Ravy Por et les métiers du futur

Ravy Por est mathématicienne spécialisée en intelligence artificielle.

Elle travaille avec les chiffres, les codes, les statistiques avancées. Mais Ravy Por insiste sur l’importance des personnes. «Ce qui me fait le plus chaud au cœur, c’est quand on s’entraide pour un but commun, un but plus grand que soi.»


Cet amour des gens l’a menée à la rencontre de plus de 20 000 personnes au Québec, calcule-t-elle, dont beaucoup de jeunes. Elle présente à ceux-ci les possibilités de carrières insoupçonnées auxquelles ils peuvent aspirer. En gros, elle les invite à penser différemment, voire à rêver.

«À la place d’être utilisateurs des technologies — comme à travers les jeux vidéo et les réseaux sociaux —, le message que je leur envoie est : soyez des créateurs, des développeurs de ces technologies-là. Tu veux devenir le prochain Elon Musk ou le prochain Mark Zuckerberg? Tu peux, car il y a tellement de possibilités. C’est vraiment d’imaginer ta future carrière, qui n’existe pas. J’étais dans la même situation : mon métier n’existait pas lorsque j’étais sur les bancs d’école», affirme Ravy Por lors d’un sympathique entretien avec Le Soleil, en marge du Salon Carrière Formation, il y a deux semaines.

Elle est bien placée pour livrer un tel message. Son histoire est atypique, improbable. Mais sa passion pour les mathématiques et sa détermination l’ont amenée loin. «Je suis née dans la roche et j’ai appris à tisser ma toile de soie», lancera-t-elle, souriante, au cours de la conversation.

À 37 ans, elle est aujourd’hui associée chez KPMG et leader au Québec du Centre d’excellence en intelligence artificielle et technologie émergente de l’entreprise, appelé Lighthouse. Dans son équipe : scientifiques de données, architectes de données, ingénieurs, traducteurs analytiques.

Ravy Por a été la première personne de moins de 35 ans à devenir membre du C.A. de la Caisse de dépôt et placement du Québec.

Ensemble, ils aident les organisations québécoises et canadiennes dans leur évolution analytique. Maintenant que nos données ont une vie dans le virtuel, que faire avec toutes ces informations?

«Est-ce que je comprends vraiment ma clientèle, est-ce que je comprends mes machines?» demande Ravy Por pour illustrer les réponses qu’elle espère apporter aux clients de KPMG. «Qu’est-ce que je fais afin de prendre de meilleures décisions pour répondre à la clientèle, pour prévoir les bris de machine, ou même pour savoir où je devrais installer mon usine au Québec?»

Un parcours impressionnant

Ravy fait aussi partie du comité d’experts du ministère de la Cybersécurité et du Numérique, a fait partie du conseil d’administration de la Caisse de dépôt et placement du Québec, où elle est devenue la première membre de moins de 35 ans. Desjardins, la Banque Nationale, Intact Assurances et la Société des casinos du Québec comptent parmi ses anciens employeurs.

Un parcours impressionnant pour quiconque, mais encore davantage pour une petite fille d’origine cambodgienne qui a grandi dans une situation précaire. Elle n’aime pas le terme pauvreté, mais ne nous méprenons pas : «On allait dans les églises pour avoir des petits jouets, les gens nous donnaient des vêtements», se souvient-elle.

Ses parents sont arrivés au Québec en 1983, fuyant la terreur provoquée par le régime de Pol Pot et de ses Khmers rouges, qui ont fait 1,7 million de victimes, plus de 20 % de la population du Cambodge. Ravy est née à Québec, mais a grandi à Montréal.

À sept ans, elle ne parle ni français ni anglais. En deuxième année, elle copie encore sur ses voisins de classe. Ses parents et professeurs croient à un problème d’apprentissage. 



Elle fait ses premières lignes de code à neuf ans. Le côté philanthrope de sa personnalité prend rapidement forme aussi. À 11 ans, elle est bénévole pour l’UNICEF. Ensuite viendra Amnistie internationale. Elle a aussi été tutrice en mathématiques et en sciences, à 14 ans.

Elle sait alors, et depuis longtemps, qu’elle veut être mathématicienne, mais ignore de quelle façon ce désir prendra forme.

On présume qu’elle aurait aimé pouvoir rencontrer, à cet âge, l’équivalent d’une Ravy Por qui aurait pu lui dire : voici ce que tu pourras faire dans 10 ans.

Voilà l’effet qu’elle espère avoir sur les jeunes lors de ses rencontres avec eux.

Elle prend l’exemple récent d’une adolescente de 14 ans venue lui parler. «Elle me disait : “Je veux être ingénieure, mais je veux aussi être artiste. Qu’est-ce que je devrais faire?” Je lui ai dit : “Tu peux faire les deux. Tu peux créer un univers dans le métavers, tu peux créer des jeux vidéo”», raconte-t-elle.

