Patates Dolbec : culture d'innovation

Fondée en 1967, Patates Dolbec produit maintenant 40 000 tonnes de patates par année, l’équivalent de 8,8 millions de sacs de 10 livres.

Hugo d’Astous parle ouvertement de sa «maladie». Celle de tout vouloir automatiser. Ou presque.


«Pourquoi une machine ne pourrait-elle pas mieux faire le travail qu’un humain? L’automatisation et la robotisation doivent être au service des gens. Automatisons et robotisons toutes les tâches qui sont répétitives et dangereuses pour la santé et la sécurité des travailleurs — ces derniers étant plus rares que jamais à vouloir les faire —, et permettons à ces hommes et à ces femmes de s’épanouir dans l’exécution d’une besogne plus valorisante.»

Sa «maladie», le directeur général de Patates Dolbec s’efforce de la transmettre aux 125 employés de l’entreprise familiale de Saint-Ubalde, dans la région de Portneuf. Il veut voir émerger des «champions» de l’innovation au sein du plus important producteur et emballeur de pommes de terre de l’est du Canada. Patates Dolbec, fondée en 1967 par Herman et Francine Dolbec, produit 40 000 tonnes de patates par année, soit l’équivalent de 8,8 millions de sacs de 10 livres.

«Pour lancer des projets — car les opportunités d’amélioration vont toujours être présentes —, j’ai constitué une équipe composée d’un ingénieur électrique et d’électromécaniciens. Des collègues résolument tournés vers l’amélioration continue et qui comprennent le fonctionnement des machines. Malheureusement, des électromécaniciens, nous en formons trop peu dans nos écoles. Nous sommes obligés d’aller en recruter à Madagascar. Le secteur manufacturier au Québec veut s’automatiser, mais il n’y a pas suffisamment de main-d’oeuvre spécialisée pour faire fonctionner les machines et pour les entretenir», déplore Hugo d’Astous.

Hugo d’Astous, directeur général de Patates Dolbec, une entreprise familiale de 125 employés de Saint-Ubalde, dans Portneuf

À l’arrivée de M. d’Astous à Saint-Ubalde, en 2014, Patates Dolbec n’avait rien d’une usine connectée, robotisée et intelligente. «La gestion de l’inventaire se faisait encore avec du papier et un crayon. Dans l’usine, il y avait des convoyeurs par-dessus d’autres convoyeurs. Les chariots élévateurs circulaient difficilement à travers l’amoncellement de machines.»

«Pour répondre à la demande grandissante de nos clients pour des patates de variétés et de grosseurs différentes, il fallait combler notre retard technologique en accroissant notre capacité de production et notre flexibilité. C’est simple, il fallait se moderniser si nous voulions rester en affaires. Et nous savions, à l’époque, que le phénomène de la rareté de main-d’oeuvre allait nous frapper de plein fouet.»

Stéphan Dolbec, président de Patates Dolbec et propriétaire de l’entreprise avec sa conjointe Josée Petitclerc, ainsi qu’Hugo d’Astous partent alors en mission à travers le monde pour dénicher les technologies de pointe qui permettront au producteur de pommes de terre de réaliser ses premiers pas menant à la transformation de ses installations désuètes en usine 4.0.

Usine d'emballage 4.0

En 2017, Patates Dolbec se dote d’un tout nouveau centre d’emballage, fruit d’un investissement de 12 millions $. Les patates sont lavées, brossées, inspectées par des trieurs optiques pour détecter les imperfections, classées selon leur variété et leur grosseur, réfrigérées dans un entrepôt entièrement robotisé, emballées, puis expédiées aux clients. Tout ça avec un minimum d’interventions humaines. Le chargement des sacs de 10 et de 50 livres de pommes de terre sur les palettes est exécuté par des robots.

«En 2016, nous emballions 70 millions de livres de pommes de terre par année. Aujourd’hui, nous en emballons 110 millions. Nous pourrons éventuellement en faire 120 millions», affirme Hugo d’Astous.



Grâce à l’automatisation de l’usine, il y a deux fois moins d’employés qu’auparavant qui inspectent manuellement les pommes de terre.

Il reste encore des hommes et des femmes à la table de triage pour inspecter manuellement les pommes de terre. Deux fois moins qu’auparavant, mais c’est encore trop au goût du directeur général.

