Les chauffards ivres punis également, peu importe le statut, tranche la Cour du Québec

Doit-il y avoir deux types de peine pour les chauffards ivres, une pour les citoyens canadiens et une autre pour les résidents permanents? Non, répond la Cour du Québec, en rejetant la demande d’un jeune travailleur d’origine mexicaine qui tente d’éviter l’expulsion.


Andres Videgaray Latulippe, aujourd’hui âgé de 23 ans, a été arrêté le 24 juin 2020, un peu après minuit, alors qu’il conduisait sa voiture en état d’ébriété dans les rues de Montmagny.

Dès l’interception, les patrouilleurs remarquent les yeux à peine ouverts du jeune conducteur et l’odeur d’alcool qui s’échappe de son haleine. Une fois debout, il vacille sur ses jambes.

L’alcotest révélera que Andres avait un taux d’alcoolémie de 0,13. En raison de son âge, il était à ce moment soumis à la norme de tolérance zéro en matière d’alcool.

Après son arrestation, il a été remis en liberté sous promesse de comparaître. Le jeune homme, sans antécédent judiciaire, a depuis plaidé coupable à l’accusation criminelle de conduite avec une alcoolémie supérieure à 80 mg d’alcool par 100 ml de sang.

Depuis des changements législatifs en 2019, une telle déclaration de culpabilité rend impossible l’absolution et entraîne l’application de l’article 36 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés qui prévoit «une interdiction de territoire pour grande criminalité». En clair, une expulsion pour les non-citoyens.

Au Canada depuis 12 ans

Andres est né à Guanajuato au Mexique, d’une mère canadienne et d’un père mexicain. Il possède la nationalité mexicaine.

La famille immigre au Canada en 2010 et s’établit dans la région de Thetford Mines.

Andres Videgaray Latulippe a obtenu le statut de résident permanent, mais n’a jamais complété les procédures pour obtenir sa citoyenneté canadienne.

Le jeune homme a terminé la troisième année du secondaire et travaille depuis 2019 pour une grande entreprise spécialisée dans la transformation de la viande. Employé assidu, il est apprécié de son patron.

Andres n’est jamais retourné au Mexique et n’y a plus aucun ami. Il indique que la qualité de son espagnol s’est grandement détériorée. «Le requérant se retrouverait donc totalement démuni, sans famille et sans contact s’il était déporté vers le Mexique», insiste son avocat Me Jean-Sébastien Tremblay.

Cette possibilité de déportation représente une peine inappropriée et disproportionnée, estime la défense, pour Andres comme pour tous les résidents permanents placés dans la même situation.

La défense demandait donc au tribunal de déclarer invalide la peine minimale (amende de 1500 $ et interdiction de conduire pendant un an) de l’article du Code criminel sanctionnant la conduite avec les capacités affaiblies par l’alcool. Selon la défense, en raison de ses conséquences pour le jeune résident permanent, cette peine brime les droits à la liberté et à la sécurité garantis par la Charte.

Pour la défense, la situation d’Andres justifiait une mesure d’exception, à savoir une absolution conditionnelle à un don de 1500 $, soit l’équivalent de l’amende minimale pour conduite en état d’ébriété. Le jeune homme aurait aussi eu une interdiction de conduire pour un an.

Gravité de l’infraction

La juge Rachel Gagnon de la Cour du Québec a rejeté mercredi cette demande du jeune résident permanent.

«Les conséquences en matière d’immigration ne peuvent pas devenir la pierre angulaire d’une décision sur la peine tout comme elles ne peuvent pas, à elles seules, mener à la conclusion que la peine minimale prévue par le législateur est exagérément disproportionnée», considère d’abord la juge.

La peine suggérée par la défense pour éviter le casier judiciaire et les conséquences sur le statut de résidence de l’accusé n’est pas adéquate, estime le tribunal.

«En raison de la nature et de la gravité de l’infraction, de sa prévalence dans la communauté, du besoin de dissuasion générale et du fait que le requérant conduit avec une alcoolémie de 130 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang alors qu’il est soumis à la norme de tolérance zéro, le tribunal estime qu’une mesure d’absolution nuirait à l’intérêt public», tranche la juge.

Pour la juge, l’amende de 1500 $ ne peut être qualifiée «d’exagérément disproportionnée» et ce malgré les conséquences indirectes en matière d’immigration.

«Un public bien informé ne pourrait comprendre l’existence de deux régimes distincts de détermination de la peine basés uniquement sur le statut d’un accusé au Canada pour qui une fourchette spéciale de peine, potentiellement plus clémente, serait applicable en cas de risque d’expulsion», ajoute la juge Gagnon, avant de condamner le jeune homme à payer l’amende minimale de 1500 $ et à lui interdire de conduire pour une année.