Et si le problème n’était pas seulement le nombre de médecins?

Une analyse détaillée de la pratique clinique des médecins de famille et de l’intensité de cette pratique s’impose. Les résultats introduiraient dans la discussion publique des données probantes utiles pour poser le bon diagnostic et choisir le bon remède. Qu’attendent les partis politiques pour prendre ce simple engagement?

POINT DE VUE / Les raisons évoquées par le syndicat des médecins de famille pour expliquer les difficultés d’accès à leurs services sont toujours les mêmes. Il manquerait 1000 médecins de famille au Québec, les diplômés en médecine bouderaient la médecine familiale, le soutien des autres professionnels ne serait pas à la hauteur; les patients consulteraient trop souvent pour des problèmes qui ne relèvent pas de la compétence exclusive des médecins.


Ces affirmations non documentées et sans cesse répétées par le syndicat ont fini par s’imposer comme des vérités absolues mettant à l’abri de toutes critiques la pratique clinique des médecins. Qu’en est-il?

Depuis vingt ans, l’expansion des GMF a été largement soutenu financièrement par les gouvernements et, malgré la présence d’un nombre croissant d’infirmières praticiennes spécialisées et d’autres professionnels dans ces organisations médicales, le syndicat demande toujours plus de ressources sans jamais se commettre sur une amélioration significative et mesurable de l’accessibilité aux services de première ligne.

Hier encore, le syndicat des médecins jouait de toute son influence pour limiter l’expansion des champs de pratique des infirmières, des pharmaciens et des autres professionnels de la santé considérés comme des concurrents.

Tous les nouveaux gestes cliniques posés par ces derniers diminuent d’autant ceux posés et payés à l’acte par les médecins. Conséquemment, il n’y a jamais eu beaucoup d’intérêt pour les médecins à rediriger des clientèles vers d’autres ressources. Toujours payé à l’acte, la donne a-t-elle vraiment changé?

Quant à la pénurie, il y a une quinzaine d’années, alors qu’il y avait environ 8500 médecins de famille au Québec, le syndicat évoquait déjà une pénurie de 1000 médecins. Aujourd’hui, malgré la disponibilité de 10 500 médecins, il en manquerait toujours 1000.

Cela dépasse l’entendement car, durant cette période, le nombre de médecins a augmenté beaucoup plus rapidement que la population et cela même en tenant compte de l’impact du vieillissement sur la demande de services. Aucune étude sérieuse permettant de résoudre cette énigme n’a été produite par le syndicat.

La médecine de famille n’est pas une discipline déconsidérée par les étudiantes et les étudiants en médecine. Sous l’impulsion de politiques gouvernementales en phase notamment avec les recommandations des syndicats des médecins, les quatre facultés de médecine du Québec ont considérablement augmenté les admissions. Au total, leur nombre était de 510 en 2000-2001 et il sera de 1003 en 2023-2024.

Cette croissance soutenue permet aujourd’hui à plus de 900 diplômés en médecine d’amorcer une formation postdoctorale dans l’une des 60 spécialités reconnues par le Collège des médecins du Québec. Devant tant de possibilités, 50% des diplômés choisissent la médecin de famille. C’est un très bon score. Il y aura toujours quelques postes non comblés et pas seulement en médecine de famille, car pour garantir un poste à tous, le gouvernement en offre chaque année un peu plus que le strict nécessaire. Ce qui importe, ce ne sont donc pas les quelques dizaines de postes non comblés, mais plutôt les 445 postes comblés dans les programmes de médecine de famille en 2021-2022. Ce nombre n’a jamais été aussi élevé et il positionne avantageusement le Québec à l’échelle canadienne. À cet égard, les ratios québécois de médecins par 100 000 habitants sont parmi les meilleurs au Canada depuis de nombreuses années.

La question qui demeure pour les ministres et les hauts fonctionnaires des ministères de la Santé, des Finances et du Conseil du trésor: comment expliquer que les investissements colossaux consacrés par la société québécoise à la formation de ses médecins au cours des vingt dernières années aient eu si peu d’impact sur l’amélioration de l’accès aux services médicaux de base? 

La réponse se fait toujours attendre.

Et si le problème n’était pas seulement le nombre de médecins, mais surtout le faible nombre de journées de travail par année de plusieurs médecins. Est-il déraisonnable de penser que si moins de médecins travaillaient à temps partiel, les 10 500 médecins de famille en exercice au Québec seraient assez nombreux pour bien traiter et bien prendre soin en première ligne de tous les citoyens dont l’état de santé le requiert, et ce, en collaboration avec les autres professionnels associés aux équipes de prise en charge? Cette hypothèse, aussitôt émise, est vivement contestée par d’ardents et efficaces défenseurs de l’un des plus puissants groupes professionnels au Québec.

Une analyse détaillée de la pratique clinique des médecins de famille et de l’intensité de cette pratique s’impose. Les résultats introduiraient dans la discussion publique des données probantes utiles pour poser le bon diagnostic et choisir le bon remède. Qu’attendent les partis politiques pour prendre ce simple engagement?