Les faits
Dans l’ensemble, tout indique que oui, le bambou est habituellement une solution plus écologique que beaucoup d’autres matériaux. Mais comme on va le voir, le contexte et les points de comparaison que l’on retient peuvent faire une différence énorme — comme c’est d’ailleurs toujours le cas dans les «analyses de cycle de vie», où l’on tente de mesurer tous les impacts environnementaux d’un produit, de l’extraction des matières premières jusqu’à ce qu’il devienne un déchet.
C’est généralement pour ses très faibles émissions de carbone (voire sa capacité à en stocker) que le bambou est vanté comme un matériau «vert». Comme pour n’importe quel autre biomatériau, le carbone du bambou fait déjà partie du «cycle du carbone» de la Terre, dans lequel les plantes captent du CO2 dans l’air et l’y retournent quand elles meurent et se décomposent. Contrairement aux plastiques, qui sont issus du pétrole et qui impliquent de pomper du carbone qui était enfoui sous terre depuis des centaines de millions d’années, le bambou n’ajoute pas de carbone additionnel au cycle. Et quand on s’en sert pour remplacer le béton ou l’acier dans des ouvrages de construction, cela peut même sortir du carbone du cycle pendant des décennies, voire des siècles. C’est le même principe que pour les gigantesques colonnes de bois lamellé-collé qui soutiennent le Centre Vidéotron.
On a d’excellentes raisons de croire que, comparé à d’autres matériaux de construction plus traditionnels, cela fonctionne. Par exemple, une étude menée en Colombie et parue en 2018 dans Sustainability a trouvé qu’à superficie égale, les planches de bambou (pas laminées, car certaines essences sont assez larges pour cela) émettent environ 60 % moins de gaz à effet de serre (GES) que la brique et le béton pour les maisons à un étage, et que pour les édifices de plusieurs étages, le laminé-collé de bambou avait un avantage de plus de 80 %. Dans une autre étude [http://bitly.ws/x3yw] comparant des abris fabriqués pour les survivants de catastrophes naturelles, le même groupe de recherche a même conclu que le bambou était non seulement préférable (en moyenne) à l’acier et au béton, mais qu’il était aussi plus vert que le bois.
«On peut présumer que la fabrication de laminé de bois et de bambou est à peu près équivalente d’un point de vue environnemental, et leurs performances mécaniques sont très similaires, dit Edwin Zea Escamilla, co-auteur de l’article et chercheur à l’Institut fédéral de technologie de Zurich. Cependant, quand on tient aussi compte du carbone biogénique et des puits de carbones, on observe une bonne différence entre le bois et le bambou. Celui-ci ne prend qu’environ quatre ans à grandir, contre autour de 30 ans pour les arbres [NDLR : le bambou capte donc le CO2 dans l’air à un rythme plus rapide que les arbres]. De plus, les forêts de bambous ne sont jamais rasées, il n’y a qu’environ 25 % des cannes qui sont récoltées chaque année [NDLR : ce qui signifie que les cultures de bambou sont toujours des puits de carbone alors que, après une coupe franche, le sol d’une forêt devient un émetteur de carbone].»
Plusieurs études et revues de littérature vont essentiellement dans le même sens, même si certains facteurs peuvent réduire ses avantages. Il est donc acquis que le bambou est bel et bien «écolo».
Cela dit, cependant, il faut prendre cela comme une tendance générale, pas comme une règle absolue, parce que des tonnes de facteurs peuvent influencer le résultat final — type d’énergie utilisé lors de la fabrication/transformation, distance de transport, ce qui arrive au produit en bout de course (enfouissement ou incinération avec/sans production d’électricité), etc.
Une partie des avantages du bambou, note M. Escamilla, est qu’il est souvent abondant «dans les régions [à forte croissance démographique et économique] où la construction de nouveaux édifices est une priorité». Dans son article sur les abris, d’ailleurs, le transport du bambou pesait en moyenne plus de 20 fois moins lourd que celui des autres matériaux. Il est donc possible que dans un contexte comme celui du Québec, où il y a du bois partout, importer des grosses structures en bambou sur de grandes distances ne serait probablement pas très avantageux.
Au-delà des matériaux de construction, des études ont aussi été faites sur le bambou dans toutes sortes de produits d’usage quotidien. Dans l’ensemble, il semble être une option moins polluante que les plastiques — même pour les serviettes hygiéniques! —, mais encore ici, le diable se cache parfois dans les détails. À preuve, une étude publiée en 2020 dans le British Dental Journal a trouvé que les brosses à dents en plastique à bout remplaçable étaient (pour peu qu’on s’en serve assez longtemps), aussi écolo sinon plus que les brosses à dents en bambou — même si celles-ci étaient clairement préférables aux brosses électriques et aux brosses à dents de plastique «classiques».
Verdict
Vrai dans l’ensemble. Les analyses du cycle de vie sont toujours très, très sensibles à des tonnes de facteurs très concrets et très locaux, mais globalement les études indiquent que le bambou est plus écologique que beaucoup de matériaux, surtout s’il remplace les plastiques.
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