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L’effet Duhaime sur le vote par anticipation

Les circonscriptions où le vote par anticipation a le plus progressé par rapport à 2018 sont celles où le Parti conservateur semble avoir les meilleures chances de percer.

CHRONIQUE / La circonscription de Louis-Hébert a établi en fin de semaine un nouveau record de vote par anticipation dans l’histoire du Québec. Quatre électeurs sur dix (39,5 %) ont voté avant le jour J.


Du jamais vu depuis la fin des années 90, observe le directeur général des élections (DGE). Et probablement jamais avant non plus, car le vote par anticipation était jusque là une exception.

Les taux au vote par anticipation sont depuis en hausse constante. La pratique est de plus en plus courante et est encouragée par le DGE.

Cela permet d’éviter la cohue du jour du vote, même si dans les faits, on en provoque parfois une nouvelle.

Voter à l’avance témoigne de la difficulté à organiser les vies de famille les jours de semaine. C’est plus facile le week-end.

Dans la région de Québec, il n’y a pas que Louis-Hébert qui a voté «massivement» par anticipation. Ce sont toutes les circonscriptions ou presque. La hausse la plus importante par rapport à 2018 a été dans Chauveau (11 %).

D’autres régions ont au contraire moins voté. L’ouest de Montréal notamment ce qui en dit probablement long sur la motivation des partisans libéraux à aller voter cette année.

Pourquoi Québec vote-t-elle autant par anticipation?

Quatre hypothèses.

1 – Un effet Duhaime.

Les circonscriptions où le vote par anticipation a le plus progressé par rapport à 2018 sont celles où le Parti conservateur semble avoir les meilleures chances de percer.

Difficile de n’y voir qu’une coïncidence.

En tête de liste, Chauveau, où se présente le chef Éric Duhaime. Lors des dernières élections, on retrouvait Chauveau dans la bonne moyenne de la région de Québec.

Elle vient de bondir dans le groupe de tête avec 32,5 % de vote par anticipation, un bond de 11 % par rapport la 2018.

On note des hausses similaires (+ 10%) dans Beauce Nord et Beauce-Sud, que le Parti conservateur espère aussi arracher à la CAQ.

Des hausses significatives aussi dans La Peltrie (+10%), Chutes-de-la-Chaudière (+ 9 %), Lotbinières (+ 8%), Montmorency, (+ 8%), Lévis (8%), Portneuf (+ 8%) et Vanier (+ 7,5%).

Les circonscriptions où le vote par anticipation a le plus progressé sont toutes des cibles que peut raisonnablement viser le Parti conservateur.

Il ne va pas les gagner toutes. Les avances de la CAQ sont parfois telles qu’un renversement est peu probable. À moins d’une forte vague que les sondeurs n’auraient pas vue venir.

Ça s’est déjà vu, remarquez.

Il est possible que des électeurs soient gênés de dire aux sondeurs qu’ils vont voter conservateur. Comme les sympathisants libéraux en d’autres temps, ce qui s’était traduit parfois par une «prime à l’urne».

Un sondage Léger publié mardi dans le Journal de Québec indiquait que le vote conservateur est le plus solide des cinq grands partis.

Ses partisans étaient plus nombreux que les autres à savoir qu’ils ne changeront pas d’idée. Cela permet d’aller voter tôt et l’âme en paix, sans se préoccuper de ce qui pourrait se passer dans la dernière semaine.

On peut aussi penser que les électeurs fâchés sont plus déterminés à voter que ceux qui sont satisfaits du gouvernement sortant.

On a vu pendant la campagne que le Parti conservateur avait une forte capacité de mobilisation.

«Le vote antisystème (comme celui des conservateurs) est habituellement plus difficile à mobiliser aux urnes», prévient cependant le professeur de science politiques Éric Montigny, lui aussi de l’Université Laval.

M. Montigny invite à la prudence dans l’interprétation du vote par anticipation. Il est possible que les sympathisants conservateurs aient davantage voté, convient-il.

Mais il est possible aussi que la montée d’Éric Duhaime puisse «avoir mobilisé des adversaires des conservateurs».

Face à un adversaire perçu comme menaçant, la CAQ avait intérêt à mobiliser sa machine pour faire sortir son vote dès l’anticipation. Et de pouvoir ainsi en faire sortir d’autres le jour du vote.

Que ce soit les pro-Duhaime ou les contre qui soient sortis plus nombreux, cela pourrait expliquer la force du vote par anticipation. Dans les deux cas, on pourrait parler d’un effet Duhaime.

2- Nous trahissons notre âge.

Les citoyens plus âgés redoutent plus que les plus jeunes l’inconfort des files d’attente le jour du vote. C’est le cas de plusieurs circonscriptions de la région de Québec. Ce n’est rien de nouveau.

La tendance est plus marquée cette année. On retrouve cependant les mêmes circonscriptions qu’aux dernières élections dans le groupe des meneurs du vote par anticipation soit Louis-Hébert, Lévis, Charlesbourg, quelques autres.

3- Nous suivons la tendance générale

Outre les explications sociologiques énoncées ci-dessus la présence dans la course de cinq partis organisés a sans doute stimulé le vote par anticipation. Cinq machines électorales ont travaillé à «faire sortir» le vote à l’avance.

Un taux de participation élevée à l’anticipation n’est cependant pas un indicateur automatique du taux général, prévient la professeur de science politique Valérie-Anne Mahéo-Le Luel, de l’Université Laval.

Il est documenté que les gens qui votent par anticipation auraient voté de toute façon, rapporte-t-elle. II s’agit d’un déplacement des habitudes de vote et non de nouveaux électeurs.

Cela a été observé aussi avec le vote à distance ou par Internet. Un déplacement davantage qu’une hausse du nombre de voteurs.

4- Un effet troisième lien?

On a beaucoup parlé de troisième lien et de mobilité au cours de cette campagne. L’enjeu est devenu «national». Du moins, pour les grands médias de Montréal.

Il en fut aussi beaucoup question sur la scène locale. Tous les partis ont présenté un plan de mobilité, certains plus élaborés et crédibles que d’autres, mais dans tous les cas, assez pour animer le débat.

Cet enjeu de mobilité peut-il avoir contribué à un vote par anticipation plus élevé à Québec qu’ailleurs?

Rien ne permet de le démontrer.

Au lendemain de l’élection 2018, la professeur Mahéo-Le Luel a mené une étude sur les enjeux que les électeurs avaient trouvés les plus importants. Le résultat : santé, environnement, économie et éducation.

Rien n’indique si ce sont ces enjeux qui les ont menés aux urnes, précise la chercheuse.

La mobilité aurait-elle contribué à mobiliser des électeurs plus que d’autres thèmes?

L’hypothèse est intéressante, mais voyons d’abord les résultats de participation de lundi prochain avant d’aller plus loin.