Formations postsecondaires: révolution au sein des Premières Nations

Le groupe de diplômées de l’AEC en éducation spécialisée

Depuis plus de 25 ans, le Cégep de Saint-Félicien offre des formations postsecondaires à l’intention des communautés autochtones, principalement chez les Cris et les Inuits. Au cours des dernières années, plusieurs autres communautés ont commencé à accueillir de telles formations chez elle, créant une petite révolution dans le monde de l’enseignement autochtone. La semaine dernière, 35 Attikameks de Manawan ont notamment reçu leur diplôme en éducation à l’enfance et en éducation spécialisée. Reportage.


Une ambiance particulière régnait à l’auberge Godefroy, à Bécancour, samedi dernier, alors que 35 étudiants de Manawan ont reçu une attestation d’études collégiales du Cégep de Saint-Félicien. « Pour plusieurs, c’était un premier diplôme postsecondaire, raconte Annie Lapierre, la conseillère pédagogique qui accompagnait les groupes. C’était super émotif, avec beaucoup de rires et de pleurs de joie ».

Pour l’occasion, les étudiants atikamekw avaient enfilé la toge et le chapeau de graduation. Accompagnés de leurs familles, ils ont reçu fièrement leur diplôme lors d’une remise protocolaire.



« Je suis tellement fière, parce que c’est très significatif pour moi », remarque Guylaine Ottawa, une mère de 38 ans qui a effectué un retour aux études pour aider sa communauté. « Je voyais qu’il y avait un gros besoin pour offrir des services dans notre langue aux familles. La formation m’a permis de mieux comprendre plusieurs aspects du développement des enfants pour mieux intervenir », souligne la diplômée en éducation spécialisée.

Le groupe de diplômées de l’AEC en éducation à l'enfance

Pourtant, rien ne laissait présager que Guylaine allait un jour obtenir un diplôme postsecondaire lorsqu’elle a eu un enfant en bas âge et qu’elle a décroché à 16 ans. « Je suis retournée finir mon secondaire dans la vingtaine et je suis vraiment contente d’être rendue là où je suis aujourd’hui », ajoute la femme qui a également complété un AEC en technique policière pour autochtones il y a quelques années.

« Je réalise mon rêve et ça démontre qu’il n’y a pas d’âge limite pour retourner à l’école, dit-elle. Tout le monde est capable et j’encourage tous les jeunes de ma communauté à étudier pour trouver leur voie. Pour trouver un métier qui les allume, qui les passionne. Pour moi, c’est d’aider les gens. »

Non seulement Guylaine a-t-elle obtenu un deuxième diplôme postsecondaire, mais la réussite de la formation lui a aussi donné le goût de poursuivre ses études ?



Lucas Vincent Awashish, au centre, avec deux accompagnatrices, Marilyne Chachai et Shawerim CooCoo

« Je viens de commencer un certificat en droits autochtones à l’Université d’Ottawa, dit-elle avec beaucoup de fierté. Jamais je n’aurais pensé avoir un diplôme universitaire un jour. En réussissant mes cours d’AEC, je me suis prouvé que je pouvais réussir et ça m’a donné un coup de pouce pour aller plus loin. Je veux accroître mes connaissances pour revenir travailler auprès de ma communauté. »

Cette immense fierté est partagée par les 35 étudiants qui ont obtenu leur diplôme, dont Lucas Vincent Awashish, un jeune homme de 26 ans. « La formation m’a donné beaucoup de courage et d’ambition dans la vie », dit-il, avant d’ajouter qu’il s’était d’abord inscrit à la formation d’éducation spécialisée simplement pour essayer quelque chose. « Je ne savais pas trop où aller dans la vie, admet Lucas. J’ai découvert un métier qui me plaît beaucoup. »

Lucas n’avait jamais pensé obtenir un diplôme postsecondaire. Il pensait plutôt faire des études professionnelles pour aller travailler dans le bois. « Je déambulais, image-t-il. Je ne pensais pas que ma vie allait prendre un tournant aussi significatif. »

Guylaine Ottawa a décidé de poursuivre ses études à l’Université d’Ottawa après avoir complété sa formation en éducation spécialisée.

À l’aise avec les jeunes, avec un diplôme en poche, il s’est rapidement trouvé du travail à la maison des jeunes Niwitcewakan-Wapi, à Wemotaci. « J’ai appris plein de choses qui me permettent de faire un travail que j’aime, mais qui me permettent aussi d’être meilleur dans plusieurs aspects de ma vie, comme d’être un meilleur grand frère », dit-il.

Lucas compte travailler durant quelques années, mais il compte aussi voyager et découvrir plein de choses. « La vie est courte et je veux voyager. Je n’ai jamais été capable de rester sur place et mon diplôme m’ouvre plein de portes. Dans quelques années, je pense aussi m’inscrire à l’Université McGill en travail social. »

À peine graduées, toutes les autres étudiantes avaient déjà trouvé du travail. « Tous les étudiants ont un emploi à plein temps, que ce soit au CPE, dans les écoles primaires et secondaires, au centre de pédiatrie sociale ou au centre de santé, souligne Kathy Black, la directrice du CPE Kokom Tcitcatci, à Manawan. C’est important d’avoir des éducatrices atikamekw parce que l’on parle notre langue avec les enfants et les parents », note cette dernière.