On lui pose donc la question qui nous brûle les lèvres : Ravy, dirais-tu que tout est possible?

Elle hésite quelques secondes, regarde vers l’horizon. «Quand même, oui. Si j’y pense, je vois mal quelque chose d’impossible. Tout est possible, avec la persévérance et avec l’effort. Il faut se relever les manches, travailler, être curieux», répond-elle.

Pour arriver à rejoindre le plus de gens possible, elle a créé l’organisme à but non lucratif Héros de chez nous. Elle souhaite faire rayonner les innovateurs d’ici, présenter des modèles de réussite aux jeunes, grâce entre autres à des capsules vidéo.

«Je n’ai pas envie qu’on parle juste d’Elon Musk ou de Mark Zuckerberg», dit-elle.

Changer le monde?

Dans un portrait d’elle publié par La Presse il y a quatre ans, elle disait vouloir changer le monde. L’occasion était belle de lui demander si elle y croyait toujours, quatre ans plus tard.

«J’arrive à changer le monde à ma manière, lance-t-elle. [Mais] oui, je veux aller plus loin. J’y crois. Dans 10 ans, je crois que je vais toujours avoir cet impact-là dans la société.» Et elle admet viser plus loin que le Québec et le Canada...

<em>Le Soleil</em> a rencontré Ravy Por lors de son passage au Salon Carrière Formation, où elle était l'invitée de l'organisme Mon Avenir TI.

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DES EMPLOIS DANS DES DOMAINES D'AVENIR

On a demandé à Ravy Por de nous présenter des domaines où les emplois ont de fortes chances de décupler dans un avenir pas si lointain, soit qu’ils n’existent pas encore, soit qu’ils ne sont pas assez optimisés. Jeunes gens, prenez des notes.

L’intelligence artificielle

On en entend souvent parler, mais ça demeure méconnu et trop peu utilisé, dit Ravy Por. «Quelle est la véritable application que peuvent en faire les entreprises? Autant du côté des dirigeants et des travailleurs qu’à l’école, il faut vraiment que les gens comprennent c’est quoi. Mais c’est tellement abstrait, ce sont des concepts de maths, de stats, de programmation.»

Même si son objectif est ultimement d’amener des robots à simuler l’intelligence humaine pour effectuer certaines tâches, il ne faut pas avoir peur de l’IA, croit-elle. «Cette peur-là vient beaucoup de l’image véhiculée par les films de science-fiction qui tournent mal, contre les humains. […] Je n’ai jamais vu l’intelligence artificielle de façon négative. J’ai codé longtemps dans les algorithmes. Et il y a des personnes qui se soucient de l’impact sur les humains, sur les clients. Dans le fond, l’IA, c’est de la programmation. Et qui programme? C’est nous.»

L’architecture de données

Spécialiste en informatique, l’architecte de données organise les données d’une organisation afin d’optimiser leur utilisation pour atteindre des objectifs précis. «Présentement, on est en pénurie d’architectes de données, et c’est mondial. On le vit. Quand on regarde dans les appels de propositions au Canada et au Québec, c’est un métier qui est très recherché. Il faut que tes données soient basées sur une architecture qui a du sens.»

La chaîne de blocs

Il s’agit d’une façon simple et structurée de suivre toutes les données de A à Z, explique Ravy Por. L’exemple qu’elle présente : un camion qui arrive à l’entrepôt et qui débarque des fruits et des légumes. Cette chaîne permet de suivre chaque fruit dans ses déplacements, et plusieurs intervenants peuvent ainsi avoir accès à cette information.

L’éthique technologique

Par exemple, dans le transport autonome, des autobus ou des voitures qui vont se conduire eux-mêmes. Comment assurer la qualité de ces véhicules? demande Mme Por. Plus de gens devront y veiller, croit-elle. «L’éthique va représenter le côté humain [de cette technologie], mais elle sera aussi là pour s’occuper des droits des cyberhumains.»

Le métavers

Ce fameux univers numérique demeure un mystère pour la majorité, mais Ravy Por croit qu’un monde de possibilités (et d’occasions) y seront accessibles. Un entrepreneur pourrait y faire des affaires, donne-t-elle en exemple.

Ravy Por pense par ailleurs que des croisements entre des métiers déjà connus et en apparence mutuellement exclusifs seront de plus en plus fréquents. Elle choisit un exemple intrigant : «On va voir des médecins-chirurgiens qui seront aussi des programmeurs. À la place d’effectuer une chirurgie en personne, le médecin pourra la faire à distance, la programmer.»