Pas besoin d’attendre le Ciel. Marcher drette a ses avantages sur Terre.
Manger drette aussi, semble-t-il. J’y reviendrai.
Les États, démocratiques ou non, ont aussi recours à la peur et à la culpabilité comme outil de contrôle social. Un être humain normalement constitué craint la police, la prison, la violence. Une personne équilibrée ressentira de la honte et de la culpabilité si elle fait quelque chose de mal, ou qui résonne comme tel en elle. Ceux qui disent le contraire sont des menteurs ou des sans-cœur.
Si la peur et la culpabilité fonctionnent plutôt bien pour tempérer nos ardeurs, on ne peut dire la même chose de leur utilité à nous convaincre de prendre soin de la planète. La peur de voir l’Humanité anéantie par des changements climatiques extrêmes et la culpabilité de ne pas en faire assez pour que recule cette menace ne semblent pas fonctionner puisque nous posons chaque jour, à chaque instant, des gestes en apparence anodins qui vont dans le sens contraire. Comme manger.
Après avoir colonisé nos cauchemars avec des images de la planète qui brûle, voilà que les environnementalistes veulent envahir nos assiettes.
La Presse nous apprenait lundi que la cafétéria de l’école Polytechnique à Montréal affiche désormais l’empreinte carbone des repas chauds qui y sont servis le jeudi. Le but étant d’inciter les polytechniciens à choisir des aliments bons pour l’environnement. En gros, moins de viande et de produits industriels au profit de pois chiches, lentilles, soya, algues et autres ‘purs’ délices.
Le reportage de Delphine Belzile nous informe que les étudiants en génie portent attention à la note accordée à chaque plat, qui va de A à F. ‘Si j’hésite entre deux plats, un qui est C+ et l’autre un A, je vais prendre le A,’ confirme l’un d’entre eux.
C’est fou mais moi, je prendrais le plat qui me tente le plus. Ou le moins cher. Oui, je suis à ce point égoïste.
La direction de Polytechnique assure qu’il s’agit d’un outil de sensibilisation. Et moi, j’ai une belle poignée plaquée or dans le dos. L’étau environnemental se resserre. La répression écologique s’organise. Pour notre bien, toujours pour notre bien.
Après tout, «l’alimentation représente en moyenne le quart de l’empreinte carbone d’un Québécois», toujours selon La Presse. Et alors?
Je crois à la crise climatique. Et aux dangers multiples de toutes formes de dégradation de l’environnement. Nous n’avons qu’à suivre l’actualité et à regarder dehors pour savoir que quelque chose ne va pas.
Mais décortiquer nos assiettes en petites bouchées environnementales – chaque ingrédient a son impact propre - pour nous forcer à faire des choix écologiques, c’est non. Peut-on vivre? Aimer vivre? Aimer manger sans se tordre les boyaux de culpabilité devant un club sandwich au pain blanc tranché avec bacon et mayo, à moins que ce ne soit pour des questions de cholestérol? Et encore! La modération existe encore.
Et ce n’est pas tout. Équiterre, qui applaudit l’initiative de Polytechnique, lui trouve néanmoins un défaut: l’analyse des aliments ne tiendrait pas compte des droits humains bafoués par leur production. Mais, selon l’analyste en agriculture et systèmes alimentaires Carole-Anne Lapierre, l’initiative «permet d’éduquer les mangeurs sur l’impact de ce qui se retrouve dans notre assiette.»
Les mangeurs…
Il me semble qu’il y a mieux à faire que d’agoniser devant un hamburger, aussi juteux soit-il. Ce n’est pas en pataugeant maladroitement dans la seule mare des petits gestes qu’on va convaincre Chinois et Indiens de cesser de construire des centrales thermiques au charbon.
Soyons raisonnables dans nos efforts pour convaincre les autres de l’être.
Je crois que nous avons tous une responsabilité face à la viabilité et la pérennité de notre mode de vie. Quand les citoyens appuient des initiatives vertes fécondes, ils envoient le message à leurs dirigeants que l’environnement les préoccupe mais ce n’est pas en enfonçant dans la gorge du bon peuple l’impact environnemental du contenu de leur assiette qu’on va ouvrir les esprits.
Ou faire aimer la purée de lentilles rouges à la noix de coco.
Si la culpabilité et la honte fonctionnent encore, la répression bébête nous pousse dans le sens contraire. Qui a envie de vivre dans un monde où les déplacements seraient découragés, où la décroissance planifiée freinerait volontairement les progrès scientifiques - dont certains pourraient régler plusieurs problèmes environnementaux - où la consommation d’un T-bone cuit sur le barbecue (polluant) serait passible d’amendes alimentaires et l’achat de chaussures en cuir illégal? Pas moi, merci.
En passant, les matières dites véganes qui imitent le cuir et la fausse fourrure sont fabriquées avec du pétrole… Je ne veux même pas savoir ce qu’il y a dans la fausse viande.
Tout se met en place pour nous faire accepter que la lutte contre les changements climatiques passe obligatoirement par une hygiène de vie rigide, dépouillée, monastique, d’où les plaisirs sont évacués au nom de la survie de l’espèce.
Ça ne peut pas fonctionner. La quête du plaisir par le vivant sera toujours plus forte. Il va falloir composer avec. Sinon, pourquoi vivre?
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Lise Ravary est journaliste depuis 40 ans et a tout fait dans le métier, que ce soit à la radio ou dans des magazines et des journaux, de Montréal à Toronto, en passant par Londres et Alexandria, avant de devenir observatrice et commentatrice à temps plein. On peut lire ses opinions dans nos pages deux fois par semaine.