Un troupeau de vaches en cavale fait des ravages

Un troupeau de vaches en liberté n’en fait qu’à sa tête dans les environs de Saint-Barnabé, Saint-Sévère et Yamachiche.

Après s’être échappées de leur enclos il y a quelques semaines, à Saint-Barnabé au nord de Trois-Rivières, une vingtaine de vaches seraient en voie de retourner à l’état sauvage – «elles sautent les clôtures comme des chevreuils», racontent des témoins. La chose serait risible si les fugitives ne semaient pas la dévastation dans des cultures à la tombée de la nuit. Pendant qu’autorités et ministères se renvoient la balle sur la responsabilité de chacun, le troupeau est toujours au large, caché dans les bois le jour venu, et les dommages se chiffreraient par dizaines de milliers de dollars.


Les vagabondes auraient été aperçues à la lisière de la forêt, rang Saint-François-de-Pique-Dur, dans la municipalité de Saint-Sévère, vers la fin juillet. Rapidement, les cultivateurs ont constaté que les champs de soja étaient piétinés et que les têtes d’épis de maïs étaient mangées.

«Il devait y en avoir une quinzaine au début, puis il y en a qui ont vêlé. Il y en a peut-être une vingtaine asteure... On la trouve pas drôle», confie un fermier. Les voisins, des éleveurs pour la plupart, ont bien tenté de rassembler le troupeau, mais en vain. Au contact des coyotes et de la vie sauvage, les bêtes seraient devenues méfiantes et refuseraient de collaborer.



Il semblerait par ailleurs que le propriétaire des vaches soit dépassé par les événements et qu’il traverse une période difficile. Pris au dépourvu devant la situation, les cultivateurs se sont tournés vers les autorités municipales.

Toute autre tâche connexe

À l’hôtel de ville de Saint-Sévère, village de quelques centaines d’âmes, la directrice générale Marie-Andrée Cadorette carbure aux défis. Les ressources sont limitées dans la petite municipalité et la débrouillardise est une maxime du quotidien. Mais la «saga des vaches» continue d’être un casse-tête sans solution.

«Ces vaches sont arrivées sur notre territoire durant les vacances de la construction», relate la directrice générale. Flanquée du maire Jean-Yves St-Arnaud et de la conseillère municipale Jacinthe Noël, elle explique que tant que les bêtes s’en tenaient aux cultures, les autorités pouvaient difficilement intervenir. «C’était sur des terrains privés», expose-t-elle empathique.

Rompus au travail agricole, deux élus ont bien tenté de prêter main-forte dans la capture des bêtes, mais les récalcitrantes ne l’entendaient pas ainsi. Toujours la nuit le grabuge a continué, toujours vers la forêt le troupeau retraitait avec les rayons du soleil.



Les vaches fugitives ne sortent des boisés qu’à la tombée de la nuit.

De vagues mises en demeure auraient été envoyées au propriétaire fautif. D’autres recours seraient envisagés, mais sans plus. La chose aurait pu durer longtemps ainsi si la cavale des bovins ne s’était pas transportée sur la Principale...

Danger public

«Quand on nous a appelés en octobre, c’est que là, elles se promenaient de plus en plus sur le chemin. Là on pouvait intervenir. Frappez une vache le soir à 50 km/h, il y a des grosses chances que vous y restiez», pointe le maire St-Arnaud. «Puis on va se le dire, ça roule pas mal plus qu’à 50! C’est comme frapper un orignal», renchérit sa directrice générale.

«Avec le froid qui arrivait, les taures étaient de plus en plus proches des maisons privées, des fois elles étaient à côté des modules d’enfants dans la cour, elles traversent la rue... Nous, la dernière chose qu’on veut, c’est une maman qui nous appelle pour nous dire que son jeune de 16 ans a frappé une vache avec son Civic», continue Mme Cadorette.

La situation étant désormais entendue comme un enjeu de sécurité publique, la directrice générale prend les choses en main.

La fonctionnaire appelle d’abord la municipalité voisine de Saint-Barnabé. Celle-ci ne peut pas faire grand-chose, sinon d’aviser le propriétaire des bêtes de sécuriser ses enclos – rien qui ne ramènera cependant les vaches au bercail.

Le ministère de l’Agriculture (MAPAQ) est ensuite interpellé. «Je me suis dit que j’allais prendre le levier de la cruauté animale, puisque ces vaches-là n’ont plus rien à manger, s’abreuvent dans les ruisseaux, il y a des petits veaux là-dedans», énumère Marie-Andrée Cadorette.



Le MAPAQ se serait toutefois limité à proposer d’émettre un constat à l’endroit du propriétaire des vaches. Aucune mesure concrète pour récupérer le bétail. On lui suggère alors de contacter le ministère de la Faune – «nous, on n’a pas ça de fléchettes tranquillisantes, qu’ils m’ont dit».

