Chronique|

Pour parler à un humain, appuyez sur le 1

Quand l’État québécois devient incapable de servir les citoyens autrement que par des messages automatisés et des pages Web, il abdique de ses responsabilités.

CHRONIQUE / Quand l’État québécois devient incapable de servir les citoyens autrement que par des messages automatisés et des pages Web, il abdique de ses responsabilités.


Et c’est tout simplement inadmissible.

Mes collègues de l’équipe d’impact des Coops de l’information ont testé les services téléphoniques de 10 sociétés d’État, ministères et organismes pour voir s’il était encore possible de parler à un être humain.



Si certains organismes obtiennent de bons résultats, c’est un désastre dans le cas de la SAAQ et de la RAMQ, deux des services les plus utilisés par la population.

Des lignes qui coupent, des temps d’attente de 60 minutes, des messages qui ne mènent nulle part…

On s’est tous butés, un jour ou l’autre, à ces services automatisés qui semblent avoir comme objectif, au mieux, de nous pousser vers l’Internet, au pire, de se débarrasser de nous…

C’est d’autant plus inadmissible lorsque ces labyrinthes téléphoniques dignes de la maison des fous offrent des services gouvernementaux.



Nos journalistes, pourtant des débrouillards, se sont perdus dans ces frustrants dédales de messages automatisés et de répondeurs.

Imaginez «le quart des utilisateurs qui n’a ni la compétence ni la littéracie pour accéder à des services en ligne», signale le professeur Justin Lawarée de l’École nationale d’administration publique.

Il est là, le scandale.

À force de vouloir économiser en automatisant ses systèmes, l’État finit par manquer à ses obligations face à la portion la plus vulnérable de sa clientèle. C’est carrément intolérable de la part d’organismes publics.

Les dirigeants de la SAAQ et de la RAMQ ont perdu le contact avec leur mission première, soit de servir équitablement tous les contribuables.

C’est d’autant plus inadmissible que les deux sociétés d’État ont tardé à apporter des ajustements. Le Protecteur du Citoyen leur a tapé sur les doigts, en 2019, pour les délais de réponse qui dépassaient déjà la norme de trois minutes pour 80% des appels.



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L’enquête de nos journalistes ne portait que sur des organismes publics. Mais du côté du privé aussi, il est de plus en plus difficile de parler à un être humain. Et si cette multinationale est un fournisseur de services publics comme l’électricité, le gaz, ou les télécommunications, le scandale n’en est pas moins grand que si c’était un organisme public.

J’ai tenté récemment d’annuler l’abonnement de mon fils à la PlayStation Plus. Aux prises avec des difficultés techniques, j’ai été incapable de trouver un numéro de téléphone ou ne fut-ce qu’une adresse courriel sur le site Web de Sony Interactive. On me fournissait une adresse postale à San Mateo, Californie

Je suis arrivé à me désabonner à force de recherches sur Google et d’essais-erreurs. Mais j’ai dû me débrouiller seul. Je me suis demandé quels auraient été mes recours si je n’avais pu régler le problème moi-même. Duquette contre Sony Interactive devant les tribunaux? J’étais fait d’avance.

Plus je lisais les excellents reportages de mes collègues, plus je me disais qu’il faudrait instaurer un nouveau droit fondamental au Québec: le droit de parler à un être humain lorsqu’on s’adresse à l’État ou à une entreprise privée.

L’option «Pour dialoguer avec un humain, appuyez sur le 1» devrait devenir obligatoire.

Je n’invente rien. L’Espagne a déposé un projet de loi en ce sens pas plus tard qu’en juin dernier.

Sous l’impulsion d’associations de consommateurs, l’État hispanique est en train de créer un droit à une relation téléphonique humaine.



S’il devait être adopté, ce projet de loi mettrait fin au règne des répondeurs automatiques pour la gestion des plaintes et des consultations téléphoniques en instaurant l’obligation d’une assistance personnalisée.

Et c’est du sérieux: il prévoit des amendes de 200$ à 13 000$ pour une première infraction, et jusqu’à 130 000$ en cas de récidive…

Mieux encore, le projet de loi cible les délais d’attente interminables. Il oblige les compagnies à répondre à un appel en moins de trois minutes.

Le gouvernement espagnol est très conscient que cette obligation forcera des entreprises à embaucher davantage de personnel pour répondre au téléphone.

Oui, des personnes en chair et en os, capables d’interactions avec leur interlocuteur. Avec une voix humaine.

Ne reste plus qu’à appuyer sur le 1…