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La question se pose au lendemain du désistement officiel du fabricant allemand Siemens.

La Ville avait compris depuis le début de l'été que Siemens n'était plus dans la course. Elle s'était cependant gardée de le dire, à cause d'une obligation de confidentialité.

Le point de bascule a été l'entrevue donnée au Soleil au début juin par le chef de direction de Siemens Mobilité au Canada.

M. Yves Desjardins Siciliano avait alors confié que Siemens songeait à se retirer du projet. À moins, disait-il, qu'on lui permette de concourir avec sa technologie de tramway hybride avec batteries.

Si Québec ne lui ouvrait pas cette porte, Siemens mettrait ses énergies ailleurs, avait-il prévenu.

M. Desjardins-Siciliano évoquait aussi le contexte politique local. Siemens l'avait avalé de travers le jour où le ministre de l'Économie Pierre Fitzgibbon avait souhaité publiquement que Alstom obtienne le contrat du tramway.

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L’entreprise poursuit son analyse, rapporte le chef de direction de Siemens Mobilité au Canada, Yves Desjardins Siciliano.

Il ne peut préciser à quel moment une décision sera prise. Jusqu’à ce jour, l’intérêt de Siemens pour le tramway de Québec ne s’était jamais démenti.

Le fabricant allemand a participé à chacune des étapes de sélection depuis 2020. Il y a quelques mois encore, en janvier 2022, il a répondu à un appel de qualification et sa candidature a été retenue.

Tout laissait croire alors que Siemens allait soumettre une proposition détaillée (technologie, coûts, etc) avant la date limite du 29 septembre prochain, en vue de la sélection finale.

On comprend que cette certitude n’y est plus. Siemens voudrait pouvoir proposer une technologie hybride filsbatteries, ce qui est impossible actuellement. J’y reviens dans un instant.

Dans l’éventualité d’un désistement de Siemens, il ne resterait qu’un seul soumissionnaire pour le contrat de matériel roulant, soit Alstom, la compagnie française qui a acheté Bombardier.

Cela donnerait l’assurance que les voitures du tramway seront construites au Québec (La Pocatière).

La perspective de n’avoir qu’un seul soumissionnaire n’est cependant jamais une bonne chose pour les contrats publics. Cela fait augmenter les prix et prive le donneur d’ouvrage de la possibilité de choisir entre différentes expertises et solutions techniques.

En 2021, la ville de Québec avait repris à zéro le processus de sélection pour le tramway après le désistement de deux des trois consortiums initiaux.

Recommencer l’appel de proposition pour le matériel roulant serait cette fois impensable.

Les retards feraient encore grimper la facture et le résultat à la fin serait le même. On ne connaît pas d’autre fabricant que Alston qui pourrait répondre à l’exigence de 25 % de contenu canadien.

Recommencer risquerait aussi de décourager les entreprises d’ingénierie qui pourraient commencer à douter de la crédibilité du projet et choisir de mettre leurs efforts ailleurs. Ce n’est pas l’ouvrage qui manque ces années-ci.

Faut-il prendre au sérieux la «menace» de retrait de Siemens ou doit-on n’y voir qu’une tactique pour essayer de forcer un changement aux conditions de l’appel d’offres?

Cela ne serait pas très élégant, mais en affaires, ce n’est peut-être pas un empêchement.

Voici ce qu’il faut savoir pour comprendre les hésitations de Siemens.

1- Siemens a développé une technologie hybride fils-batteries qu’elle voudrait proposer à Québec. Cela permettrait au tramway de rouler sans fil sur une douzaine des 19 kilomètres du trajet, croit le fabricant.

Sauf que ce n’est pas possible dans les conditions actuelles. Le gouvernement exige une technologie traditionnelle avec fil qui a été éprouvée dans des conditions hivernales.

Il ne veut pas que le tramway de Québec serve de banc d’essai technologique, avec tous les risques afférents.

Le Bureau de projet croit aussi que l’alimentation par fils est actuellement la «meilleure solution».

Il est cependant conscient que les technologies à batteries évoluent rapidement.

Lors d’un comité plénier de la ville, à la mi-mars, le directeur Dan Genest a ouvert la porte à en discuter plus tard.

