Saint-Roch est «rendu heavy»

Olivier Patry habite Saint-Roch depuis 17 ans et estime qu'il ne cesse de se dégrader. Au même rythme que sa qualité de vie.

Le sentiment de sécurité s'effrite dans le quartier Saint-Roch. Et les agressions survenues au cours des derniers jours ne sont rien pour contribuer à le rétablir.


«C'est rendu heavy», laisse tomber Olivier Patry au bout du fil. 

Au coin des rues du Pont et la Salle, le citoyen regarde son quartier évoluer. Il habite Saint-Roch depuis 17 ans et considère qu'il ne cesse de se dégrader. Au même rythme que sa qualité de vie. 

À l'époque, il avait choisi de s'y établir pour vivre une vie de quartier active et une mixité sociale riche. Cette réalité y est toujours, mais elle s'est compliquée, dit-il en entrevue avec Le Soleil. «On a fait un retour en arrière dans les dernières années. On revient au Saint-Roch très sale avec beaucoup de criminalité des années 1980-1990», estime-t-il. 

Comme des voisins, il rapporte être de plus en plus témoin d'incivilités perpétrées par des individus intoxiqués ou aux prises avec des problèmes de santé mentale près chez lui. Dans les rues, vols, vandalisme, cris, drogues, et actes de violence se multiplient, selon lui. 

«Ma fille de 10 ans s'est fait offrir des pilules par une dame intoxiquée, une voisine a trouvé des excréments dans un verre de Tim Hortons et on a une autoroute de clients de prostitution devant la maison», énumère-t-il sur un ton tantôt empreint de frustration, tantôt plein de découragement. 

L'agression d'un jeune homme, frappé à la tête avec une canne de métal, survenue samedi soir sur la rue Saint-Joseph est cependant «la goutte qui a fait déborder le vase». Pour évacuer le trop-plein, il a publié dans un groupe citoyen un long message faisant état de «situations extrêmes» qui ont pris une «ampleur considérable» ces dernières années.

En tant que père de deux jeunes enfants de 6 et 10 ans, ce constat l'inquiète. «Mes enfants ont peur de circuler dans le quartier depuis quelque temps. Quand on a décidé d'avoir des enfants, c'était en toute connaissance de cause, se souvient-il, mais on n'avait pas ce sentiment d'insécurité à l'époque». 

Marcher seule

Il n'est pas le seul à s'avouer préoccupé. Sous sa publication, les réactions d'autres citoyens n'ont pas tardé à fuser. 

«Je travaille près de Lauberivière et c'est invivable. C'est rendu dangereux, ce n'est plus les itinérants ivres, mais une gang de drogués qui commettent des méfaits», écrit l'une d'elles.

«Plus il y aura de gens mis à la rue par la gentrification du quartier, plus il va y avoir des drames de toutes sortes», anticipe un autre.

Dans le lot, Valérie Bérubé, résidente du quartier Saint-Roch, près de l'ascenseur du Faubourg, depuis huit ans. «Je suis plus craintive le soir», lâche la femme qui habite seule. «Je ne suis pas peureuse dans la vie, je connais bien le quartier et j'y travaille. C'est toujours un quartier que j'ai aimé, avec ses commerçants uniques, mais la réalité, c'est qu'on voit plus d'événements violents, plus d'agressivité et des cas graves», note Mme Bérubé, sans présumer que ces cas se multiplient vraiment.



Sauf que des épisodes tels que ceux impliquant trois personnes blessées avec une «arme tranchante» dans la nuit de mardi à mercredi près du jardin Jean-Paul-L’Allier frappent l'imaginaire et sont loin de la rassurer. 

Le climat actuel, poursuit-elle, l'empêche de fréquenter des activités au YMCA, voisin de Lauberivière. «Je ne suis pas capable de me dire je m'inscris et je me sens en sécurité. Ça n'avait jamais été un enjeu, mais là, même de jour, c'est un peu plus inquiétant.»

