Je me rappelle du premier témoignage #MeToo (#MoiAussi) que j’ai vu passer sur mes réseaux. Il venait d’une collègue de classe. Elle parlait d’attouchement dans un bar, de drogue du viol, de commentaires déplacés dans la rue. Moi qui me trouvais chanceuse dans mes relations avec les hommes, je l’ai reçu comme un coup au ventre.
Parce ce qu’elle décrivait, je l’ai aussi vécu. C’était en 2017, le New York Times avait sorti un peu plus tôt les accusations de violence sexuelle visant Harvey Weinstein. Le mouvement quittait tranquillement le monde des vedettes pour nous toucher, nous, les gens «normaux».
Les jeunes femmes comme moi, qui se trouvaient chanceuses de ne pas vivre de violences sexuelles, vu que ça n’avait pas pris la forme d’un viol armé dans un stationnement sombre, ouvraient les yeux: dans le fond, on en a toutes vécu.
À l’époque, j’avais 21 ans et j’étudiais à l’UQAM en journalisme. Les allégations contre Éric Salvail sont révélées au grand jour. C’est ensuite le tour de Gilbert Rozon. On a eu la chance d’avoir de grands journalistes qui nous expliquaient les rouages de telles enquêtes.
C’était une période passionnante, mais terrorisante: on voyait une révolution sociale prendre vie devant nos yeux, mais nous réalisions toutes les violences que nous avions normalisées, acceptées, banalisées dans notre société.
«De voir des partages de témoignages, ça a permis à des femmes et d’autres personnes qui ont vécu de la violence sexuelle, de réaliser que ce qu’elles avaient vécu, ce n’était pas correct et ça constituait de la violence sexuelle», explique Sandrine Ricci, doctorante et chargée de cours en sociologie à l’UQAM.
Cinq ans plus tard, alors que l’anniversaire du mouvement nous pousse à faire le bilan, certains trouveront que nous n’avons pas avancé tant que ça. Pensons à toutes les allégations et les vagues de dénonciation dans le monde des arts, de l’humour, du sport…
«Il ne faut jamais voir les avancées d’un mouvement social dans le court terme, parce qu’on est rarement satisfaits», indique Mélissa Blais, professeure associée et membre de l’Institut de recherches et d'études féministes (IREF) à l’UQAM.
«Si on prend ce mouvement dans son histoire, on pourrait le situer dans une structuration récente, dans les années 60-70, donc c’est un jeune mouvement et ce n’est pas sa première campagne de dénonciation, or le web a permis l’amplification des voix des victimes qui peuvent maintenant parler en leur propre nom», explique-t-elle.
#MoiAussi a permis de libérer la parole et de dévoiler aux yeux de tous les failles de notre système judiciaire dans l’accompagnement des victimes de violences sexuelles. Il y a des propos que l’on ne peut plus tenir à l’école ou dans nos espaces de travail.
Certains crieront à l’injustice et au puritanisme, pourtant, on ne fait qu’appeler un chat un chat: si tu touches les fesses de la stagiaire sans son consentement au party de Noël Gérard, ce n’est pas de la drague, t’es juste un agresseur.
«Ces modes d’action, comme les campagnes de hashtags, contribuent à un travail de solidarité et de conscientisation, ajoute Sandrine Ricci. Ce travail-là vise à la fois à soutenir, à prévenir, à conscientiser les victimes de violence sexuelle, les victimes potentielles et plus largement le reste de la population.»
«On ne peut plus rien dire»
Comme l’indique Mélissa Blais, la libération de la parole vient aussi avec une multitude de voix qui vont se positionner contre le mouvement.
«Il y a aussi une amplification des voix des hommes qui sont en colère parce que, plus ils en entendent parler [du mouvement], plus ils ont l’impression que les hommes ne peuvent plus parler, qu’ils sont attaqués injustement, rapporte Mélissa Blais.
«Bien que ce discours existait chez les masculinistes avant #MeToo, ce qui est intéressant depuis, c’est qu’il se transforme. Là, les termes qui sont en vogue chez les influenceurs et les chroniqueurs de droite, sont “la culture de la cancellation”, que les hommes sont victimes de subir de la vengeance de la part des femmes», explique-t-elle.
Ces voix peuvent donner l’impression que le mouvement recule, mais ce n’est qu’une preuve qu’il fonctionne.
À l’ère des réseaux, cinq ans nous semblent une éternité. Lire l’actualité peut nous donner l’impression que le mouvement s’essouffle, mais ce n’est qu’un début. #MeToo aura été l’éveil d’une génération et de celles à venir. Ce n’est pas qu’on ne peut plus rien dire, au contraire, c’est que l’on parle beaucoup plus fort qu’avant, partout, tout le temps.