Qui était Charles Amand?
R C’est un personnage énigmatique. C’est le héros du roman de Philippe Aubert de Gaspé fils, L’influence d’un livre, qui est le premier roman de la littérature québécoise. C’est un personnage étonnant parce qu’il est absent pendant une bonne partie du roman. C’est un paysan qui cherche à s’enrichir en pratiquant la magie ou l’alchimie. Au début du roman, il lit un seul livre à répétition, qui est Le Petit Albert.
Il est convaincu que, s’il applique à la lettre les recettes qu’il trouve dans Le Petit Albert, il va s’enrichir. Mais, tout ce qu’il tente est voué à l’échec. Il est crédule, naïf et superstitieux. Mais, au fil du roman, il finit par évoluer. Son gendre lui offre une série de livres. À la lecture de ces livres, il développe son esprit critique et devient un lecteur différent. Quand on lit le roman de Philippe Aubert de Gaspé, on a plus de questions que de réponses à son sujet. Dans ma fiction, j’ai essayé d’éclairer des facettes du personnage. Le premier chapitre s’ouvre sur l’incendie de sa maison et il meurt. Des rumeurs circulent à Saint-Jean-Port-Joli. Certains se demandent si c’est un accident, d’autres si c’est un suicide et il y en a même qui pensent qu’il y a l’intervention du diable.
Les autorités confient le mandat à M. T.L.B. d’enquêter sur la mort de Charles Amand pour reconstituer les faits et déterminer ce qui a causé sa mort. C’est aussi un prétexte pour rencontrer toutes les personnes qui l’ont connu et d’essayer d’éclairer le personnage énigmatique qu’on trouvait Dans l’influence d’un livre. C’est finalement au lecteur à faire sa propre opinion de Charles Amand.
Pouvez-vous nous parler un peu de Philippe Aubert de Gaspé père et fils?
R Aubert de Gaspé père, qui est le plus connu et qui est l’auteur du livre Les anciens Canadiens, a écrit sur le tard. Ça a été une façon de se racheter parce qu’il a eu des problèmes avec la justice, parce qu’il a été emprisonné et parce qu’il a perdu son image d’homme qui avait réussi. Il a eu une belle carrière dans la première partie de sa vie; il a étudié le droit et devient shériff de Québec.
Mais, il détourne des fonds à son profit personnel et est destitué en 1822. Il attend 15 ans avant de subir son procès et est emprisonné pendant plus de deux ans. Son fils est un écrivain plus précoce que lui; il publie son premier roman en 1837. Il a aussi des démêlés avec la justice. Il est emprisonné à plusieurs reprises pour avoir été ivre sur la voie publique et violent. Puis, l’histoire la plus connue, c’est lorsqu’il provoque en duel un député du Parti patriote qui lui a reproché de mal faire son travail de journaliste.
Edmund O’Callaghan, le numéro deux du Parti patriote, l’adjoint de Louis-Joseph Papineau, lui reproche de manquer d’objectivité et d’être favorable au Parti bureaucrate. Selon les versions, Philippe Aubert de Gaspé fils aurait menacé de frapper Edmund O’Callaghan avec son fouet. Le député porte plainte. Aubert de Gaspé fils est emprisonné. Quand il sort, il dépose une bombe puante dans la chambre de l’Assemblée législative. Pour éviter d’être emprisonné à nouveau, il s’enfuit à Saint-Jean-Port-Joli, où il écrit son livre L’influence d’un livre. Il continue sa carrière en Nouvelle-Écosse comme journaliste et ensuite comme précepteur. Il meurt dans la vingtaine, dans des circonstances mal élucidées, au moment où son père est emprisonné à Québec.
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Dans votre livre, il est beaucoup question d’alchimie, qu’on associe à une forme de magie noire. Est-ce qu’on retrouvait beaucoup cet univers dans la littérature de cette époque?
R Oui et non. Le Petit Albert, que Charles Amand lisait, est un véritable livre qui circulait beaucoup en France comme au Québec. C’est un livre qui a été publié la première fois à la fin du XVIIe siècle et il y a eu des rééditions au XVIIIe et XIXe siècles. Au Québec, il a connu un grand succès. À cette époque, il n’y a pas d’autres œuvres qui mettent en scène un personnage d’alchimiste, qui font intervenir la magie ou qui font intervenir «Le Petit Albert» comme un livre influent.
Pourquoi vous intéressez-vous à Philippe Aubert de Gaspé père et fils?
R Parce qu’ils ont un destin romanesque et parce que j’aime beaucoup leurs œuvres. J’ai toujours été intrigué par L’influence d’un livre. Puis, ce que j’aime d’Aubert de Gaspé père, c’est qu’il est un témoin privilégié d’une société qui disparaît au XIXe siècle. Il est le dernier seigneur de Saint-Jean-Port-Joli. C’est un personnage qui n’a pas vécu l’époque du régime français parce qu’il est né après, en 1784. Mais, par sa famille, il a accès à des souvenirs privilégiés. Donc, il nous raconte une société que personne n’a connue dans les années 1860.
Pendant très longtemps, l’idée qu’on se fait de ce qu’était le Québec avant les années 1850, c’est la représentation qu’Aubert de Gaspé donne dans Les anciens Canadiens ou dans ses mémoires, une œuvre qu’il fait paraître trois ans après. Ce que j’aime surtout, c’est qu’il est l’auteur le plus lu à l’époque. Le best seller Les anciens Canadiens a été tiré à plusieurs milliers d’exemplaires, à une époque où il y a beaucoup moins de lecteurs qu’aujourd’hui. C’est le premier grand écrivain qui rejoint un lectorat très large. Les gens ordinaires s’identifient à l’œuvre d’Aubert de Gaspé et au personnage, qui incarne le bon seigneur. C’est un rôle qu’Aubert de Gaspé s’applique à jouer jusqu’à sa mort, même s’il n’est plus seigneur.
Vous avez toujours été fasciné par Toussaint Cartier, un ermite qui a vécu pendant 40 ans sur l’île Saint-Barnabé, au large de Rimouski. Vous préparez un ouvrage sur lui?
R J’écris deux livres. Comme j’aime à la fois la fiction et le travail d’historien littéraire, j’ai essayé de faire un livre de fiction d’abord, que j’ai soumis à mon éditeur. Je ne sais pas si ce sera accepté. C’est un recueil de nouvelles, de récits et d’essais, entrecoupé d’entrées d’un journal de confinement d’un personnage qui s’intéresse à l’ermite, qui s’identifie à lui, qui est une sorte d’ermite moderne.
À côté, je prépare un essai historique, où je raconte tout ce que l’on sait à son sujet, aussi bien dans les archives, les documents qui ont été produits de son vivant que dans les récits qu’on a produits à partir de sa mort au XVIIIe et XIXe siècles. On ne saura jamais vraiment qui était Toussaint Cartier. C’est pour ça qu’il est une légende.