La fierté était bien palpable lors de la remise des diplômes.

Sipi Flamand, le chef de Manawan, est drôlement fier de voir que 35 membres de sa communauté ont reçu un diplôme d’études postsecondaire. « C’est une très belle réussite, dit-il. On veut vraiment se concentrer sur le développement des compétences pour améliorer les conditions de vie dans la communauté. »

Selon ce dernier, ces jeunes sont désormais des modèles à suivre pour les plus jeunes. « On aimerait lancer d’autres programmes pour former les jeunes en administration, en comptabilité et autres, ajoute le chef de Manawan. On veut créer des partenariats avec des institutions académiques pour offrir ces programmes. »

Un cours offert par Lori-Ann Paige dans une communauté crie

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DES PROGRAMMES OFFERTS DANS LES COMMUNAUTÉS

Selon Guylaine Ottawa, un des facteurs de succès de la formation, c’est qu’elle a été offerte en ligne (notamment à cause de la pandémie) et dans la communauté de Manawan. « C’est très bénéfique, parce que les gens de la communauté n’ont pas besoin de chambouler leur vie et de partir vivre ailleurs pour étudier », souligne la mère de trois enfants de 14, 17 et 24 ans. « Avec une ado à la maison, ça aurait été difficile pour moi de suivre cette formation. »

Contrairement à la vaste majorité des programmes postsecondaires offerts au Québec, le Cégep de Saint-Félicien a choisi d’offrir des formations dans les communautés autochtones, et ce, depuis 1997. 

« Nous sommes financés par le ministère de l’Éducation pour offrir des formations en classe au cégep, mais on a quand même choisi de délocaliser les cours, car c’est un important facteur de réussite, explique Annie Lapierre, conseillère pédagogique au Cégep de Saint-Félicien. L’apport des partenaires financiers est vraiment important pour faire de ces formations une réussite. »

La cérémonie de graduation des étudiants de Manawan s’est déroulée à l’Auberge Godefroy, à Bécancour.

Ces partenaires, ce sont les communautés, les gouvernements régionaux et les institutions comme les centres de la petite enfance ou les centres de services scolaires.

Lori-Ann Paige, une Mohawk de Kahnawake, a été recrutée comme consultante par le Cégep de Saint-Félicien, en 1997, pour la supervision du programme d’éducation à l’enfance pour les Premières Nations. Selon cette dernière, enseigner dans les communautés est la clé du succès du programme. « Ça crée un choc de culture de devoir quitter la communauté pour étudier dans une grande ville », dit-elle. 

Pendant près de deux décennies, les programmes ont été offerts dans les communautés cries et inuites, parce que les gouvernements régionaux avaient pris les choses en main. Pendant ce temps, Lori-Ann Paige a vu des transformations majeures au sein des communautés. « L’éducation amène la prospérité économique, dit-elle. Au lieu que ce soit des étrangers qui occupent les emplois, ce sont désormais les Autochtones qui les occupent. Ça rend les gens plus autonomes. La connaissance amène la confiance et la fierté. Ça permet aux gens et aux communautés de s’émanciper. »

Aujourd’hui, plusieurs Premières Nations souhaitent en faire autant. Selon une enquête réalisée par la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, qui regroupe une trentaine de communautés, les membres veulent recevoir davantage de formations accréditées dans leur communauté, mentionne la conseillère pédagogique Jessica Grenier. 

Et ce sondage a porté fruit, car une première AEC en éducation à l’enfance a débuté récemment à Témiscaming et une autre prenait son envol cette semaine à Matimekosh. « Notre mission est d’accompagner les PN du Québec dans l’atteinte des objectifs de santé et de mieux-être. La formation est un déterminant important de la santé et de la qualité de vie. On pense donc offrir deux nouvelles formations chaque année au cours des prochaines années », dit-elle, avant d’ajouter que la demande est plus élevée que ce qu’il est possible d’offrir à l’heure actuelle. 

En plus des programmes en éducation à l’enfance cités plus haut, le Cégep de Saint-Félicien offre aussi des formations à Kawawachikamach, à Waskaganish, à Chicoutimi, à Akulivik, ainsi que quatre formations offertes en ligne pour les membres des communautés, lance fièrement Lori-Ann Paige, qui a reçu la médaille de l’Ordre de l’excellence en éducation du Québec en juin dernier.

Selon Annie Lapierre, le protocole d’entente avec le CSSSPNQL ouvre une multitude de nouvelles opportunités. « Ça bouge très vite et j’ai l’impression qu’une petite révolution par l’éducation est en cours », dit-elle. 

Un gros projet regroupant plus de 30 communautés serait d’ailleurs sur le point de voir le jour en 2023. 

Prêts pour la révolution ?