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Chez les espèces dont le fonctionnement n’est pas autonome dès la naissance, l’une des stratégies de survie imaginées par mère Nature est le tissage d’un lien fort et réciproque entre le petit et sa figure de soins.

Sans une attraction vive et une grande sensibilité de maman, papa ou son équivalent à l’égard du bébé et vice versa, le petit immature serait en mauvaise posture. C’est grâce à ce cordon-lien invisible que les nourritures affectives peuvent circuler, générant chez les uns l’engagement émotionnel nécessaire pour prodiguer soins et protection ainsi que, chez l’autre, la motivation à faire entendre haut et fort ses besoins en souffrance. Sans cet attachement mutuel, le petit se retrouverait livré à lui-même. Autant dire… mort !

Mais qu’en est-il du puissant lien qui unit l’humain à son animal de compagnie ? Un lien parfois si fort que, de part et d’autre, on attribue le statut de « membre de la famille » à quelqu’un qui n’est pourtant ni de notre sang ni même de notre espèce.

En anthrozoologie, le domaine d’études des relations entre l’humain et les autres animaux, certains y voient une variante interespèce de l’attachement. Au contact de l’Autre-d’une-autre-espèce, encore plus si c’est un juvénile, des mécanismes psychophysiologiques se déclencheraient, nous touchant au plus profond de notre humanité ou, j’oserais dire, de notre humanimalité !

Les émotions affiliatives de tendresse et d’amour facilitant le soin côtoient alors des émotions comme la peur et la colère qui sauront mobiliser les comportements défensifs liés à la protection, en cas de besoin.

Chez l’humain, lorsque le cœur est engagé et que l’œil perçoit une menace (réelle ou imaginée) à l’endroit de l’objet d’amour, la main agrippe ou le poing se crispe. Peut-être est-ce là le vestige d’un passé évolutionnaire (dont notre biologie se souvient ?) où la sécurité passait par agripper maman pour ne pas tomber dans la fuite, empoigner la branche pour se hisser à un arbre hors d’atteinte ou encore assurer notre prise pour manier le bâton.

Quelle que soit l’explication, pour nous, primates, le « lâcher-prise » en situation de tension émotionnelle s’avère assurément contre-intuitif et laborieux. Pour s’en rendre compte, il suffit d’observer, comme dans l’histoire qui suit, la valse-hésitation et les agrippements de laisse lors des rencontres fortuites entre des duos humains-chiens.

L’exemple de Flore

La journée confinée seule à la maison a été longue pour Flore, la chienne. Alléluia ! Le tintement de la laisse l’informe qu’elle va enfin pouvoir se délier les pattes. Elle bondit de joie. « Du caaaalme, Flore. Et Hop ! à la voiture. » La chienne se rue dans le véhicule, anticipant la destination grâce à ce qui s’apparente drôlement à un brin de lecture des intentions de son humaine.

Les informations sensorielles analysées pendant le trajet le confirment ; direction le lieu-où-on-peut-lire-plein-d’odorants-pipimails-et-courir-partout. La chienne gémit d’impatience. « Duuuuu caaaalme, Flore. » L’humaine de Flore est fatiguée et stressée, ce qui la rend un brin irritable. Elle espère qu’il n’y aura personne au parc et qu’elle pourra laisser vagabonder sa chienne en laisse longue.

Elle se fait le rappel de ne pas exiger une marche d’humain (laisse courte, rythme d’escargot, sans pause lecture de pipimails, en ligne droite, sur le trottoir bétonné). C’est un moment d’abord pour Flore. Une vague de culpabilité l’envahit à l’idée de toutes ces heures où la chienne est seule à la maison. Mais bon, ici maintenant, on est au parc. Profitons-en !

Flore file au bout de sa laisse et s’empresse d’aller lire ses précieux pipimails. Ainsi, elle s’informe de qui est passé là, quand et comment il/elle se portait. Flore répond (les chiennes font aussi du marquage). Le rituel est d’autant plus important que, bien qu’étant un être social, elle n’a quasiment pas de contacts avec ses semblables.

En parlant de chiens… Flore se fige, les sens en alerte. La tension immobile et contenue se communique par la laisse. Son humaine, sensible, lève à son tour les yeux et, voyant deux dames s’approcher avec leurs gros chiens, dans un mouvement réflexe, referme sa prise sur la laisse, puis tire vers elle. Face à cette traction, Flore pousse contre la pression. Le mouvement bloqué, de part et d’autre, traduit des intentionnalités différentes. Aller vers versus reculer. Intérêt curieux versus méfiance inquiète.

L’humaine de Flore a peu d’expérience avec les gros chiens. L’inconnu fait peur. Elle a peur pour sa chienne peu socialisée (chien COVID-19) qui pourrait, selon elle, vouloir trop fort et indisposer les autres. Et s’il leur prenait l’envie de « lui apprendre à vivre » ? Elle a peur de ne pouvoir soutenir son bébé (bébé adoptif interespèce déjà jeune adulte, d’accord, mais dans son cœur et ses réflexes, bébé tout de même) face à cette nouvelle expérience.

L’humaine et la chienne se désaccordent et la contagion émotionnelle commence à faire son effet. Flore vit de l’ambivalence. Son humaine semble voir une menace là où elle-même flaire et maintenant voit de chair et d’âme (enfin !) les auteurs de certains des pipimails lus. Bien que la peur soit maintenant présente dans son expérience, le désir de rencontre est plus fort.

Fort heureusement, à ce stade, c’est l’attitude ouverte et bienveillante des duos humains-chiens qui dénoue l’impasse. Plus à l’aise avec les rencontres intra et interespèces, les nouveaux venus prennent un temps d’arrêt à bonne distance, pour saluer, faire l’éloge de la belle Flore et proposer une marche à suivre pour des présentations adéquates. Ensemble, on marche à la queue leu leu en déposant quelques pipimails qui ont leur rôle dans ces présentations. On s’intéresse aux intérêts (principalement olfactifs) des autres.

Petit à petit, on se retrouve à marcher côte à côte. La conversation des humains entre eux détourne leur attention de sur les chiens. L’appréhension cède le pas à l’intérêt. Les corps se délient et s’ouvrent à la rencontre intra et interespèces.

À un moment, les deux dames, confiantes en leur cordon-lien, libèrent leurs chiens (douce délinquance dans ce lieu peu fréquenté !). Flore tire sur la laisse pour les rejoindre. Automatiquement, la main de son humaine se crispe pour assurer sa prise. Mais cette fois, c’est différent. Flore entend une longue inspiration et, à l’expire (Ô joie !), la laisse se détend. Son humaine, suffisamment rassurée, se risque enfin à relâcher sa prise.

Voilà comment des poilus, en mal d’interactions sociales (et deux humaines bienveillantes) ont su offrir un coup de patte permettant à une humaine de lâcher prise sur son bout de la laisse.

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Saviez-vous que ?

Le chien est un être social. Pour sa santé mentale et physique, il a besoin d’échanger avec des congénères. Le jeu non dirigé, avec des amis équilibrés, dans des espaces extérieurs riches en stimuli, offre des réponses adaptées à plusieurs besoins d’espèce.

Trouvez-lui des amis et, en cas de besoin, faites-vous accompagner pour apprendre à lâcher prise sur votre bout de la laisse.

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Emmanuelle Fournier Chouinard est psychologue, intervenante/enseignante en médiation animale – zoothérapie et consultante canine au Centre Humanimal.

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