Il est important de comprendre que TikTok propose une toute nouvelle forme d’algorithme qui se distingue totalement de Facebook et d’Instagram, notamment. La manière de présenter le contenu permet à l’utilisateur d’avoir accès à des vidéos auxquelles il s’intéresse, sans avoir à s’abonner à des personnes spécifiques.
«Son algorithme est vraiment différent. Quand on parle de la “for you page”, c’est un peu la base de la plateforme où c’est du contenu qui t’est proposé en fonction de tes intérêts», explique la gestionnaire de communauté Marie-France Gosselin, aussi connue sous le nom d’utilisateur @mfreseauxsociaux.
Ce qui rend les utilisateurs encore plus accrochés à cette plateforme, c’est aussi la popularité des vidéos qui sont présentées. «L’algorithme, ce qui va mettre de l’avant, ce sont les contenus qui sont regardés plus que trois ou quatre secondes. Donc, ce sont toujours des contenus qui sont populaires qui te sont présentés ou qui savent qui vont fonctionner en fonction de tes intérêts», continue celle qui travaille à son compte depuis peu en gestion de réseaux sociaux.
En ce sens, cette grande accessibilité au contenu et à la création peut aussi amener le public plus jeune à se retrouver avec des vidéos indésirables ou inadéquats pour leur âge, comme le mentionne la responsable aux interventions à la Maison des jeunes Action Jeunesse de Trois-Rivières, Marie-France Pouliot. Les contenus touchant la sexualité, la drogue ou l’alcool vont en effet captiver les jeunes, peu importe leur tranche d’âge.
«Nécessairement qu’ils vont être attirés à cliquer sur ce genre de contenu-là parce que c’est intrigant, c’est divertissant. Je pense que l’algorithme rapidement va s’adapter à ça et c’est le genre de contenu qu’il va aller proposer à nos jeunes», dit-elle.
Il faut toutefois savoir qu’il y a beaucoup de facteurs qui entrent en jeu et qui peuvent influencer les contenus qui se retrouvent dans la page «for you». «Ça varie beaucoup d’un jeune à l’autre, selon le contexte dans lequel tu regardes TikTok, le contenu que tu vas regarder, comment tu vas en parler le lendemain avec tes amis», soulève pour sa part Emmanuelle Parent, cofondatrice et directrice générale du Centre pour l’intelligence émotionnelle en ligne (CIEL), ayant comme mission d’ouvrir la discussion sur les enjeux numériques affectant le bien-être des utilisateurs.
La proximité de la Maison des jeunes Action Jeunesse avec les adolescents lui permet d’observer le phénomène jour après jour. «Déjà d’emblée, les jeunes sont sur TikTok, ils vont sur cette plateforme-là à la Maison des jeunes. Ce n’est pas rare qu’ils vont nous montrer leur écran, ce n’est pas rare qu’on va effectivement constater que c’est inadéquat pour leur âge», témoigne celle qui voit plusieurs problématiques en cette plateforme, sans oublier de nuancer les aspects plus positifs.
«On a vraiment beaucoup de jeunes qui vont suivre des personnalités qui vont proposer du matériel qui n’est pas adapté pour leur âge. Ce sont des personnes qui, des fois, sont vulnérables elles-mêmes et les jeunes vont rire de cette personne-là», donne en exemple la responsable en interventions.
Elle soulève aussi les contenus violents ou sexuellement explicites qui sont présents en grande quantité. «L’hypersexualisation on en parle depuis bien des années, c’est rendu très, très présent sur cette plateforme-là.»
Emmanuelle Parent du CIEL va affirmer que le bien-être numérique d’un jeune va être d’abord affecté par le contenu qu’il consomme. Il faut donc leur montrer de quelle manière éradiquer les vidéos problématiques de leur fil d’actualité.
«On va faire un travail de rappeler aux jeunes qu’ils ont un certain contrôle sur le genre de contenu qu’ils vont regarder, pour essayer d’orienter les algorithmes ou de s’abonner à des comptes qu’ils estiment les affecter plus positivement.»
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Elle amène également le fait que l’utilisateur peut passer beaucoup de temps sur la plateforme sans qu’il ne s’en rende compte. «De dire, j’avais un travail à faire, j’ai ouvert TikTok pour me détendre puis finalement, 30 minutes plus tard, je n’ai pas vu le temps passer. Ils font face à ce genre de perte de temps-là. TikTok est excellent pour ça par la nature courte des vidéos, l’algorithme qui est super précis, qui apprend bien à nous connaître, qui va nous proposer du contenu personnalisé», mentionne Mme Parent.
La fausse proximité
Marie-France Pouliot aborde pour sa part la situation du phénomène «J’expose», dont Trois-Rivières a été la proie dans les dernières semaines sur TikTok, par le fait que les jeunes n’ont pas conscience de l’impact de leurs gestes sur le web, et encore moins sur cette plateforme qui offre un certain sentiment de vulnérabilité avec les autres utilisateurs.
