Pour que toutes les voix soient entendues

Même si François Legault s’oppose à une réforme, des voix s’élèvent pour demander à ce que tous les citoyens soient représentés à l’Assemblée nationale.

Les résultats des élections démontrent clairement les distorsions de notre système électoral uninominal à un tour. Même si François Legault s’oppose à une réforme, des voix s’élèvent pour demander à ce que tous les citoyens soient représentés à l’Assemblée nationale.


Le premier ministre François Legault a de nouveau fermé la porte à une réforme du mode de scrutin, au lendemain de sa victoire qui l’a reporté au pouvoir avec 90 députés sur 125 et 41 % des votes. «Je me suis engagé à ne pas rouvrir le débat. Je vais tenir mon engagement.»

Les quatre autres partis ont reçu sensiblement le même nombre de votes (entre 13 % et 15 %), mais une quantité de sièges bien différentes : 21 pour le Parti libéral (PLQ), 11 pour Québec solidaire (QS), 3 pour le Parti québécois (PQ) et 0 pour le Parti conservateur (PCQ).

«C'est l'une des élections avec les plus fortes distorsions électorales. Le fait que le PCQ a eu 13 % des votes et aucun siège, c'est malheureusement un nouveau record historique», explique le professeur de science politique au Collège Ahuntsic, Julien Verville.

Le Parti Québécois et Québec solidaire – qui ont tous deux obtenu plus de votes que le PLQ qui formera l’opposition officielle – veulent réformer le mode de scrutin. La cheffe libérale, Dominique Anglade, se dit quant à elle ouverte à une discussion sur le sujet. 

Le chef du Parti conservateur, Éric Duhaime, reste flou sur le sujet. Il souhaite plutôt obtenir un accommodement qui lui permettrait d’avoir accès à l’Assemblée nationale afin de faire des points de presse. 

Le débat a même eu des échos au palier municipal. «Je suis assez partisan d’une réforme parlementaire avec l’éclatement des valeurs et l’éclatement des idéologies auxquelles on assiste [...] Il y aurait lieu d’au moins faire une commission parlementaire de réflexion sur le sujet», a affirmé le maire de Lévis, Gilles Lehouillier. 

Sans se prononcer directement sur la réforme du mode de scrutin, le maire de Québec, Bruno Marchand, croit qu’il faut réfléchir afin que la voix de tous les citoyens soit représentée. «Je pense qu'on a intérêt à ce que le débat d'idées – de toutes les idées confondues – se fasse à l’Assemblée nationale», a-t-il dit.  

Le chef de l'opposition officielle à l'hôtel de ville de Québec se veut plus critique. «Les distorsions sont trop importantes pour se mettre la tête dans le sable» et ne pas revoir notre mode de scrutin, juge Claude Villeneuve, qui qualifie entre autres d'un «échec» du système électoral le fait que les conservateurs ne seront pas représentés au Salon bleu. 

«Pas juste un débat d'intellectuels»

La Coalition avenir Québec avait promis de réformer le mode de scrutin avant de reculer en 2021. Une situation qui n’étonne pas Julien Verville. Il émet toutefois une nuance : «Dans le passé, jamais un parti n'avait pris autant la parole en faveur de la réforme du mode de scrutin avant de renier sa promesse».

Il rappelle que le PQ, QS, la CAQ et le Parti vert avaient signé une entente disant que s'ils étaient élus, ils allaient déposer un projet de loi pour réformer le mode de scrutin.

«En 2018, les astres semblaient beaucoup plus alignés. Sur quatre partis, trois avaient été élus avec la promesse de faire la réforme du mode de scrutin. Ils valaient 75 % des appuis populaires», explique celui qui est aussi l’auteur du livre La réforme du mode de scrutin au Québec.

«Le seul espoir pour ceux qui veulent ardemment cette réforme, c’est qu’ils se fassent entendre auprès des partis d'opposition pour qu’ultimement François Legault fasse un référendum», affirme le professeur de science politique. 

Julien Verville soutient que, selon les sondages, entre 64 % et 70 % des Québécois appuient une réforme du mode de scrutin. «Ce n'est pas juste un débat d'intellectuels.»

Des voix s’élèvent contre 

Hormis des politiciens, peu de personnalités publiques s’affichent ouvertement contre la réforme du mode de scrutin. C’est toutefois le cas du politologue et analyste politique Christian Dufour, qui affirme que le système actuel a plusieurs avantages. 

«On ne doit pas juger un mode de scrutin sur une seule élection. Notre système favorise la majorité francophone – qui est en régression à de multiples niveaux –, il favorise l'élection de gouvernements forts, mais congédiables», explique-t-il. Christian Dufour croit qu'un système proportionnel produit au contraire des gouvernements plus faibles. 

Celui qui est aussi l’auteur du livre Le pouvoir québécois menacé : non à la proportionnelle! ne croit pas que nous verrons une réforme de ce genre un jour. Christian Dufour affirme que les partis d’opposition doivent plutôt s’adapter au mode de scrutin actuel s’ils veulent vaincre la CAQ. 

«Je crois que le mode de scrutin envoie un message aux partis – en particulier à Québec solidaire. Ils doivent manoeuvrer, faire des coalitions et des alliances s’ils veulent accéder au pouvoir [...] Un système, ça structure le débat politique», lance-t-il. 

Questionné au sujet du sort du Parti conservateur d’Éric Duhaime qui n’a aucun élu à l’Assemblée nationale avec 13 % des votes, Christian Dufour affirme qu'il y a bel et bien une injustice. «Mais la politique, ce n'est pas juste. C'est l'encadrement de la loi de la jungle. C'est très imparfait, la politique. Eh oui, ça peut créer un certain cynisme.» Il croit toutefois que le chef conservateur a envoyé le bon signal à ses partisans lors de son discours de défaite en affirmant qu’il était là pour rester.

Le politologue affirme aussi que la situation d’Éric Duhaime pourra lui attirer davantage de sympathie.

Avec les informations d’Émilie Pelletier et de Simon Carmichael