Les hommes voilés

Une manifestante tient un portrait de Mahsa Amini lors d'une manifestation de soutien à Amini, une jeune Iranienne décédée après avoir été arrêtée à Téhéran par la police des mœurs de la République islamique

POINT DE VUE / Après le décès de Mahsa Amini en Iran et la mort de plusieurs autres femmes tuées pour avoir refusé de porter le voile, qui osera encore dire aujourd’hui que ce voile n’est qu’un «bout de tissu» et qu’il ne représente en rien un gigantesque symbole d’oppression?


«Oui, mais il ne faut pas confondre l’Iran avec le Québec, plusieurs femmes ici le portent par choix et ce n’est pas à nous de leur dire comment s’habiller…» Ce refrain, de par sa légèreté, je ne suis plus capable de l’entendre. Bien sûr qu’il est toujours question de choix personnel. Mais que vaut ce genre de petites libertés souvent évoquées pour se distinguer, pour montrer sa différence ou pour avoir l’air coquette, face à ce qui se joue en ce moment en Iran? 

Des femmes sont tabassées, arrêtées et aussi tuées. Le sang coule et leur droit à la dignité est bafoué. Bien que les femmes puissent ici se couvrir la tête, ne serait-il pas opportun en ces temps de tueries de se montrer solidaires à l’endroit de ces millions d’Iraniennes qui se «dévoilent» à nous par leur courage, qui tentent de se tenir debout face à un gouvernement qui fait du port du voile un des piliers symboliques de son régime, pour reprendre les mots de François Brousseau du Devoir

«Oui, mais c’est par respect pour leur religion et pour leur Dieu que plusieurs portent ce voile ; celui-ci fait partie de leur identité...» De la même manière que le bon Dieu a le dos large lorsque vient le temps pour les hommes d’opprimer les femmes, de les dominer ou de les effacer de la scène publique, il est triste de constater qu’il est également souvent évoqué par certaines femmes et certains hommes pour se donner bonne conscience, pour voiler leur insouciance ou leur lâcheté. 

Ce que je dis aux croyants est ceci : au lieu de tenter d’entrer en communion avec un être invisible – et à mon point de vue imaginaire –, pourquoi ne pas essayer plutôt de communier avec des êtres réels, en chair et (encore) en vie qui demandent qu’on les écoute, qu’on les soutienne, qu’on les sauve de leurs bourreaux? 

Et puis, votre Dieu, en admettant qu’il puisse exister, je serais alors prêt à parier, à la manière de Pascal, qu’il n’accorderait aucune espèce d’importance au fait que vous portiez ou non ce foulard, mais, qu’au contraire, il serait plein d’admiration s’il constatait que vous êtes solidaires avec ces femmes qui ne demandent qu’à être respectées dans leur humanité la plus fondamentale. 

Il y a des femmes et des hommes voilés au Québec et partout en Occident ; mais ce ne sont pas toujours celles et ceux que l’on croit. Je pense à toutes ces personnes qui se ferment les yeux, qui refusent d’admettre que le port du voile est un symbole politique et d’oppression que manipulent brillamment tous ceux qui veulent contrôler les femmes, les dominer, les enfermer et les maintenir dans un statut d’être inférieur. 

Que nous étions beaux à voir lorsque nous scandions à l’unisson voilà quelques années « Je suis Charlie! » Aujourd’hui, le premier et le plus beau geste que certains pourraient poser pour soutenir réellement ces femmes opprimées en Iran et partout dans le monde, ce serait d’arracher et de brûler ce voile idéologique qui leur cache la vue et les empêche de saisir pleinement la charge symbolique de ce qu’ils s’obstinent à voir comme un simple et inoffensif «bout de tissu». S’ouvrir les yeux sur cette réalité représenterait un premier geste de solidarité à l’endroit de toutes ces femmes opprimées, mais tellement courageuses. 

Réjean Bergeron est l’auteur du récent livre Homère, la vie et rien d’autre ! (Les Heures bleues)