Autrement dit, pas du tout, mais ce matin, j’ai quand même vérifié mon inventaire de masques – des bleus, des roses, des noirs, des NK 95 blancs – et de désinfectant pour les mains. Comme on le fait encore dans certains lieux publics, j’offre depuis deux ans ces outils anti-méchants-virus à tous mes visiteurs. Il y a belle lurette que personne ne m’a dit «ah oui, super, merci».
Si la tendance se maintient, cela pourrait changer au cours des prochaines semaines.
À l’orée de l’hiver, des scientifiques évoquent la possibilité que nos poumons en prennent pour leur rhume cette année encore, et pas seulement en raison de la COVID-19. Qui dit poumons dit éternuments, écoulements, reniflements, guédille au nez, toux, maux de gorge, etc. Virus et bactéries squattent notre appareil respiratoire en ce temps de l’année.
Sans oublier que la vaccination stagne: seulement le quart des Québécois ont reçu toutes les doses de rappel. Les gens n’y croient plus. Et pourtant. Je suis vaccinée, j’ai eu la COVID-19 trois fois mais j’ai été très peu malade. C’était comme avoir le rhume, sans plus. Sans vaccins, les choses se seraient sans doute passées autrement.
Or, une tempête parfaite – qui ne fouettera pas que le ciel mais nos défenses naturelles – se prépare. L’immunité face à la COVID-19 régresse, les contacts progressent – c’est bientôt la saison des poignées de mains et embrassades – et les virus respiratoires s’apprêtent à nous sauter subitement dessus, comme la vérole sur le bas clergé breton (vieille expression française que j’affectionne).
Depuis quelques jours, des voix crédibles s’élèvent pour nous rappeler que le masque n’a rien perdu de sa pertinence et que la pression sera grandissante au cours des prochaines semaines pour le porter dans les endroits publics: centres commerciaux, transports collectifs, salles de réception, bars et autres salles d’attente. Nous connaissons la chanson mais nous préférons ne pas l’entendre.
Le Collège des médecins du Québec a rouvert le débat dimanche – masque/pas de masque – sur sa page Twitter. Il recommande le port du masque, sur une base volontaire, dans un but de prévention car trois types de virus respiratoires rôdent: la COVID-19, toujours présente, toujours potentiellement mortelle, les grippes saisonnières, ou influenza, qui tuent des centaines de Québécois chaque année et, la nouveauté dont on aurait pu se passer, des infections virales infantiles graves qui mobilisent tous les hôpitaux pour enfants en ce moment. Même de tout petits bébés sont à risque de se retrouver aux soins intensifs intubés et ventilés. L’horreur.
En Ontario, frappé par un tsunami d’enfants très malades, le premier ministre Doug Ford a lui-même encouragé la population dimanche à porter le masque de façon volontaire, ainsi que le chef de la Santé publique. Au Québec, au moment d’écrire ces lignes, un surprenant silence radio plane.
Personne n’évoque la possibilité d’imposer à nouveau le couvre-visage. Et puis, Éric Duhaime veille au grain: la recommandation du Collège des médecins l’a piqué au vif, même s’il n’est pas question d’obligation.
Les anti-masques – qui ne sont pas toujours des complotistes – ressortent déjà leurs histoires à dormir debout qui ne reposent sur aucun fait scientifique, sur aucune preuve. Que sur des anecdotes, répétées 1000 fois. Si le masque de procédure, le bleu, était dangereux, croyez-vous que les chirurgiens le porteraient en salle d’opération pendant des heures et des heures?
Mais il y a plus. L’individualisme a depuis longtemps pris le dessus sur la quête du bien commun. Après nous le déluge. Nous savons que le masque protège en partie celui qui le porte mais aussi et surtout les autres, ces gens que nous croisons, connus ou pas, et qui ont peut-être un nouveau-né vulnérable à la maison. Cette réalité quotidienne n’émeut trop peu.
Je lisais hier un commentaire sur les réseaux sociaux qui reflète bien une pensée en vogue: «Si vous pensez que je vais laisser le gouvernement décider si je dois porter un masque, c'est non.»
Ce même gouvernement vers qui on se tourne quand on est malade et qui est à bout de souffle.
Porter un masque n’est pas un confinement, ni même un vaccin. C’est légèrement inconfortable, sans plus mais c’est aussi et surtout un grand geste civique, une politesse (une autre habitude qui se perd), un passeport pour la liberté, pour le vivre-ensemble. Ne l’oublions pas. Comme l’a écrit le poète anglais John Donne en 1624, «nul être humain n’est une île à lui tout seul. Chaque décès me diminue parce que je suis de l’humanité.»
Si nos ancêtres comprenaient cela au 17e siècle, les modernes que nous sommes font semblant de l’ignorer.
La liberté de l’un finit là où commence celle des autres. L’avons-nous aussi oublié?
Bravo et merci à ceux et celles qui comprennent la situation et qui agissent en conséquence, de leur propre chef, pour le bien de tous.
Lise Ravary est journaliste depuis 40 ans et a tout fait dans le métier, que ce soit à la radio ou dans des magazines et des journaux, de Montréal à Toronto, en passant par Londres et Alexandria, avant de devenir observatrice et commentatrice à temps plein. On peut lire ses opinions dans nos pages deux fois par semaine.