Le cas échant, il faudrait que les «deux joueurs» choisis (fabricant de voitures et consortium d’ingénierie) «jouent ensemble» pour proposer une solution avec des batteries, a-t-il expliqué. Cela dépendrait aussi des coûts impliqués.

En attendant, le fournisseur de matériel roulant sera choisi sur la base d’une technologie avec fils.

Siemens plaide pour qu’il en soit autrement. Elle voudrait que son modèle hybride puisse être recevable dès le départ.

Le Bureau de projet devrait alors choisir entre une technologie traditionnelle et une technologie nouvelle avec «batterie embarquée».

Siemens pense pouvoir démontrer que sa technologie hybride est éprouvée, fonctionne en hiver et permet de monter des côtes.

Son hypothèse pour Québec est que les portions en pente (tunnel vers la haute-ville et montée Mendel à Ste-Foy) seraient alimentées par fils.

Un tramway sans fils aérien au centre-ville faciliterait l’acceptabilité du projet, fait aussi valoir l’entreprise.

Pour l’heure, Siemens n’a encore qu’un seul exemple à montrer : celui de Charlotte en Caroline du Nord, où une première ligne a été mise en service l’été dernier.

Quant au climat, on note que le mercure descend régulièrement au-dessous de zéro en l’hiver (moyenne de -1 la nuit en janvier). Charlotte n’est cependant pas l’idée qu’on se fait d’une ville d’hiver.

2- Déposer une proposition technique et financière implique des coûts importants pour les soumissionnaires.

Le Bureau de projet a prévu verser 1 M $ au perdant de l’appel de proposition de matériel roulant (14 M $ au consortium perdant pour les travaux et l’ingénierie).

Cela peut sembler beaucoup, mais ce dédommagement ne couvre que la moitié environ des coûts liés au dépôt d’une proposition. Une entreprise n’a pas d’intérêt à participer si elle estime ne pas avoir de chance de gagner.

3- Beaucoup de villes d’Amérique du Nord planifient actuellement des projets de transport collectif sur rail.

Avec 36 rames pour la phase 1, celui de Québec n’est pas parmi les plus importants.

Siemens pourrait choisir de mettre ses efforts ailleurs, sur des projets plus gros et là où elle pourrait proposer sa technologie nouvelle.

4- Le gouvernement nationaliste de la CAQ préférerait que les voitures du tramway de Québec soient construites au Québec.

Il ne veut pas d’une controverse comme celle du REM de Montréal où le contrat a été donné en Inde.

Cette perception a été nourrie par une importante subvention à Alstom (56 M $) pour rendre son usine de La Pocatière plus compétitive. Le ministre Pierre Fitzgibbon n’avait alors pas caché son souhait d’aider l’usine à obtenir le contrat de Québec.

Siemens sert une mise en garde. Elle ne voudra pas être le faire-valoir de Alston dans une course coûteuse dont le résultat serait décidé d’avance.

***

Faut-il prendre au sérieux l’hypothèse que Siemens se retire de la course au tramway de Québec?

Allez savoir. Les arguments de l’entreprise méritent réflexion.

Ce qui chicote, c’est qu’ils étaient tous connus au moment où Siemens a choisi de répondre au récent appel de qualification de la ville, au début 2022. On voit mal ce qui aurait tant changé depuis.

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Siemens ne voulait pas servir de faire-valoir pour sa rivale Alstom (Bombardier) dans une course dont le résultat serait décidé d'avance.

L'intervention de M. Desjardins-Siciliano détonnait avec la tradition de confidentialité. Et avec les obligations légales associées aux appels d’offres.

Par cette sortie publique, Siemens annonçait sa sortie de la course au projet de Québec, ont alors compris des membres du Comité directeur du tramway.

Et dans le cas contraire, le baroud d'honneur de M. Desjardins-Siciliano n'aura rien donné. Québec a maintenu ses règles d'appel d'offres. Il exigeait une technologie éprouvée dans des conditions hivernales, ce que Siemens n'était pas en mesure de démontrer.

***

Dans un monde idéal, on aurait voulu une véritable concurrence pour le matériel roulant du tramway de Québec.

Les exigences de 25 % de contenu canadien et d'un assemblage final au Canada limitaient cependant le nombre de joueurs admissibles.

Dans les faits, il n'y avait au départ que trois candidatures possibles : Siemens, Alstom et Bombardier.