«L’objectif est d’éliminer la table de triage et d’offrir des emplois plus valorisants à ceux et celles qui y travaillent», souligne-t-il en expliquant que le taux de fiabilité des trieurs optiques se situe à 70 %. «Les trieurs optiques ne parviennent pas toujours à reconnaître toutes les pommes de terre qui défilent devant eux, surtout les plus petites, car elles bougent beaucoup sur les convoyeurs. C’est pourquoi l’intervention humaine est encore nécessaire.»


Patates Dolbec fait équipe avec Vooban, une firme de Québec qui accompagne les organisations dans leurs projets d’intelligence artificielle et de transformation numérique, pour accroître la performance du système d’inspection visuelle. Les partenaires ont développé un algorithme entraîné pour reconnaître les petits bobos sur les tubercules à partir d’une trentaine de critères d’inspection, grâce à l’ajout de caméras en haute définition et d’un système sophistiqué de vision par ordinateur installé dans les trieurs optiques.

Les premiers résultats sont encourageants. «Huit fois sur dix, nous atteignons un taux d’efficacité de 95 %», se réjouit Hugo d’Astous.

Il n’y a pas si longtemps encore, plantée debout derrière un tapis roulant, Nathalie Frenette triait manuellement les patates. Aujourd’hui, bien au chaud dans une salle de contrôle, elle pianote sur son clavier. Son regard est dirigé vers des écrans épiant le parcours des pommes de terre sur les convoyeurs. Son travail est d’«entraîner» l’ordinateur à reconnaître les défauts sur les patates, et ce, à partir de 20 000 photos de tubercules ne correspondant pas aux critères de sélection, que l’appareil garde en mémoire.

«Je ne connaissais absolument rien au fonctionnement d’un trieur optique», témoigne celle qui travaille pour Patates Dolbec depuis 29 ans. L’opératrice affirme que ses nouvelles responsabilités l’enchantent. D’autant plus qu’elle a pu améliorer ses conditions de travail. «Moi, j’aime les nouveaux défis, et mon employeur a su répondre à mes attentes.»

Après des années à trier manuellement les patates, l’opératrice Nathalie Frenette «entraîne» désormais un ordinateur à reconnaître les défauts sur les patates.

En avant l'innovation!

Hugo d’Astous et ses «champions» de l’innovation planchent actuellement sur un projet visant à optimiser l’ensemble du processus de prise de décision au sein de l’entreprise, notamment en ce qui a trait à la planification et à la gestion des inventaires, jusqu’à la préparation des commandes. «La logique étant de toujours faire mieux que ce que nous faisons déjà.»

«L’ordinateur va prendre encore plus de place dans nos processus», résume-t-il. «Quand vient le temps de prendre une décision, il est toujours meilleur que l’humain. Nous n’avons pas la capacité de gérer en même temps des centaines de données et de contraintes multiples. L’ordinateur, lui, peut le faire.»

L’investissement pour ce projet combinant intelligence artificielle et algorithmes est d’un peu plus d’un million de dollars. M. d’Astous reconnaît que les coûts peuvent effrayer les PME à prendre le virage numérique. Surtout celles qui espèrent un retour sur l’investissement à court terme. «Moi, je peux simplement dire qu’en investissant aujourd’hui dans un robot, tu vas le payer en trois ans. Il va même te permettre d’imprimer de l’argent que tu pourras ensuite investir dans une autre initiative d’innovation.»

Par ailleurs, un projet avec l’Institut national d’optique (INO) passionne la direction de Patates Dolbec. Il s’inscrit dans la lutte aux doryphores, un insecte ressemblant à une coccinelle qui fait des ravages dans la culture de la pomme de terre.

Les producteurs doivent appliquer des insecticides sur les plants afin de prévenir l’apparition des doryphores. «Nous nous sommes rendu compte que les petites bestioles ne se pointent pas partout dans les champs, mais seulement à quelques endroits», explique Hugo d’Astous.

Le projet en cours suggère l’installation de lecteurs optiques sur les équipements d’épandage afin d’identifier précisément les plants sur lesquels s’activent les insectes et d’appliquer instantanément les insecticides dès qu’ils sont détectés. On pourrait ainsi réduire de 25 % l’utilisation d’insecticides pour combattre la présence de doryphores.

Au cours des dernières années, Patates Dolbec a investi plusieurs millions de dollars pour assurer l’irrigation des 10 000 acres de champs qu’elle possède dans une quinzaine de municipalités entre Québec et Trois-Rivières. Elle compte recourir de plus en plus à l’intelligence artificielle et aux modèles prévisionnels pour déterminer les bons moments pour arroser ses champs, et ainsi éviter les pertes de rendement causées par les périodes de sécheresse.