Tribunal spécialisé en violence conjugale et sexuelle: beaucoup de volonté, peu de ressources

Le palais de justice de Québec

La nouvelle division spécialisée en violence conjugale et sexuelle ouvre officiellement ses portes mercredi à Québec, avec beaucoup de volonté d’humaniser la justice pour les plaignantes, mais, pour le moment, bien peu de ressources qui viendraient réduire les délais.


Dans la foulée de l’adoption de la loi sur le tribunal spécialisé, tous les dossiers de violence conjugale et de crimes sexuels seront regroupés ce mercredi – et tous les mercredis qui suivront - dans une même salle d’audience de la Cour du Québec, en l’occurence la salle 2.10 du palais de justice de Québec.

Des projets pilotes sont aussi menés à Salaberry-de-Valleyfield, Granby, Drummondville, La Tuque, Laval, Sherbrooke, Lac-Mégantic, Sept-Îles et Montmagny.

Les procureurs de la Couronne et les avocats de la défense défileront devant la juge pour compléter la divulgation de preuve, faire l’orientation des dossiers, faire la gestion des futurs procès. Des accusés pourront aussi plaider coupable dans cette nouvelle salle à volume.

Au moins 99 dossiers seront entendus en ce premier mercredi de la nouvelle division spécialisée. La Cour du Québec dit à terme souhaiter limiter le nombre à environ 60 dossiers pour offrir une approche plus personnalisée.

Avant même les débuts officiels, les rôles sont donc déjà très chargés : les avocats doivent reporter des dossiers à novembre et décembre et ce, seulement pour les étapes préliminaires au procès.

La Cour du Québec est ouverte à augmenter la fréquence de la salle de gestion en violence conjugale et sexuelle selon les besoins, indique en entrevue la juge en chef adjointe responsable de la chambre criminelle, Chantale Pelletier.

La nouvelle loi sur le tribunal spécialisé n’a pas fait apparaître de juges ou de greffières supplémentaires, rappelle-t-elle. «Les ressources sont loin d’être nombreuses», se contente de dire la juge Pelletier, se gardant bien de mettre les pieds sur le litige qui oppose sa cour et le ministère de la Justice concernant le nombre de juges et leur charge de travail.

À la recherche de dates

Plusieurs craignent ce bras-de-fer entre Simon Jolin-Barrette et la juge en chef de la Cour du Québec Lucie Rondeau sur les jours de délibéré ne vienne plomber les débuts de la nouvelle division spécialisée.

La juge en chef Rondeau annoncé que ses 160 juges de la chambre criminelle auraient une journée de délibération pour chaque jour d’audience. Jusqu’ici, les juges siégeaient deux jours pour chaque journée de délibération.

Pour maintenir le même nombre de journées d’audience, il faudrait embaucher 41 nouveaux juges. Le ministre de la Justice du Québec Simon Jolin-Barrette demande à la Cour d’appel de bloquer ce nouveau cadre de travail des juges.

En attendant, les avocats fixent des procès de violence conjugale ou d’agression sexuelle au printemps 2023. «Ça peut être encore plus loin s’il faut attendre après la salle qui permet les télé-témoignages», précise l’avocate de défense Me Dominique Cantin.

Ajout de procureurs de la Couronne

Le Directeur des poursuites criminelles et pénales se dit «plus que prêt» pour les débuts de la nouvelle division spécialisée. Huit procureurs seront dédiés aux dossiers de violence conjugale (4 de plus) et huit procureurs seront affectés aux causes de violence sexuelle (1 de plus). L’objectif est que chaque procureur suive un dossier et ses victimes du début à la fin du processus.

«On a des procureurs dévoués et formés, insiste Me Valérie Lahie, procureure en chef adjointe. Et on veut juste offrir un meilleur service et que les victimes soient entendues rapidement.»

Le DPCP ne pourra toutefois faire plus que de se déclarer prêt à procéder dans ses dossiers et attendre des dates d’audience, concède MLahaie.

