Les maisons imprimées en 3D deviennent réalité

À Austin, au Texas, la compagnie ICON a construit en 2020 plusieurs maisons de 400 pieds carrés à l’aide d’une gigantesque imprimante 3D.

Quelques-unes ont poussé à Austin, au Texas, tandis que la Chine en compte déjà plusieurs. Un bâtiment du même genre est également en construction en Ontario, et on projette d’en construire ailleurs au Canada: les maisons imprimées en 3D deviennent réalité! À quand leur apparition au Québec?


À Austin au Texas, la compagnie ICON a construit en 2020 plusieurs maisons de 400 pieds carrés à l’aide d’une gigantesque imprimante 3D.

Les maisons comportent une chambre, une salle de bain ainsi qu’une cuisine avec tous les équipements. L’aspect intérieur des murs de béton est à la fois texturé et épuré, avec un côté industriel, ce qui correspond aux tendances actuelles.

Ces maisons imprimées ont été intégrées au village Community First! de l’organisme Mobile Loaves & Fishes, qui est dédié à l’hébergement des personnes sans-abri.

Les maisons comportent une chambre, une salle de bain ainsi qu’une cuisine avec tous les équipements.

Un an auparavant, ICON avait collaboré avec un autre organisme, New Story, pour réaliser un projet similaire situé à Tabasco au Mexique. Dix maisons de 500 pieds carrés comportant deux chambres ont été imprimées, chacune en l’espace d’une journée.

Ces dernières ont été construites spécialement pour résister aux séismes, puisque l’État de Tabasco est situé dans une zone à risque. La maison ne devrait pas subir de dommage à moins d’un tremblement de terre d’une magnitude de plus de 7,4 sur l’échelle de Richter.

En 2019, ICON a collaboré avec un autre organisme, New Story, pour réaliser un projet situé à Tabasco au Mexique.

En Chine, des entrepreneurs ont poussé le procédé à son maximum. Ils ont imprimé un total de 10 petites maisons en moins de 24 heures. Ces derniers prétendent que celles-ci ont couté moins de 5000$ chacune.

À Leamington en Ontario, l’organisme Habitat pour l’Humanité Windsor-Esex finalise actuellement un bâtiment imprimé qui sera éventuellement habité.

Cette construction, qui a démarré en mai dernier, a été rendue possible grâce à la participation de l’Université de Windsor, de la Municipalité de Leamington et de plusieurs autres investisseurs.

L’aspect intérieur des murs de béton est à la fois texturé et épuré, avec un petit côté industriel.

Des avancées à l’Université de Sherbrooke

La technologie est sans doute impressionnante, mais sera-t-elle un jour appliquée ici, au Québec?

Le professeur de la faculté de génie de l’Université de Sherbrooke (UdeS) et titulaire de la Chaire de recherche industrielle du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada sur le développement des bétons fluides à rhéologie adaptée, Ammar Yahia, est certain que oui.

Le professeur Ammar Yahia, et l'imprimante 3D que lui et son équipe ont développée.

«C’est une technologie très, très prometteuse qui pourrait à la fois réduire le temps de construction, l’empreinte écologique et aussi l’impact de la pénurie de main-d’œuvre», soutient d’emblée le professeur Yahia, en entrevue avec Le Mag.

Avec son équipe, le professeur Yahia a développé dans les locaux de l’UdeS une machine d’impression de béton en 3D de taille modeste, qui a été dévoilée aux médias l’année dernière. Elle fonctionne d’une manière similaire aux imprimantes plus imposantes qui impriment des bâtiments.

«Elle nous permet de mettre le béton à l’épreuve, pour faire souffrir dans des conditions réelles», explique le professeur.

L’imprimante 3D développée par l’UdeS, qui a produit pour démonstration le logo de l’Université.

À première vue, le principe est le même qu’une imprimante 3D habituelle: la machine met en place l’une sur l’autre les couches d’un matériau en suivant un schéma numérisé.

La plus grosse différence réside dans la matière utilisée par la machine. Le plastique habituel est remplacé par un type de béton spécial. Ainsi, l’appareil peut ériger une maison, de la fondation jusqu’au toit en l’espace d’une journée, voire quelques heures, selon la dimension.

Un béton plus écologique

Le matériau doit être liquide tout en étant assez consistant et ferme pour recevoir la prochaine couche.

Le professeur de l’UdeS est toutefois catégorique sur un point: le travail de son équipe n’est pas comparable à l’expérience réalisée actuellement en Ontario.

«Nous, on développe et on optimise des matériaux afin qu’ils soient imprimables à travers la machine», explique M. Yahia. Tandis que l’organisme en Ontario a obtenu des fonds pour engager une entreprise qui possède une imprimante et qui réalise le tout pour eux, en partenariat avec l’Université de Windsor.

«Tout ça est un peu secret, on ne sait pas du tout quels matériaux ils ont utilisés pour imprimer, l’impact écologique de ces matériaux ainsi que leurs coûts», soutient le professeur.

