Des poches de soluté en guise d’oreillers

Sans sa mère à son chevet, Samuel Bilodeau se demande dans quel état il serait ressorti de son récent séjour à l’Hôtel-Dieu de Lévis.

Personne n’aime aller à l’hôpital, et c’est particulièrement vrai pour les personnes qui vivent avec une blessure à la moelle épinière, dont la condition nécessite des soins spécifiques pas toujours accessibles. Sans sa mère à son chevet, Samuel Bilodeau se demande dans quel état il serait ressorti de son récent séjour à l’Hôtel-Dieu de Lévis.


Le jeune homme de 21 ans de Saint-Michel de Bellechasse a été victime d’un accident de la route il y a quatre ans. Blessé à la moelle épinière, il est paralysé du torse aux orteils.

Dans la nuit du 19 au 20 septembre, Samuel a dû se rendre à l’hôpital en ambulance, aux prises avec une forte fièvre, des vomissements et des spasmes plus incontrôlables que jamais. 

L’infection qu’il soupçonnait se confirmera plus tard, à la prostate plus précisément, gracieuseté des autocathétérismes vésicaux qu’il doit faire pour uriner.

Le jeune homme aurait aimé être conduit à l’Hôpital de Montmagny, connu des blessés médullaires comme un établissement bien au fait des soins particuliers que requièrent ces patients. 

«Mais les ambulanciers m’ont dit que ce n’était pas possible, qu’ils devaient me transporter à l’Hôtel-Dieu de Lévis, même si l’Hôpital de Montmagny est situé à peu près à la même distance de chez nous», raconte-t-il.

À l’urgence de l’Hôtel-Dieu, Samuel reste couché sur la civière des ambulanciers en attendant que sa mère lui apporte sa chaise roulante. Au personnel, il explique en détail sa condition et ses besoins. Il lui faudrait notamment une civière avec un matelas adapté afin de prévenir les plaies de pression, dont les blessés médullaires sont particulièrement à risque. 

On ne lui en fournira pas. «Ils nous ont dit qu’il y en avait juste une dans toute l’urgence, et qu’ils ne savaient pas où elle était, qu’elle était probablement déjà occupée vu que l’urgence était pleine», rapporte le jeune homme.

Pas d’oreillers

Samuel dit avoir passé cinq heures dans la salle d’attente de l’urgence avant d’être amené «en arrière» et placé sur une civière «normale», dans le corridor. 

Le jeune patient devait être mobilisé «maximum aux deux heures», toujours pour éviter la formation de plaies de pression, mais il ne sera changé de positions par le personnel que durant sa dernière nuit à l’urgence, où il est demeuré 48 heures avant de monter à l’étage. 

C’est sa mère qui a dû jusque-là se charger des indispensables mobilisations, tout en se «démenant» pour lui obtenir un matelas adapté à sa condition.

Samuel avait aussi besoin d’oreillers à installer sous ses jambes spasmodiques, question d’éviter les frottements de ses talons contre le matelas dur de sa civière et éventuellement les fameuses plaies de pression.

Là encore, ce ne sera pas possible. «Ils n’en avaient pas à me donner. Ils m’ont finalement apporté deux poches de soluté» en guise d’oreillers, raconte celui qui dit avoir eu l’impression d’être «dans un hôpital d’un autre pays».

Pas de matelas à air

Juste avant de monter à l’étage, Samuel a obtenu un matelas orthopédique en mousse, bien qu’il lui en aurait fallu un «à air» comme il y en a à l’Hôpital de Montmagny, spécialement conçu pour prévenir les plaies de pression, explique-t-il.

«Quand je suis monté à l’étage, malgré mes demandes, j’avais un lit ordinaire, sans matelas orthopédique. Ça a été au soir, quasiment dans la nuit, avant qu’ils m’amènent un matelas orthopédique en mousse, et au lendemain après-midi avant que j’aie un matelas adapté à ma condition [à air]», relate le jeune homme.

Un détail qui peut paraître insignifiant aux yeux de certains, mais pour un patient comme lui, ce genre d’équipement est indispensable, insiste-t-il.