Devant un manque de ressources, la nouvelle juge coordonnatrice à la chambre criminelle Johanne Roy aura un grand travail à faire pour prioriser les dossiers. Faut-il entendre d’abord un procès d’agression sexuelle sur un adolescent ou un autre de voies de fait ayant causé de graves lésions corporelles à un père de famille? Plusieurs critères la guideront.

«Il n’y aura pas seulement le caractère sensible qui va être pris en compte, mais aussi les délais judiciaires qui sont avancés ou non et si la plaignante doit témoigner au plus vite pour toutes sortes de raison», explique la juge en chef adjointe Chantale Pelletier.

+

Nadia*a porté plainte contre son ex-conjoint en avril 2020. L’homme est accusé de voies de fait, voies de fait ayant causé des lésions et menaces de causer la mort ou des lésions à celle qui fut sa conjointe pendant presque 20 ans et à ses quatre garçons, aujourd’hui âgés de sept à 15 ans.

Le procès de l’ex-conjoint a commencé en février 2022, mais n’a pas pu se terminer dans le temps réservé. Il doit se poursuivre pour deux semaines au début novembre.

Nadia n’en peut plus des procédures qui s’étirent et qui bloquent toutes les autres instances, notamment le litige en chambre familiale sur les autorités parentales.

«Je me sentais moins pognée dans la relation avant de dénoncer même si je mangeais des claques, confie Nadia, très émotive au bout du fil. Depuis la dénonciation, il me contrôle avec des lettres d’avocat et des mises en demeure et il me met des bâtons dans les roues. Mes enfants tiennent par un fil...»

Nadia a eu droit à l’aide psychologique de l’IVAC. Ses quatre enfants attendent toujours sur des listes d’attente de la DPJ, dit-elle. Les garçons sont pourtant des plaignants dans le dossier criminel, dit-elle, et certains sont en proie à un choc post-traumatique, font de l’anxiété généralisée et ont même verbalisé des idées de suicide.

«On a pas eu d’aide, carrément, dénonce la mère. De l’aide psychologique pour les enfants, c’est comme essentiel, il me semble.»

Devant la cour, le témoignage de Nadia a duré plus d’une semaine. Elle a dû affronter le regard de son présumé agresseur dans le corridor. «C’était très difficile, je ne me sentais pas préparée au fait qu’un procès peut être aussi long et pénible», dit-elle.

Nadia souhaite qu’avec la nouvelle division spécialisée, les plaignantes aient accès à davantage d’information, soient mieux impliquées dans le processus qui décidera d’une partie de leur vie. «On ne dirait pas que j’en fais partie, comme si on était mis de côté», regrette-t-elle.

Plus de ressources au CAVAC

Le Centre d’aide aux victimes d’actes criminels de Québec et Chaudière-Appalaches (CAVAC) s’est vu attribuer quatre nouvelles intervenantes pour les divisions spécialisées de Québec et de Montmagny.

Une grande salle réservée aux témoins a été aménagée au rez-de-chaussée du palais de justice de Québec, loin des corridors où circulent les accusés, et des salles d’entrevue supplémentaires ont fait leur apparition.

Une intervenante suivra une plaignante tout au long de son parcours, de la dénonciation jusqu’à la peine de l’accusé, assure-t-on. Les plaignantes auront accès à un programme pour développer des compétences à témoigner. Un chien de soutien sera disponible pour les plaignants adultes et enfants qui le souhaitent.

La directrice générale du CAVAC Québec et Chaudière-Appalaches Nadia Morin est convaincue que le cadre deviendra plus sécuritaire et sécurisant pour les plaignantes. «Le processus judiciaire restera difficile, l’audience restera difficile, le contre-interrogatoire aussi, mais avec tous les outils, on pense que ça peut améliorer l’expérience et redonner confiance au système», affirme Mme Morin.

* Prénom fictif