L’opposition lévisienne perd patience

Le conseiller Serge Bonin

Absence de suivis, documents cruciaux inaccessibles et sympathie de façade : l’opposition municipale de Lévis n’a plus de patience pour «l’obstruction» et «l’isolement» de Gilles Lehouillier et de son équipe.


«Il y a un réflexe démocratique est qui a disparu à Lévis», diagnostique le conseiller Serge Bonin. Pour la première fois depuis 2008, un parti organisé autre que celui du maire est présent à l’hôtel de ville de Lévis. Mais la culture de l’opposition, elle, est plus qu’absente, déplore l’élu de Repensons Lévis. 

À l’aube du dépôt du budget, le seul élu qui ne fait pas partie de l’équipe du maire a lancé un cri du cœur. «Aujourd’hui, je me dois de signaler que notre désir de collégialité ne semble pas réciproque», a noté solennellement Serge Bonin, avant d’entamer la liste des dossiers où aucun suivi n’a été assuré par le maire ou son équipe.

Plan triennal d’immobilisation, odeurs chez Sanimax, droit des oppositions et recommandations sur le rapport budgétaire : «On n’a pas obtenu les réponses qu’on pense être en droit d’obtenir», tranche le conseiller de Repensons Lévis. Et ce malgré «plusieurs courriels, relances et rappels». 

Le parti d’opposition affirme même avoir dû formuler des demandes d’accès à l’information pour mettre la main sur des documents qu’elle juge nécessaires à l’étude du budget, qui doit débuter dans les prochaines semaines. 

Il n’aurait, entre autres, pas été en mesure de mettre la main sur le résumé des demandes faites par les 17 directions lévisiennes en vue du budget pour étaler leurs besoins et leurs priorités. «J’estime qu’en tant que conseiller, je dois pouvoir avoir accès à ce document. Je ne devrais pas avoir à utiliser la Loi d’accès à l’information pour pouvoir prendre une décision éclairée».

Serge Bonin reconnaît que Gilles Lehouillier et ses conseillers sont «aimables, sympathiques et ouverts» en public ou en rencontres individuelles, mais que les paroles s’envolent sans que les gestes suivent. 

«Je tends la main, on me la renvoie en public. Mais derrière les portes closes, on m’oublie», a résumé M. Bonin, qui juge que cet «isolement» est le fruit de «décisions politiques» du maire. «Le manque d’intégration est réel, et il [nous] empêche de jouer notre rôle».

«Je sens que la commande politique, c’est : “on n’écrit rien, on ne confirme rien, on peut lui parler un peu, mais faites attention à ce que vous dites”», s’est finalement désolé l’élu.

Lévis «moins inclusive» politiquement

À plusieurs reprises, Serge Bonin a souligné à traits gras que les choses se passent de manières bien différentes dans d’autres villes du Québec. «La politique que je vois dans les autres villes est plus inclusive, a affirmé l’élu. À Longueuil, le seul conseiller d’opposition fait partie du comité des finances. À Gatineau, à Sherbrooke, à Québec et ailleurs, on a des processus ouverts, même pour les oppositions.»

Et bien qu’il reconnaisse que chaque conseil municipal ait ses façons de faire et ses dynamiques, le conseiller de Saint-Étienne juge que Lévis doit s’élever pour être à la hauteur de son rôle de grande ville. 

«De la part de l’équipe qui dirige la septième ville en importance au Québec, on s’attend à des réponses écrites à nos demandes, à obtenir les documents auxquels on a le droit et besoin», a-t-il tonné.

«On se parle, on est sur le coin de la table, mais dans une ville de 150 000 habitants où […] 35 % des gens ont une autre où 35 % des gens ont une autre opinion, il faut reconsidérer la chose, a sommé Serge Bonin. Ça manque de reconnaissance envers ce qu’est l’opposition».

«Du vent», réplique Lehouillier

Le maire a une tout autre lecture de la situation. Lors d’une entrevue avec Le Soleil visant à «démêler le vrai du faux», Gilles Lehouillier a estimé qu’il s’agissait d’un «faux problème». «M. Bonin n’a ni plus ni moins d’informations que les autres élus, assure-t-il. Je pense que c’est du vent. Ça ne vaut pas cher, et je pense qu’il fait fausse route».  

Celui qui dirige Lévis depuis 2013 jure n’avoir «aucun problème» avec l’arrivée d’un parti d’opposition. Il rappelle qu’il a lui-même dirigé l’opposition lévisienne au tournant des années 2000, alors que Jean Garon était à la tête de la Ville. «Je suis tout à fait disposé à vivre avec une opposition. Si M. Bonin m’appelle, je vais répondre», a promis Gilles Lehouillier. «Je suis très prodémocratique, très protransparence.»

Quant à une présumée «absence de réflexe démocratique», le maire de Lévis n’y souscrit pas du tout. «Vous savez, on est une des villes du Québec qui consulte le plus», a insisté M. Lehouillier. 

«M. Bonin est un conseiller aussi important que les quatorze autres, ni plus, ni moins. Et il a les mêmes documents.»

Une sortie à saveur d’élection partielle

La sortie médiatique de Repensons Lévis, qui s’est montré plutôt discret et contenu depuis le dernier scrutin, survient alors que le parti va tenter d’installer un deuxième élu à la table du conseil. 

Le maire Lehouillier trace un lien direct entre le scrutin à venir et la sortie de l’opposition. «On sort les épouvantails parce qu’il y a une campagne électorale qui arrive, analyse-t-il. [M. Bonin et Repensons Lévis] ont voulu faire du bruit. C’est la seule chose que je peux décoder.»

En février, les électeurs du district Christ-Roi seront appelés aux urnes à la suite de la démission de la conseillère André Kronstrom, qui était dans l’équipe du maire. Et si l’opposition n’a pas encore désigné de candidat, elle est bien déterminée à ravir le siège. 

Si Repensons Lévis remporte le scrutin à venir, ses représentants pourront forcer le vote sur leurs propositions lors des conseils municipaux, imposant aux élus de Lévis Force 10 de se positionner publiquement. 

«J’appelle tous les gens de Christ-Roi à comprendre que les débats peuvent avoir lieu publiquement ici à Lévis, a plaidé Serge Bonin. C’est un pas majeur pour la démocratie d’avoir une deuxième voix qui vient amener un autre point de vue.» 

Dans ce contexte, le conseiller municipal a reconnu que la sortie avait des visées politiques. «La joute politique, elle existe. Je ne m’en cache pas. Aujourd’hui, il y a une conférence de presse : c’est une joute politique, a-t-il convenu. [Mais] je ne juge pas les gens, je juge les comportements [qui] ne sont pas inclusifs», a-t-il conclu.