Les arts, une nécessité

Bernard Gilbert œuvre depuis 40 ans dans le domaine des arts et de la culture. Son plus récent roman, Les singes bariolés et le déclin de l’espèce humaine est paru en 2021 chez Québec Amérique. Il profite des élections pour partager ses réflexions à l’occasion de la série Regards sur la campagne, un projet des Coops de l’information visant à donner la parole à des gens de tous les horizons sur le Québec d’aujourd’hui.


REGARDS SUR LA CAMPAGNE / D’après la plupart de nos dirigeants politiques, la langue, les arts et la culture sont importants et nécessaires. Voici où bat, ni plus ni moins, le cœur de notre identité. La pandémie de Covid-19, en touchant si durement les artistes, a favorisé une prise de conscience : nous avons besoin de nos artistes, il faut leur donner les moyens de passer à travers. La vie collective retrouvant son erre d’aller, la tentation sera grande, après les élections et un généreux plan de relance, de calmer les ardeurs du secteur. En campagne, les chefs parlent d’identité, de langue française, mais PAS des arts ni de la culture. Alors que l’occasion est belle, au contraire, de régler une fois pour toutes des problèmes systémiques, au premier rang desquels se trouve un sous-financement chronique.

Dans le «beau milieu», une frange limitée d’artistes, d’interprètes et d’écrivain.e.s gagnent bien leur vie. Il y a bon nombre d’institutions assez bien dotées. Grand bien leur fasse... Cela dit, pour que cent ou mille réussissent, dans le système actuel, dix milles ont d’abord fait le choix de l’art. Ces milliers se sont formés. Ils ont exploré et tâtonné, pour la grande majorité dans des conditions de misère. Demande-t-on à une jeune infirmière, à un jeune plombier, à une jeune ingénieure d’étudier pour gagner moins qu’à peu près tout le monde ?

Des problèmes connus depuis des lustres

La crise provoquée par la pandémie met en lumière des problèmes connus depuis des lustres : salaires et conditions de travail de bas étage dans la plupart des organisations, forte proportion de travailleurs et travailleuses autonomes sans protection sociale, incertitude des moyens due notamment à la loterie que représentent les programmes de bourses et de subventions (financement par projets, beaucoup de demandes, peu d’élu.e.s), faible diffusion d’œuvres pourtant réputées de haut calibre, méconnaissance de qui sont les artistes hormis la poignée de vedettes qui inonde les médias, encore plus hors de Montréal. Et j’en passe...

Ce n’est pas comme écrivain que je gagne ma vie. Avec mes douze livres publiés depuis les années 1980, dont plusieurs ont bien fonctionnés, un calcul rapide (droits d’auteur, quelques bourses, quelques séries de conférences sur mes livres) mène au mirobolant total, sur 40 ans, d’environ 90 000 $. Mes revenus annuels moyens, comme écrivain, atteignent à peine 2 500 $ par année.

Si je poursuis cette carrière, vous comprenez d’emblée que ce n’est pas pour l’argent. L’écriture fait partie de ma vie. Ce métier ouvre un canal par lequel je peux m’impliquer dans la compréhension du monde, vous dire ce que j’en pense, donner mon avis. Écrire serait, en ce sens, mon bénévolat. J’en ai fait le choix, direz-vous, et c’est mon problème si ce n’est pas payant. D’accord... L’avenir pourrait toutefois offrir plus à celles et ceux qui, aujourd’hui, s’investissent dans la pratique artistique.

Lorsque le Québec, dans les années 1960, a révolutionné ses systèmes de l’éducation et de la santé, il aurait fallu que les arts et la culture profitent du même mouvement. Oui, les artistes et les poètes ont fait vibrer les Québécoises et les Québécois. Ils et elles ont participé pleinement à l’avènement d’une société moderne et démocratique. Toutefois, sur le plan de la vie matérielle, hormis quelques vedettes, les saltimbanques demeurent depuis des laissés pour compte.

En campagne électorale, la coalition La culture, le cœur du Québec, réclame que les sommes consacrées au secteur par le gouvernement atteignent un minimum de 2 % du budget national. Le message est simple et porteur : ce pourcentage représenterait beaucoup pour le secteur, et si peu pour le gouvernement.

Si les arts et la culture, avec la langue, constituent les assises de ce qu’est aujourd’hui le Québec, comme s’en vante tant de politiciens, l’apport public ne doit pas se compter seulement en pourcentage. Vivre, plutôt que survivre, devrait être à la portée des jeunes et des moins jeunes qui font le choix de l’art et de la culture. Imaginez l’impact humain, social, éducatif, philosophique, spirituel, communautaire, touristique, économique qu’auraient ces personnes si on leur donnait les moyens. Bien sûr, les tenants de la droite populiste, portés par les radios poubelles de la capitale, seront contre. Affirmons-le haut et fort : les arts et la culture, avec l’éducation, constituent un excellent rempart contre le mensonge et l’individualisme forcené dont ces chantres de la « libârté » se font les apôtres.

Vivre de l’art et de la culture ? Une nécessité.