Nouveau visage

Les conséquences s'en ressentent. Parmi les citoyens contactés mercredi par Le Soleil, certains rapportent songer à un déménagement hors de Saint-Roch, alors que d'autres ont déjà vu des voisins le quitter récemment. 

«C'est comme si on se faisait voler notre quartier. Entre voisins, on a à peu près tous la même réflexion: est-ce que c'est une bonne place pour élever nos enfants?» La frustration se mélange aux émotions du nouveau propriétaire. «On vient d'acheter et on songe à vendre», lâche Olivier Patry.

Olivier Patry habite Saint-Roch depuis 17 ans et estime qu'il ne cesse de se dégrader. Au même rythme que sa qualité de vie.

Contrairement à lui, Valérie Bérubé n'a pas pensé à déménager. Du moins, pas encore. «Ce n'est dans les plans, mais si ça venait à continuer à s'aggraver, ça me ferait énormément de peine.»

À ce jour, ils évaluent que la situation a empiré depuis le déménagement de Lauberivière sur la rue du Pont, en mars 2021. Mais ils évitent de lui attribuer tous les maux.

Bien que certains qualifient de «fausse bonne idée» la concentration des services pour personnes itinérantes dans un même secteur de la ville, ils soutiennent que c'est surtout «le visage du quartier qui a changé» pendant la pandémie. 

«Les itinérants, on les connaissait dans le temps, mais on ne les voit plus, ce qu'on voit c'est des gens qui ont des problèmes graves qui vont bien au-delà», ajoute le citoyen Olivier Patry. Il pointe que des gens qui bénéficiaient des services du refuge évitent aujourd'hui de s'y rendre, rebutés par la criminalité aux alentours.

Le conseil de quartier garde l’oeil ouvert

Pour le président du conseil de quartier de Saint-Roch, ces propos tendent à valider l'hypothèse selon laquelle il existerait, au pourtour de Lauberivière, un marché de la drogue à ciel ouvert, dont les membres sont responsables des incidents dénoncés. 

«On ne doit pas tolérer les nuisances publiques dans notre quartier, pas plus qu'à Cap-Rouge ou sur la rue Maguire. On ne mettra pas la qualité de vie dans Saint-Roch à la remorque des problèmes de société qui peuvent être corrigés», réclame Louis H. Campagna. 

Lui-même citoyen du secteur, il dit suivre la situation «avec intérêt et préoccupation». Il refuse par contre de parler d'une tendance lourde annonciatrice de la détérioration du climat du quartier. 

«Est-ce que c'est un signal ou c'est un bruit de fond? On doit garder l'œil ouvert. Sans présumer de rien, on a les oreilles dressées, parce qu'on voit dans d'autres villes que des situations similaires sont montées en escalades et on peut arriver à des situations de violence», analyse M. Campagna. 

Bien au fait des craintes de certains, Éric Boulay, directeur général de Lauberivière assure «comprendre les gens de ne pas se sentir en sécurité». «C'est vrai, quand il y a des gens laissés à eux-mêmes dans la rue, ça peut créer des comportements colorés. On ne peut pas faire autrement que de s'interroger si on est résident du quartier», reconnaît-il. 

Mais pour les limiter, encore faudrait-il ajouter des ressources pour les besoins «plus spécialisés», dans la rue. Il ne suffirait que «les autorités cessent de se relancer la balle», croient des citoyens.

Parce qu'«il y a tellement de belles choses dans Saint-Roch. Il y a du beau qui peut cohabiter», illustre Éric Boulay.

Interpellée mercredi, la Ville de Québec n'a pas souhaité émettre de commentaires. Le conseiller municipal du district, Pierre-Luc Lachance a toutefois soumis aux citoyens inquiets une invitation à la rencontre du conseil de quartier de Saint-Roch du 29 septembre. «J'en profiterai pour refaire une présentation de toutes les actions en cours et à venir concernant la sécurité dans le quartier», convie-t-il.