Il semblerait que les bêtes délinquantes apprécie particulièrement les têtes de maïs, laissant le reste des grains à pourrir.

Le ministère de la Faune plaide à son tour que les bovins ne sont pas des animaux sauvages. «Ils m’ont dit d’appeler la SPA», poursuit la directrice générale.

«La SPA a ri un peu de moi. Ils m’ont dit ‘‘voyons donc! J’irai pas chercher 30 vaches! Ce n’est pas des animaux domestiques, c’est des animaux d’élevage... Appelez le MAPAQ!’’»

Quelque 40 minutes se seraient ainsi écoulées, de téléphone en téléphone, pour retourner à la case départ. «Le MAPAQ m’a dit ‘‘je pense que ce qu’il vous reste à faire, c’est de les abattre’’», souffle une Marie-Andrée Cadorette encore éberluée.

«Je leur dis, c’est qui ça ‘‘vous?’’... Ils me répondent ‘‘la Municipalité’’... La Municipalité c’est moi, en robe puis en talon aiguille... Je ne vais pas à la chasse aux vaches!», s’exclame la fonctionnaire.

Qui plus est, on aurait refusé d’émettre une lettre exonérant la Municipalité de toute responsabilité si elle allait de l’avant, en embauchant des chasseurs, par exemple. «Elle me dit ‘‘demandez à la SQ de les abattre’’», relate Mme Cadorette. La Sûreté du Québec aurait toutefois refusé de recourir aux armes sans qu’une situation d’urgence immédiate soit portée à son attention, indique-t-elle.

Le corps policier confirme ne pas s’être avancé dans une opération visant à capturer les bêtes. «Nous avons échangé des informations sur leur localisation [...] Il ne s’agit que des démarches d’assistance à des organismes en ce qui concerne notre implication dans cette situation», nous écrit-on.

«Je me suis dit que c’était peut-être le temps de passer au plan Z...», expose la directrice générale.



Les vaches errantes causent de lourds dommages en piétinant les champs.

«Appelez les cowboys!»

À bout de ressources et de solutions, Marie-Andrée Cadorette décroche à nouveau le téléphone et appelle les gens du Festival western de Saint-Tite. Les lassos feront peut-être l’affaire.

L’accueil est chaleureux. On promet la livraison de grandes clôtures et l’arrivée prochaine d’une équipe de cowboys. «Ils ont été vraiment aidants et proactifs. Je leur ai dit que le MAPAQ a trouvé ça ben loufoque, mais ils m’ont dit que dans l’Ouest canadien, ça se faisait tous les jours.»

Le 30 octobre, les cowboys débarquent. Huit à cheval, un autre aux commandes d’un drone.

L’entreprise est en voie d’être un succès, les fugitives sont rassemblées et patiemment guidées vers l’enclos de rodéo érigé pour l’occasion. C’était cependant sans compter sur un champ de maïs qui n’avait pas encore été récolté et qui s’est avéré une dernière chance pour les bêtes de reprendre le large.

Des heures durant l’équipée va poursuivre le troupeau. «Il n’y avait plus rien à faire, on s’entend que le maïs était plus haut que les vaches». La fonctionnaire et les élus estiment que les cowboys ont parcouru une quarantaine de kilomètres dans la journée.

«Ils étaient vraiment déçus, ils pensaient être capables de les attraper. Ils nous ont proposé de revenir quand le maïs serait coupé... Mais depuis ce jour, le maïs a été coupé, mais elles ne sont plus ici», glisse la directrice générale.

Des cowboys venus de Saint-Tite ont tenté en vain de capturer les bêtes récalcitrantes.

Errances et rumeurs

Sur le terrain, les vaches auraient été aperçues à Yamachiche, plus au sud. Le maire Paul Carbonneau confirme avoir eu vent de l’affaire. Des employés municipaux auraient même vérifié que les bovins n’obstruaient pas la voie publique, mais aucune bête n’était en vue.

D’autres avancent qu’une partie du troupeau serait retournée vers son enclos d’origine, poussée par le froid et les premiers flocons. Le propriétaire n’a cependant pas pu être rejoint pour commenter la rumeur.

Un agriculteur de Saint-Sévère a repéré quelques traces fraîches dans la neige, lundi matin autour de ses installations... une vache solitaire, pense-t-il. Une portion du plastique d’emballage de son foin avait été déchiré, dernière stratégie des délinquantes pour se nourrir, les champs ayant été dépouillés de leur récolte.

Pour le reste, le relief du paysage est fait d’étendues ondulantes et de boisés. Et le fleuve reste loin. Les bêtes ont mille endroits où se cacher en attendant la nuit. Et courir longtemps encore.