Après l'achat de Bombardier par Alstom, il n'en est resté que deux. Siemens parti, il n'en est resté qu'un seul.

Cela explique que la Ville a choisi de ne pas reprendre le processus d'appel d'offres, comme elle l'avait fait en 2021.

Cela ne donnerait rien. Cela entraînerait de nouveaux délais pour arriver au même résultat : une seule candidature.

Obtenir un seul soumissionnaire n'est «pas anormal dans les expertises de pointe», analyse Pierre-André Hudon, professeur adjoint au département de management de l'Université Laval.

Cela arrive pour les contrats d'Hydro-Québec, dans le domaine médical, etc.

L'administration Marchand s'est ainsi résignée à négocier avec le seul joueur intéressé, Alstom.

Pas l'idéal, mais pas une catastrophe.

Le matériel roulant compte pour seulement 15 % du coût total du projet. Peut-être même moins. Un «moindre mal» donc.

Obtenir un seul soumissionnaire pour l'ingénierie-construction serait plus inquiétant et plus lourd de conséquences financières. On va donc se croiser les doigts.

Personne ne va le confirmer, mais je parierais ma chemise que Alstom savait pour Siemens quand elle a déposé sa proposition financière à la Ville.

La nouvelle n'était pas officielle, mais les bâtisseurs de tramway forment un petit monde. Des employés se connaissent, se parlent, cognent aux mêmes portes de fournisseurs. Le bruit avait certainement circulé.

Alstom avait sans doute pris connaissance aussi des déclarations de M. Desjardins-Siciliano au début de l'été. Elle a dû en tirer les mêmes conclusions que tous ceux qui connaissent la «business».

Se sachant seule en course, Alstom en a-t-elle profité pour gonfler ses prix? Je n'en ai aucune idée.

La Ville n'a (heureusement) aucune obligation d'accepter telle quelle la proposition financière de Alstom. La Ville peut négocier. Elle n'aura pas un gros rapport de force, direz-vous. C'est vrai.

Mais le ministre responsable de la Capitale, Jonatan Julien, a prévenu que son gouvernement voudra un «juste prix» pour les wagons du tramway.

Comme c'est le gouvernement qui ultimement va payer ou dire non, cela rétablit un certain rapport de force.

***

Pour éviter cette situation précaire, Québec aurait-elle dû assouplir les règles d'appel d'offres et accueillir des propositions de technologies nouvelles?

Permettre une proposition de tramways hybrides avec «batteries embarquées» comme le souhaitait Siemens.

Québec y aurait sans doute gagné un deuxième soumissionnaire de matériel roulant.

Mais ouvrir à de nouvelles technologies est risqué, croit le professeur Hudon.

«Être un peu conservateur, ce n'est pas fou quand on voit ce qui s'est passé à Ottawa». Il fait notamment référence aux portes défaillantes en hiver.

Changer les règles en cours de route comportait aussi un «risque légal», évalue M. Hudon. D'autres soumissionnaires auraient pu contester. Son conseil : «keep it simple». C'est ce que la Ville et le gouvernement ont choisi de faire.

***

Au printemps 2021, le ministre de l'Économie Pierre Fitzgibbon s'est rendu à l'usine de Alstom (Bombardier) à La Pocatière pour annoncer l'octroi d'un «prêt pardonnable» de 56 M $.

L'intention était claire. Aider l'usine à décrocher le contrat du tramway de Québec.

«Ce n’est pas du gré à gré, les tramways» avait-il plaidé… l’intention du gouvernement, indirectement, c’est de rendre La Pocatière la plus compétitive possible pour que, quand l’appel d’offres va arriver, elle gagne le contrat.»

La vie en aura décidé autrement.

Alstom n'aura pas eu besoin de gagner l'appel d'offres et le contrat sera négocié de gré à gré.

D'un point de vue de gestion publique, le désistement de Siemens n'est pas une bonne nouvelle.

Mais d'un point de vue politique, cela facilite les choses.

S'il avait fallu que Siemens gagne l'appel d'offres, imaginez le tollé.

Le gouvernement nationaliste de la CAQ qui fait construire les wagons du tramway de Québec ailleurs que dans l'usine locale de La Pocatière, cela aurait très mal passé.

Comme lorsque la Caisse de dépôt a fait construire en Inde les voitures du REM Montréal.

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