Connectivité permanente, heures supplémentaires ou stress de performance, la relation au travail est la cause de bien des maux chez les jeunes professionnels. Aux États-Unis, la tendance des «démissions silencieuses» en est un symptôme.
Selon un reportage de l’Agence France-Presse, de plus en plus d’employés américains se joignent au quiet quitting, ce mouvement né sur la plateforme Tik Tok en juillet, qui se veut de répondre au minimum des demandes de l’emploi, afin d'éviter l'épuisement professionnel.
Certains internautes pointent du doigt le non-sens de se définir par son emploi. D’autres accusent plutôt ces derniers d’être des «fainéants», décrivent les propos rapportés par l’AFP. Le débat est lancé, et le Québec semble y échapper de peu, pour l’instant.
Pour Joëlle Carpentier, professeure au département d’organisation et ressources humaines à l’ESG UQAM, le phénomène des démissions silencieuses tend à être peu visible chez les millénariaux du Québec. Il n’en est pas moins présent, surtout que cette génération porte sur ses épaules le futur de la force de main-d'œuvre, en grand manque chez la majorité des employeurs.
Phénomène temporaire, réflexion à maintenir
S’il est encore trop tôt pour tirer de conclusion sur son l'impact, la professeure avance qu’une partie de la rareté de main-d'œuvre est peut-être dû à ce type de position émergente.
«C’est une extrapolation qu’on fait, mais quand on parle à des gestionnaires, ils vont souvent dire que c’est difficile de recruter et que lorsqu’ils réussissent, il est difficile de demander des choses aux employés.»
Entre la génération boomer et millénariale, mœurs et coutumes ont changé, parfois pour le meilleur et parfois pour le pire des employeurs.
Une étude publiée le 8 septembre du Regroupement des jeunes chambres de commerce du Québec (RJCCQ), révèle que l’élément le plus important pour plus de la moitié des professionnels de 35 ans et moins, quant au choix de l’employeur, est les conditions de travail directes, comme le salaire et les avantages sociaux.
La conciliation du travail-vie personnelle est également non négociable pour 71% d’entre eux.
À l’écoute
Le Québec a déjà une tradition d’être très oral quant à ses besoins, note le président et chef de la direction du Conseil du patronat du Québec, Karl Blackburn.
Et depuis le début de la pandémie, les employeurs ont écouté, assure-t-il.
«Je dirais que les employeurs ont fait énormément d’effort, d’ajustement et d’adaptation, que ce soit dans les agendas ou dans les postes, [ils offrent] beaucoup plus de flexibilité pour le télétravail et les conciliations vacances et travail-famille. On voit beaucoup plus ces choses-là maintenant que peut-être auparavant.»
Cela n’empêche pas le constat préoccupant dressé l’an passé par une étude de l’organisation Recherche en santé mentale. Plus de 40% des jeunes canadiens de 18 à 34 ans disaient souffrir d’épuisement professionnel à la fin de 2021.
Et selon l’étude du RJCCQ, près de 60% des 36-64 ans observent une amélioration de leur santé mentale, contrairement aux 35 ans et moins. Plus de 40% de ces jeunes professionnels jugent que leur santé mentale est restée au même stade et 20% de ceux-ci considèrent comme insuffisantes les mesures de soutien prises par leur employeur.
«Je comprends les intentions derrière cette tendance-là, admet M. Blackburn. Lorsque je prends la génération de mes parents, ceux-ci travaillaient probablement toute leur carrière avec le même employeur. Si je prends ma génération, nous allons probablement faire 5-6 employeurs. Et pour la génération plus jeune, c’en est beaucoup plus.»
Toutefois, les bottines doivent suivre les babines, ajoute Éliane Trudel, présidente du conseil d’administration de la Chambre de commerce et d’industrie du Grand Lévis
«Le marché de l’emploi étant ce qu’il est aujourd’hui, cet équilibre prend plus d’ampleur. Ça devient un enjeu majeur pour les employeurs.»
La main-d'œuvre est de plus en plus sollicitée pour aller vers de nouveaux emplois, rappelle-t-elle. «Il y a des guerres d'enchères, les salaires montent, il y a plus d’ouvertures au télétravail ou hybrides et d’horaires flexibles avec des semaines de 30h; le choix est là. Donc, en tant qu’entreprise, il faut observer ce qui se fait ailleurs afin de rester attractif», prévient Mme Trudel.
Un cadre clair
Au Portugal, il est illégal de contacter ses employés en dehors des heures de travail. En 2017, une loi similaire a été adoptée en France, dans laquelle les employés sont autorisés à ignorer leur patron en dehors des heures légales.
Au Québec, un cadre plus informel est encouragé par les intervenants du dossier.
«J’ai plus tendance à encourager l’information et la sensibilisation, que le côté législatif de la chose. Parce que c’est toujours plus puissant quand c’est endossé par les gens eux-mêmes que quand c’est imposé», tranche Joëlle Carpentier.
«C’est le genre de politique et de réflexion qu’on encourage et qui peut aider à ce que les gens ne ressentent pas le besoin eux-mêmes de mettre une frontière aussi drastique, que nous pouvons observer dans la démission silencieuse.»
Pour ce faire, il faut toutefois s'assurer de donner des attentes claires aux travailleurs, conclut Éliane Trudel. «Si l’on donne un certain portrait et que ce n’est pas nécessairement ce qui est véhiculé au quotidien, là on se retrouve dans une problématique.»