteurs et lectrices du Quotidien, du Droit, de La Voix de l’Est, du Nouvelliste, du Soleil et de La Tribune, voyez mon nom et mon visage, vos tripes vous disent qu’au-delà de nos désaccords, je ne peux être que l’un des vôtres.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"position":16,"text":"

Ce n’est évidemment pas faux. Je suis l’un des vôtres, que je le veuille ou non.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"position":17,"text":"

Je le veux, là n’est pas la question. Ce qui me fascine, c’est que ma fidélité à ce «nous» soit automatiquement tenue pour acquise.

Mélikah et Émilie

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"position":18,"text":"

Toutes les personnes qui prennent la parole dans l’espace public au Québec ne bénéficient pas comme moi d’une telle affiliation automatique. Même celles qui devraient avoir autant de raisons — sinon plus — que moi de s’attendre à une telle chose.

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Mélikah Abdelmoumen, actuellement chroniqueuse en résidence dans les pages des Coops de l’information, est née dans le même hôpital que moi, à Chicoutimi. Mon «Je m’appelle… et je viens du Saguenay» plus haut était une paraphrase de l’incipit de son dernier livre, Baldwin, Styron et moi (Mémoire d’encrier, 2022).

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Dans une chronique récente — comme dans son livre —, elle raconte comment son nom et son prénom, qui lui viennent de son père tunisien, ont souvent semé le doute sur l’authenticité de sa québécité, et donc sur son allégeance au Québec — et lorsqu’elle habitait en France, à la civilisation occidentale.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"contents":[{"accessibility":"METERED","authors":[{"coverUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Fc80172b2-80dd-408e-a3a3-3adc4c2556ac.png&width=1024&stripmeta=true","description":{},"imageUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Ff7f52231-6860-4e6c-8336-df441a220ecf.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","name":"Mélikah Abdelmoumen ","source":"Autrice","twitter":"MelAbdelmoumen"}],"channel":"Mélikah Abdelmoumen","chapters":[{"position":0,"text":{"fr":"

Quand on lit mon prénom puis mon nom en ouverture de cette chronique, est-ce qu’on éprouve une sorte de fatigue diffuse avant de se rendre à la fin des 18 lettres qui le composent ?

Est-on ensuite capable de le dire à haute voix, de mémoire, sans le lire de nouveau? Est-ce que ça crée un petit malaise? (Je dis ça sans aucune animosité. Je le jure. Moi-même, je trouve mon nom plus difficile que, disons, celui d’un imaginaire Jean-Sébastien Dubreuil-Dubuc, qui comporte pourtant encore plus de lettres.)

Quand, dans une pile de CV, le mien apparaît au fil du tri, mon nom en gras en haut de page, est-ce qu’on le met de côté, le CV, ressentant la même imperceptible fatigue devant l’effort à faire pour l’assimiler?

Dans une librairie, sur une table pleine de nouveautés, quand mon livre est aux côtés de ceux des autres… Passe-t-on un peu vite dessus? Ai-je moins de chances qu’on le saisisse que les autres, dont les couvertures sont ornées de noms plus familiers?

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Quand j’étais petite, à l’école, il y avait un jeu. Ça s’appelait «la peste». On se la passait en touchant un autre enfant, qui courait en toucher un autre, qui courait en toucher un autre, etc., en disant : «Tiens, tu as la peste de xxx.» Les xxx étaient remplacés par le prénom du souffre-douleur du moment. C’était régulièrement le mien. Je me suis souvent demandé «pourquoi moi?», à l’époque. Est-ce que j’aurais dû me dire que la réponse était tout simplement dans mon nom?

Il y avait aussi cette émission, avec une dame qui apprenait aux gamin·es le yoga ou la relaxation, assise dans le faux ciel. À la fin, elle disait au revoir à plusieurs prénoms d’enfants, différents chaque fois. Elle ne me disait jamais au revoir, à moi. Je le vivais comme un rejet de ma petite personne tristounette. Mais est-ce que pouvait être la faute de mon prénom?

Les condisciples qui ne voulaient pas être mes amies? Les soirées dansantes où personne ne m’invitait jamais au moment des slows? Les refus quand j’ai postulé pour des emplois, demandé des bourses d’études, participé à des concours, cherché du financement pour des projets?

De combien d’échecs c’est mon nom qui est responsable? Combien de fois était-ce tout simplement moi qui avais raté mon coup?

Suis-je parano ?

*

Est-ce que je suis la seule à me poser ces questions? Y en a-t-il d’autres que ça rend parfois dingues de mettre le doigt dans cet engrenage dont on sait qu’il ne nous donnera jamais de réponse? Dont on sait qu’on sortira bredouille, le doigt broyé, à se demander encore et encore : c’est vraiment moi le problème, ou c’est mon nom?

Nous ne le saurons jamais. Nous ne saurons jamais si c’est notre sentiment intrinsèque d’être chez nous là où nous sommes nés (alors que nous avons ces noms-là, cette couleur-là, cet accent-là, cette «identité»-là) qui est illusoire, ou si les choses évoluent.

