«Il était 12h05 le jeudi 15 septembre dernier lorsque notre employeur nous a demandé de quitter notre emploi dans les 5 minutes qui suivaient. Depuis, nous n’avons plus accès au territoire du port de Québec», commence Stephan Arsenault. Le président du syndicat des débardeurs de Québec pose en quelques mots le nœud du problème. Depuis plus de deux mois, ses membres sont en lock-out.
Un vieux métier indispensable
Un débardeur charge et décharge les bateaux. À Québec, c’est essentiellement du trafic de vrac. De très gros navires qui ne peuvent remonter le Saint-Laurent plus haut à cause de la profondeur du fleuve déposent leur marchandise sur le rivage. Celle-ci est ensuite rechargée sur de plus petits navires pour continuer son chemin vers les Grands Lacs.
«Notre travail est peu connu, mais il existe depuis toujours. En boutade, je dis souvent que c’est le deuxième plus vieux métier du monde», poursuit Stephan Arsenault. Comme l’immense majorité des biens con-sommés dans le monde passe à un moment ou à un autre de leur vie par la voie des mers, les débardeurs sont un maillon fondamental de l’économie.
Un contexte particulier au port de Québec
«Nous sommes 81 débardeurs actuellement à Québec, notre employeur est la Société des Arrimeurs de Québec (SAQ) et non pas le Port de Québec», précise le président du syndicat. La SAQ est une association d’employeurs fondée en 1996. Aujourd’hui, elle est contrôlée quasi complètement par l’entreprise QSL qui génère 95 % du travail des débardeurs.
Ailleurs dans la province, c’est l’Association des employeurs maritimes (AEM), société créee en 1969 afin de mieux gérer les relations de travail entre les compagnies maritimes et les employés portuaires. Ce qui ne semble plus être le rôle choisi par la Société des Arrimeurs à Québec qui a pourtant pris la suite au départ de L’AEM.
La dernière convention collective arrivait à échéance le 31 mai 2022. Dès le début des négociations sur le renouvellement, le syndicat s’est senti seul à la table. L’employeur ne donnait pas l’impression de vouloir se rapprocher de la position des débardeurs. Malgré une conciliation, rien n’a avancé avant le 11 septembre, date où les moyens de pression pouvaient commencer. Quatre jours plus tard, la SAQ décrétait un lock-out.
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Des demandes légitimes
Les demandes syndicales semblent pourtant très raisonnables. « Nous voulons créer des conditions qui permettent une conciliation travail, famille, loisirs », décrit Stephan Arsenault. Actuellement, un débardeur doit être disponible 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. Il ne connaît son horaire pour le lendemain que vers 16 h la veille. Il est à la merci des arrivées des bateaux.
«Parfois, nous travaillons plus de 60 jours en ligne. Les plus jeunes n’ont pas de congé, un week-end par mois pour les plus anciens. Ce ne sont pas des conditions qui permettent le recrutement d’une relève. Comme l’hiver, le travail est moindre, l’employeur considère que c’est suffisant comme congés», détaille le représentant des débardeurs.
Le syndicat demande un horaire mensuel avec des jours fixes de travail. «Comment organiser une vie de famille, quand on est constamment pendu au téléphone sans savoir si on va travailler ou pas», ajoute Stephan Arsenault. Ces trois dernières années, une vingtaine de débardeurs ont été engagés, plus de la moitié sont vite repartis.
David contre Goliath
« QSL veut encore maximiser le travail en mettant en place deux quarts de 12 heures plutôt que trois de 8 heures comme maintenant. C’est destructeur pour la vie personnelle de nos membres.» Les négociations continuent, mais le président du syndicat des débardeurs a l’impression que l’employeur tarde à entrer dans le vif du sujet, qu’il fait durer le conflit.
«Nous sommes dans un combat inégalitaire, l’employeur bénéficie d’avantages considérables. Comme nous œuvrons sur un terrain fédéral, le Code du travail québécois qui interdit les briseurs de grève ne s’applique pas», poursuit le syndicaliste. QSL, qui opère sous plusieurs autres noms ailleurs, fait venir des travailleurs d’un peu partout, au Québec, d’Halifax et même d’Oshawa en Ontario pour continuer une partie de ses activités.
«Nous bénéficions d’une accréditation géographique du gouvernement comme débardeurs. Notre employeur n’en a que faire et profite de la législation fédérale pour nous écarter. On sent une volonté d’écraser le syndicat et d’imposer leurs conditions. Et cela en mettant en danger tant l’intégrité du matériel que la santé des travailleurs qui ne connaissent pas bien ni les lieux ni le travail spécifique d’un débardeur», conclut Stephan Arsenault.