À Sherbrooke, l’équipe de M. Yahia a développé ses propres recettes pour former un béton parfait pour l’imprimante.

«Le matériau qu’on utilise doit avoir des propriétés très spécifiques, il a donc une consistance différente du béton habituel. Il est un peu comme une espèce de Jello», illustre le professeur. Il doit être liquide tout en étant assez consistant et ferme pour recevoir la prochaine couche qui va être imprimée par-dessus.

L'imprimante Vulcan II en pleine action, à Austin au Texas.

Le ciment, l’élément liant qui entre dans la composition du béton, produit une importante empreinte écologique. L’équipe de l’UdeS a donc développé un mélange avec une très faible proportion de ciment afin de rendre la technologie plus écoresponsable.

«Nous, on utilise des ajouts cimentaires comme des cendres volantes ou de la poudre de verre qu’on intègre dans le mélange et qui viennent lier les éléments», explique M. Yahia. Ces additifs sont des résidus issus du domaine de la construction, ou d’autres industries, qui obtiennent une deuxième vie à travers le béton.

«On suit ça avec beaucoup d’intérêt»

Du côté de l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ), on dit suivre cette avancée technologique de près.

«Toute innovation qui vise à augmenter et améliorer l’accessibilité à l’habitation, les performances, la durabilité et la facilité de fabrication, on suit ça de près», indique Marco Lasalle, directeur du service technique à l’ACPHQ. Selon lui, cette technologie pourrait avoir un impact positif sur ces quatre cibles.

La compagnie ICON a aussi imprimé les Résidences de la East 17th Street, à Austin au Texas, qui ont ensuite été vendues au plus offrant.

Puisque les opérations de coffrage et de décoffrage sont supprimées, le procédé est «plus rapide et produit moins de déchets et de résidus», explique de son côté le professeur Yahia.

«De plus, vous avez seulement besoin de trois ou quatre employés pour opérer la machine et surveiller le tout», ajoute-t-il. Le risque d’erreurs humaines est aussi réduit, puisque l’imprimante s’occupe de presque tout.

Contrairement à ce que certains pourraient penser, les ajustements à appliquer lors de la construction sont relativement minimes par rapport aux procédures habituelles.

«Le plus gros changement, c’est que la maison va devoir être isolée par l’extérieur et non de l’intérieur», signale M. Lasalle.

Professeur au Département de génie civil et de génie des eaux à l’Université Laval, Marc Jolin confirme le potentiel de la technologie d’impression 3D. À l’instar de M. Lasalle, il croit que les ajustements ne seront pas un gros obstacle.  

Les maisons imprimées en 3D devront être isolées de l'extérieur.

«Comme n’importe quel bâtiment construit en béton, il faut que tu penses ou tu vas passer les fils électriques, tuyaux et drains avant la construction, parce que ça ne pourra pas être modifié par la suite», explique M. Jolin.

Selon ce dernier, la technologie d’impression 3D pourrait également être très utile pour préfabriquer les éléments d’un bâtiment qui seront ensuite installés à la main.

Quelques obstacles à surmonter

L’imprimante Tilikum de la compagnie Twente Additive Manufacturing.

À l’UdeS, le professeur Yahia et son équipe n’attendent plus que de passer à l’étape supérieure, soit utiliser leur béton avec une imprimante capable d’ériger un petit bâtiment. Toutefois, un dernier obstacle reste à surmonter: le manque de fonds.

«Il nous manque seulement une subvention pour acquérir la machine plus grande», dit M. Yahia, qui rêve de tester la technique à l’échelle d’un bâtiment.

Le professeur a magasiné les imprimantes et son choix est déjà fait. Il désire acquérir l’imprimante Tilikum de la compagnie hollandaise Twente Additive Manufacturing, composée d’un bras robotisé disposé sur une remorque à plateau.

«Cette machine est plus facile à transporter et demande moins d’espace d’entreposage, ce qui serait parfait pour une Université», indique le professeur.

L’équipe du professeur Yahia a développé ses propres recettes pour former un béton parfait pour l’imprimante.

Toutefois, selon l’ACPHQ, les maisons imprimées ne vont pas apparaître à tous les coins de rue demain matin, simplement parce que le code du bâtiment ne le permet pas.

«C’est le plus gros obstacle selon moi […] vous savez on a de la difficulté à tasser une simple virgule dans le code», lâche M. Lasalle.

Selon lui, avec une difficulté pareille, cette technologie ne sera pas utilisée de manière commerciale avant «15 ou 20 ans».

Pour sa part, le professeur Jolin estime que l’implication d’une municipalité, d’un ministère ou d’une compagnie est essentielle dans un projet comme celui de M. Yahia. Un partenariat du genre permettrait de faire un pont entre le développement des technologies et l’application de celles-ci dans la réalité.

«S’il y a un fabricant de béton qui est à bord, ou une municipalité ou encore un ministère […] alors les partenaires sont déjà tous autour de la table pour changer les normes, et on vient peut-être de sauver cinq ans», conclut M. Jolin.