Est-ce qu’il faudrait plutôt se dire que s’il y a les fois où l’on reçoit des messages gratinés («Vous savez, le racisme à quelque part c’est normal, ça vient de la peur … alors un conseil, à Rome on fait comme les Romains, changez de nom et vous aurez la paix tiens une petite Tremblay ce serait parfait lol!» / «Arrête de te plaindre et change ton nom» / «C'est pas le racisme le problème, c’est votre détresse psychologique. Bonne chance. »/ «Ton voile anti-Québec que tu portes comme un drapeau c’est aussi du racisme, on ne compte pas sur ton multiculturalisme pour nous assimiler.» / «Si t’es pas contente, déménage!»), de manière générale, notre terre natale est surtout habitée par des gens bien? Que ça va aller?

*

C’est mon nom, je suis née avec, il fait partie de moi. En changer, ce serait renoncer à moi-même. Je suis une Québécoise tout à fait ordinaire et je m'appelle comme ça. C'est triste que ce ne soit pas toujours évident. C'est seulement ça que je veux dire.

Je ne saurai jamais ce qui aurait été différent si j'avais été la même, née au même endroit, élevée au même endroit, avec la même histoire, les mêmes rêves, mais que je m'étais appelée autrement.

Je ne saurai jamais la réponse à mes questions. Et peut-être que parmi vous qui me lisez, il se trouve d’autres personnes comme moi. Mais un jour, nos enfants ou les enfants de nos ami·es nous expliqueront ce que c’est que de ne pas avoir à se les poser. Pas parce que nos enfants seraient naïfs, mais parce que ces questions, tout simplement, n’auront plus lieu d’être. Parce que la diversité sera devenue réelle, normale, banale, à tel point qu’il ne sera plus même nécessaire de la nommer.

***

Mélikah Abdelmoumen est née à Chicoutimi en 1972. De 2005 à 2017, elle a vécu à Lyon. Elle est titulaire d’un doctorat en littérature de l’Université de Montréal et a publié de nombreux articles et nouvelles, ainsi que plusieurs romans et essais, dont Les désastrées (2013) et Douze ans en France (2018). Elle a été éditrice chez Groupe Ville-Marie littérature de 2019 à 2021. Baldwin, Styron et moi est paru chez Mémoire d’encrier cet hiver. Elle est rédactrice en chef de la revue Lettres québécoises. Elle collabore aux Coops de l’information à titre de chroniqueuse en résidence jusqu’à la fin de l’année 2022.

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Elle a beau toujours avoir eu ce «sentiment intrinsèque» d’être chez soi là où elle est née, son nom, périodiquement, la rattrapait pour la priver d’une partie de sa légitimité à dire «nous» en parlant du Québec.

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Une Abdelmoumen «de souche»? Mouais, d’accord, disons, peut-être… mais qu’elle ne s’exprime pas sur la laïcité de l’État québécois — quoiqu’elle en pense, cela a peu d’importance —, car voilà le chat tunisien sortant du sac pour «nous» imposer ses vues!

Lavoie des deux bords, qui dit mieux?!

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Emilie Nicolas, chroniqueuse au Devoir et dans d’autres médias, est dans une situation similaire, mais pour une autre raison. Née à Gatineau, elle a grandi à Lévis, avec un beau petit nom à consonnance canadienne française… mais qui est en fait haïtien. La photo qui accompagne ses textes rend ses origines plus apparentes que son nom.

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Emilie Nicolas est, à mon avis, l’une des chroniqueuses les plus pertinentes au Québec en ce moment — sur la question de l’identité québécoise, je vous invite particulièrement à lire son percutant essai Maître chez l’Autre, paru dans la revue Liberté à l’hiver 2020.

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Je souscris à pratiquement chacun des mots de la plupart de ses chroniques. Mon petit doigt me dit toutefois que si ces mêmes textes étaient flanqués de ma signature et de ma photo, je n’aurais pas droit aux mêmes messages de haine, à la même violence et à la même «altérisation» qu’elle subit encore et encore de la part de lecteurs et lectrices.

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«What’s in a name?», demanderait la Juliette de Shakespeare. «Qu’y a-t-il dans un nom?» Qui a-t-il dans une couleur de peau, dans un accent?, pourrait-on ajouter.

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Beaucoup d’Histoire et d’histoires, certainement, mais beaucoup moins d’évidences que ce qu’on pourrait croire.

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Journaliste indépendant et écrivain, Frédérick Lavoie a réalisé des reportages dans plus d'une trentaine de pays. Il a publié quatre livres, dont les récits Ukraine à fragmentation et Avant l'après: Voyages à Cuba avec George Orwell, récipiendaire d'un Prix littéraire du Gouverneur général en 2018. Originaire de Chicoutimi, il partage son temps entre l'Inde, le Québec et ailleurs.

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