Chronique|

L’inquiétant solo de la juge Rondeau

La juge en chef de la Cour du Québec, Lucie Rondeau, a instauré une réforme faisant en sorte que les quelque 160 juges de la Chambre criminelle et pénale siègent moins qu’avant depuis cet automne. 

CHRONIQUE / Il faut dénoncer le solo de la grande patronne de la Cour du Québec, Lucie Rondeau. Elle ne devait pas, comme elle l’a fait, prendre une décision de nature administrative sans tenir compte de son impact sur l’ensemble de la société québécoise.


Elle ne pouvait pas et ne peut pas demeurer sourde aux doléances du gouvernement du Québec — qui représente tout de même ici l’intérêt général — lorsqu'il lui demande encore une fois de surseoir à une décision qui menace de faire dérailler des milliers de procès.

Elle ne peut pas se réfugier derrière l’indépendance de la Justice pour faire cavalier seul.

Rappel : la juge en chef de la Cour du Québec a instauré une réforme faisant en sorte que les quelque 160 juges de la Chambre criminelle et pénale siègent moins qu’avant depuis cet automne. Ils délibèrent une journée pour chaque journée de banc, alors qu’ils siégeaient jusqu’à récemment deux jours et délibéraient la troisième journée. Le ratio a changé.

Lucie Rondeau a plaidé que ce changement était nécessaire compte tenu de la complexité toujours plus grande du droit criminel et pénal.

Les juges ne chôment pas, convenons-en.

Mais la coupe est drastique.

Pour compenser le nombre de jours de banc en moins, la juge Rondeau a exigé du gouvernement du Québec, en décembre 2021, qu’il nomme 41 juges supplémentaires pour cet automne.

Mais c’était impossible à faire dans ce trop court délai, délai qu’elle a fixé unilatéralement.

Au printemps, le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, lui avait déjà demandé de suspendre temporairement la mise en place de la réorganisation du travail des juges parce que, justement, l’ajout exigé implique des modifications législatives, donc, du temps. (Du temps et des budgets, pourrait-on ajouter. Depuis juillet, les juges de la Cour du Québec gagnent 310 000 $, alors que leur traitement était de 254 518 $ depuis 2018.)

Simon Jolin-Barrette veut aussi que les «ressources supplémentaires» qui seront ajoutées se «traduisent en gains d’efficacité».

Il a réitéré sa position ce mercredi à la suite d’un dossier paru dans La Presse sur toute cette question.

Le nouvel horaire de ces 160 juges est malheureusement en vigueur depuis septembre.

Résultat : les délais pour entendre les causes s’allongent, ce qui entraînera fatalement l’arrêt des procédures dans de très nombreux dossiers. Depuis l’arrêt Jordan, il existe en effet des délais à ne pas dépasser pour rendre justice et c’est normal.

Ce nouvel horaire des juges de la Chambre criminelle et pénale ajoute considérablement aux difficultés déjà grandes que vivait le système judiciaire. Dans les palais de justice, on manque de toutes sortes de ressources. De greffiers, par exemple. Ils sont insuffisamment payés.

De façon plus large, pour cesser d’être engorgé, le système judiciaire au Québec a besoin d’élargir les possibilités de médiation — une médiation dont ont été incapables le ministre Simon Jolin-Barrette et la juge en chef de la Cour du Québec.

Que les deux soient à couteaux tirés depuis assez longtemps, c’est une chose. Mais, dans cette histoire, l’intransigeance de la juge en chef aura déjà rendu un bien mauvais service à des victimes et aux justiciables en général.

Mme Rondeau aurait dû accepter un report et une modulation dans le temps de l’implantation de son nouvel horaire. Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Au ministre Jolin-Barrette, cependant, de s’engager à lui offrir certaines garanties pour le futur.