«Quand on parle de la problématique “J’expose”, ils ne se rendent pas compte que ça a des impacts parce que ça fait déjà des années que tout le monde commente n’importe quoi sur n’importe quoi. La notion d’impact par rapport à ce qu’ils disent, par rapport à ce qu’ils voient est complètement perturbée.»
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Selon elle, c’est en quelque sorte une conséquence de la banalisation de la violence sur le web. «Il y a des gens qui commentent des choses qui n’ont aucun bon sens et c’est encore plus vrai sur TikTok. Il y en a qui font des vidéos qui sont tout aussi violentes que les commentaires dont je parle. […] Ce sont des choses qu’on ne dirait jamais en personne mais que là, ça passe parce que c’est sur les réseaux sociaux. J’ai l’impression que ce phénomène-là, “J’expose”, découle du fait que ça s’est légitimisé, ça s’est banalisé.»
Dans le même ordre d’idées, un sentiment de fausse proximité se crée chez les jeunes envers les autres internautes, c’est-à-dire qu’ils vont avoir tendance à croire qu’ils connaissent les personnes dans leur fil d’actualité, alors que dans les faits, pas vraiment.
«Les gens mettent vraiment plein d’aspects de leur intimité et de leur vie sur TikTok […] C’est comme si ce sentiment de fausse proximité fait en sorte de légitimiser que la personne a une opinion et puisse la nommer [sous la vidéo qu’elle voit] parce que les gens donnent tellement accès à tout. Mais ce n’est pas un réel accès, on ne la connaît pas pour vrai, la personne», illustre Mme Pouliot.
L’éducation
Emmanuelle Parent mentionne que l’éducation est la clé pour assurer aux jeunes une vie saine sur la plateforme afin qu’ils puissent identifier correctement les contenus inadaptés pour eux. «C’est important d’aborder ces sujets-là quand on est en groupe, dans une classe, ou en étant parent, qu’on en parle avec le jeune, pour justement que ce ne soit pas quelque chose qu’on vive individuellement et qu’on puisse collectivement parler de la désinformation, et comment identifier une source fiable.»
Marie-France Pouliot de la Maison des jeunes abonde dans le même sens. Elle confie toutefois que ce n’est pas tâche facile de renverser les idées préconçues chez les adolescents. «C’est un gros travail avec eux de leur faire voir l’envers de la médaille. C’est très difficile, ils ne le voient pas. Ils se disent “C’est du contenu qui nous est accessible, donc nécessairement, c’est légitime.”»
Le jugement envers la plateforme et la généralisation négative peuvent venir bloquer certaines discussions avec un jeune qui voudrait se confier. L’ouverture et l’écoute sont donc primordiales pour permettre d’avancer. «On va venir questionner le jeune, essayer de comprendre sa vision des choses», dit la responsable en interventions.
La compréhension est au cœur de la solution. Il faut nuancer, selon la cofondatrice du CIEL. «Tu veux que le jeune vienne te parler et qu’il n’ait pas honte de te dire qu’il a vu un contenu problématique sur TikTok. Donc si on se met à dire que TikTok c’est terrible, TikTok c’est juste négatif, TikTok c’est du mauvais contenu, ça réduit un peu cette opportunité-là d’aller voir le prof pour lui dire que j’ai vu quelque chose sur TikTok qui m’a choqué.»
Le bon côté
TikTok regorge également de contenu pertinent provenant de créateurs vérifiés, de comptes médiatiques ou simplement de divertissement qui peut faire du bien. Marie-France Pouliot soulève entre autres la représentativité que les jeunes vont chercher par le biais de cette plateforme.
«J’ai des jeunes qui font partie de la communauté LGBTQ+ qui vont être attirés vers ce genre de contenu-là. Ils ont accès à beaucoup de créateurs de contenu qui vont faire du contenu en lien avec les réalités de la communauté. Ils se sentent donc inclus dans quelque chose de plus grand qu’eux-mêmes. […] D’avoir accès à du contenu plus divergent, mais qui est super inclusif, c’est vraiment positif», donne en exemple celle qui y voit une opportunité de développer leur identité.
La cofondatrice de CIEL souhaite quant à elle rappeler l’importance de critiquer plutôt les enjeux numériques spécifiquement et non une application ou un appareil en particulier. «En critiquant le téléphone, en critiquant TikTok, en critiquant Instagram, on critique aussi des choses qui font beaucoup de bien aux ados. Dès que tu leur dis, par exemple, de supprimer TikTok, ils pensent à toutes les choses positives que ça leur a amené, les choses qu’ils ont apprises», conclut Emmanuelle Parent, qui soulève que de cette façon, la discussion va s’ouvrir beaucoup plus facilement.