«Des plaies de pression, ça aurait bien plus nui à ma condition que la raison pour laquelle je suis rentré à l’urgence au départ. Des plaies de pression, ça dure dans le temps. Certains ne sont même jamais capables de s’en débarrasser», souligne celui qui obtiendra finalement son congé de l’hôpital le dimanche, six jours après son arrivée. «J’avais des rougeurs, des débuts de plaies, mais heureusement, ça s’est résorbé assez vite quand j’ai pu rentrer et recommencer à me mobiliser moi-même», témoigne-t-il, soulagé.

«Ma famille ne sera pas toujours là!»

Il n’empêche, l’expérience qu’il a vécue à l’Hôtel-Dieu de Lévis l’a troublé. «Dès que je suis arrivé, je voulais repartir. Je trouvais que ça me mettait plus en danger qu’autre chose d’être là», surtout qu’il y avait en plus une éclosion de COVID-19 sur son étage, confie celui qui se demande ce qu’il aurait fait sans sa mère et sa famille.

«Ce qui me fait capoter, c’est qu’ils [les membres de sa famille] ne seront pas toujours là», fait valoir Samuel, dont la mère a aussi dû se charger de lui prodiguer ses soins intestinaux. 

«Ils ne savaient pas comment faire ça à l’hôpital. Comme ils ne connaissaient pas non plus la pompe que j’ai sur le ventre pour injecter par cathéter des médicaments pour contrôler mes spasmes [et qui aurait pu être à l’origine de son infection]. En fait, ils ne connaissaient rien de ma condition, et si la majorité se montrait ouverte à la connaître, certains ne l’étaient pas, ne m’écoutaient pas ou ne me croyaient pas», se désole-t-il.

Pour autant, Samuel n’en veut pas au personnel, qu’il a vu «débordé» et «à la course partout tout le temps». «C’est le système le problème, plus que les gens qui travaillent dedans», résume-t-il.

Plus de sensibilisation

C’est aussi le constat d’Ariane Gauthier-Tremblay, de Moelle épinière et motricité Québec (Mémo-Qc). 

Selon elle, l’expérience vécue par Samuel Bilodeau illustre bien les situations «récurrentes» auxquelles sont confrontés les blessés médullaires dans les hôpitaux, où leur santé, leur dignité et leurs acquis «durement gagnés» sont trop souvent «mis en péril», faute de personnel préparé et formé pour les accueillir.

«La grande hantise de nos membres, c’est de ressortir de l’hôpital avec des plaies de pression. Que le séjour à l’hôpital soit prolongé des semaines, des mois, et après de devoir rester couché 24 heures sur 24 pour que la plaie se résorbe, une plaie qui va parfois s’étendre jusqu’au muscle ou jusqu’à l’os, avec tous les risques de septicémie que ça comporte», expose Mme Gauthier-Tremblay.

Malheureusement, les établissements de santé sont «peu préventifs là-dessus, par manque de sensibilisation, mais aussi par manque de personnel», déplore l’organisatrice communautaire de Mémo-Qc.

«Il appartient aux centres d’expertise des blessures médullaires [comme celui de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus] de s’assurer qu’il y ait des protocoles de soins et de prévention des complications adéquats dans tous les établissements de santé. Parce que réduire les complications, ça réduit les coûts de santé et ça réduit l’engorgement dans les hôpitaux», souligne Ariane Gauthier-Tremblay.

Les explications du CISSS de Chaudières-Appalaches, en bref:

- L’établissement ne commente pas de cas particulier.

- Les employés des urgences sont formés pour ce type de pathologie. «Ils ont toute la formation nécessaire afin d’offrir des soins de qualité et pour la mobilisation des usagers dans cette situation», assure-t-on.

- L’Hôtel-Dieu de Lévis a deux civières équipées pour ces patients. «Un rappel a été fait à ce sujet à la mi-septembre.»

- Pour la procédure de transports vers un hôpital ou un autre, les critères sont, entre autres : la distance de l’hôpital receveur, les missions de l’établissement et ses ressources disponibles ainsi que la gestion «efficiente» des véhicules ambulanciers.