Chronique|

Amputer un peu de lourdeur à la bureaucratie, une utopie?

J’ai vite réalisé que le poids de la paperasse gouvernementale pesait lourd sur le dos de beaucoup de personnes handicapées et leurs proches aidants.

CHRONIQUE / Avec une touche d’humour, j’utilise souvent les médias sociaux pour sensibiliser les gens aux défis auxquels les personnes qui vivent avec un handicap doivent faire face. Il m’arrive aussi de partager les situations cocasses et singulières que m’apporte ma quadruple amputation. Mardi dernier, alors que j’évoquais une aventure bureaucratique que je croyais hors du commun, j’ai vite réalisé que le poids de la paperasse gouvernementale pesait lourd sur le dos de beaucoup de personnes handicapées et leurs proches aidants.


Je commencerai donc cette chronique avec le statut en question.

«Pour des raisons purement bureaucratiques, ça fait quatre fois que je dois payer un médecin pour confirmer au gouvernement que je suis handicapée! À coup de 70 $ (hausse de 10 $ depuis la dernière fois!), c’est un tantinet tannant! Bref, juste rappeler aux instances concernées que je ne suis pas un lézard… mes membres ne repousseront jamais!»

L’évidence est frappante. «Rien qu’à voir, on voit bien.» Une expression qu’utilisait abondamment mon professeur de mathématique en cinquième secondaire pour désigner une formule aussi compréhensible que 1 + 1 = 2. Sauf que là, la formule adéquate pour qualifier mon handicap contient des soustractions. Quatre pour être plus précise. On peut toujours additionner les amputations, il reste que 2 bras + 2 jambes = 0 membre fonctionnel.

Jamais on ne s’attendrait à devoir prouver plus d’une fois un handicap aussi irréversible que le mien. Et pourtant, c’est la quatrième fois que des formulaires pour en confirmer l’état me sont demandés.

Et il semble que je ne suis pas la seule!

De nombreuses personnes ont témoigné sous la publication affirmant vivre le même type de traitement. Des gens amputés, d’autres, atteints de maladies dégénératives, et plusieurs parents d’enfants autistes. Par coïncidence, la comédienne et animatrice Guylaine Guay, aussi connue pour être la mère de deux enfants autistes, s’était justement exprimée sur le sujet quelques jours auparavant.

Rappeler au gouvernement son statut de handicapée ou celui de son enfant est donc monnaie courante et la procédure n’est pas sans frais. Drôlement, cette facture-là n’est pas remboursable par la RAMQ, contrairement à toutes les autres dépenses précédemment engendrées par ledit handicap. Néanmoins, je préfère voir le 70 $ à débourser comme la franchise d’une assurance, car chaque fois que j’ai eu à joindre une attestation de déficience signée par le médecin, la démarche m’a permis d’accéder à un programme d’aide ou à un crédit d’impôt. Somme toute, j’en suis ressortie gagnante.

Mais quand on y réfléchit un peu, combien de ces formulaires et paperasses inutiles embourbent le système de santé qui, on le sait, peine à maintenir ses services?

L’urgentologue Alain Vadeboncoeur, qui publiait chez Lux Éditeur son essai Prendre soin. Au chevet du système de santé le 18 août dernier, a commenté en ce sens: «Un autre exemple de certificats absurdes, de perte de temps et d’argent pour vous, une perte de temps pour le médecin, sans parler de tous les gens qui doivent entrer ces données quelque part.»

On s’entend tous pour dire qu’il serait souhaitable d’alléger le fardeau de la paperasse gouvernementale. C’est encore plus pertinent lorsque ça concerne des personnes qui traversent déjà leur quotidien avec un lot de difficultés. Mais pour le moment, la machine qui gère les personnes en situation de handicap semble immuable. Et les disparités sont nombreuses.

Au moment de faire son entrée dans l’atypique monde des handicapés, le Québécois ou la Québécoise reçoit une étiquette importante qui déterminera les outils auxquels il ou elle aura droit. Une étiquette qui est déterminée selon les circonstances de ce qui a conduit à la déficience, qu’elles relèvent du hasard ou de la négligence.

C’est arrivé au travail? CNESST.

Sur la route? SAAQ.

Ou quelque part entre les deux? RAMQ.

Et selon l’acronyme qu’on reçoit, les services et les prestations diffèrent injustement d’un handicapé à un autre. Par exemple, un jeune de 19 ans qui texte au volant et qui perd une jambe en percutant un poteau peut adapter sa maison sans limite et sans souci, à la seule condition qu’un ergothérapeute approuve les travaux. Tandis qu’un adulte, qui travaille et qui paie son permis de conduire depuis 40 ans, contracte une bactérie à la piscine municipale, se retrouve à vivre avec la même amputation, mais doit composer avec une subvention limitée pour ses rénovations pourtant autorisées par le même thérapeute.

Les formulaires, la fréquence à les remplir et les compensations financières divergent. Et c’est tellement du «cas par cas» qu’il est difficile de s’y retrouver pour le néophyte.

Malheureusement, il n’existe pas de petit guide pour accompagner le nouveau handicapé. En plus de devoir gérer psychologiquement et physiquement ses limitations, il faut aussi savoir dénicher les subventions et les services qui existent pourtant.

Un chaos bureaucratique qui ajoute une lourdeur à l’épreuve.

C’est si complexe de connaître tous les programmes d’aide auxquels la personne limitée et son proche aidant ont droit que des entreprises spécialisées en crédits d’impôt reliés aux problèmes de santé existent. Évidemment, le service n’est pas gratuit. L’équipe qui travaille pour vous obtenir des crédits d’impôt, même rétroactivement, touche 20% des sommes antérieures non réclamées comme pour ceux de l’année en cours.

Est-ce utopique de rêver à un système qui traiterait toutes les personnes avec un handicap sur le même pied d’égalité? Est-ce envisageable d’émettre un seul certificat pour officialiser les handicaps permanents, à l’instar de l’unique certificat qui est délivré lors d’une naissance? Est-ce possible de créer un livre simple et clair qui expliquerait toutes les démarches pour reprendre sa vie en main après un accident ou une maladie? Est-ce une chimère de penser qu’un jour, le gouvernement arrivera à délester un peu de paperasserie?

Si on en croit le gazouillis du ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, qui à la suite de mon tweet répondait au retweet de Vincent Marissal, porte-parole de Québec solidaire en matière de Santé, il y a peut-être une lumière au bout du tunnel: «Je travaille sur le dossier de la simplification des formulaires avec l’OPHQ et tous les ministères impliqués. Faut ajouter que depuis que j’ai commencé ma pratique de neurologue en 1994, la situation existait déjà. On est les premiers à s’en occuper et on veut la simplifier.»

Reconnaître un problème est déjà un pas dans la bonne direction!

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CNESST : Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail.

SAAQ : Société de l’assurance automobile du Québec.

RAMQ : Régie de l’assurance maladie du Québec.

OPHQ : Office des personnes handicapées du Québec.