Champlain, Wolfe, Montcalm et les autres prennent un air de jamais vu dans l’ouvrage de Christian Quesnel et d’Ariane Gélinas. L’illustrateur et l’autrice ont eu envie de plonger ces grands personnages historiques dans l’univers du célèbre écrivain américain H. P. Lovecraft.
D’après une idée originale du directeur de Québec BD, Thomas-Louis Côté, les deux artistes se sont ainsi inspirés des voyages méconnus que Lovecraft a réalisés dans la ville de Québec, mais aussi de ses écrits qui en découlent, dont l’ouvrage publié à titre posthume To Quebec and the Stars (1976).
«Je pense que Lovecraft est tombé en amour avec Québec. Ses forteresses, ses murailles, tout ça répondait vraiment à un imaginaire qu’il appréciait. Il y a un côté mystérieux, mystique. […] Dans son livre, il fait une description de l’architecture de la ville. Même s’il avait un regard condescendant sur les Québécois et les catholiques», explique Christian Quesnel, en entrevue au Soleil.
«Lovecraft a visité Québec trois fois : en 1930, 1932 et 1933. Il y a d’ailleurs une plaque à l’endroit où il a résidé pendant ses séjours [à l’intersection du chemin Sainte-Foy et de l’avenue de Bougainville]», ajoute de son côté Ariane Gélinas.
Pour eux, La cité oblique est donc une bande dessinée historique, mais aussi un hommage thématique et stylistique à ce grand auteur du XXe siècle reconnu pour ses œuvres d’horreur et de science-fiction.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/PLKCVR3TBFEO5CHPVDOCBCD66A.jpg)
Les illustrations détaillées comme le texte plongent dès le départ les lecteurs dans une ambiance inquiétante et anxiogène. L’histoire de la ville de Québec et de la Nouvelle-France se transforme ainsi en une grande épopée surnaturelle et terrifiante. Et ce, des débuts de la colonisation jusqu’à la Conquête.
«Au début du projet, je me suis fixé cet objectif. J’ai pensé à l’adolescent que j’ai été et je me suis dit que je voulais exposer l’histoire du Québec de cette façon-là. Les Américains le font très bien tandis que nous on l’a peu fait.
«Je crois qu’un adolescent qui découvre Frontenac, par exemple, de cette manière va peut-être avoir envie de savoir qui il était pour vrai», lance le bédéiste, qui a travaillé sur ses planches pendant plus de trois ans.
La narration est quant à elle assurée par le personnage sombre de Lovecraft qui guide les 168 pages de l’ouvrage, au rythme des images du pont de Québec, du château Frontenac, du fleuve Saint-Laurent, de la chute Montmorency et autres grands plans de la région.
Pour connaisseurs et non-initiés
Les admirateurs de Lovecraft en conviendront : son univers est vaste et encore aujourd’hui soutenu et développé par une foule d’amoureux de littérature d’horreur.
L’œuvre du créateur du mythe de Cthulhu est toutefois bien difficile à résumer brièvement : «Lovecraft a élaboré une mythologie (souvent il parle d’une cosmogonie) autour de grands anciens qui viendraient d’ailleurs.
«C’est un auteur qui se dit matérialiste. C’est-à-dire que, pour lui, son fantastique provient d’autres univers : des êtres provenant de l’espace qui se seraient installés sur la Terre, au fond des océans.
«Avec La cité oblique, on reprend cette idée-là. Nous, on a créé pour l’occasion la créature Elkanah, qui s’inspire d’un personnage de Lovecraft, Hydra», explique la chargée de cours à l’Université du Québec à Trois-Rivières, qui en est à sa quatrième lecture de l’œuvre complète de Lovecraft.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/5MDPEIA7N5ACHLDY6PDHKKWOMY.jpg)
Bien que La cité oblique puise ainsi son style dans ce monde foisonnant, la bande dessinée s’adresse toutefois à un large public, selon les deux artistes. Alors que les spécialistes de Lovecraft savoureront les différents clins d’œil laissés ici et là pour eux, les débutants ne se retrouveront pas en terrain hostile, assurent-ils.
Un défi substantiel
Pour Christian Quesnel comme pour Ariane Gélinas, s’attaquer d’un seul mouvement à l’histoire de Québec et à l’univers de Lovecraft représentait donc un grand défi. Et ce, même si lui est un connaisseur d’histoire et, elle, une passionnée de l’écrivain américain.
Comme bien des lecteurs de l’écrivain du Nécronomicon (un livre fictif créé par Lovecraft), l’illustrateur et l’autrice se sont appropriés à leur manière ses codes.
«Je reconnaissais bien les éléments historiques, mais j’ai dû en faire abstraction juste assez pour pouvoir proposer autre chose [une autre version] sans les effacer. […]», relate notamment de son côté la codirectrice générale et littéraire de la revue Sabord.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/QJ2QVM7OHJCJFPPLII2ZPYJA5M.jpg)
Le bédéiste, qui travaillait entre-temps sur les bandes dessinées Vous avez détruit la beauté du monde (2020) et Mégantic : un train dans la nuit (2021), voit quant à lui La cité oblique comme «un projet bonbon».
«La seule chose qui a été sensible pour moi, c’est la représentation autochtone. On a fait très attention [dans l’approche historique et les illustrations] pour bien les inclure», ajoute-t-il.
Pour Christian Quesnel, revoir l’histoire sous la loupe de Lovecraft permet de créer «un effet miroir» qui «change la perspective» du lecteur.
«Il y a beaucoup de gens qui ont une vision poussiéreuse de l’histoire. […] Nous, on voulait la dynamiser et changer notre regard sur nous-mêmes. Le passé de la Nouvelle-France est extrêmement riche», précise-t-il.
La cité oblique sera offerte à partir du 30 août.
+
UN «PROJET TENTACULAIRE»
Pour les grands admirateurs de Lovecraft, d’Ariane Gélinas et de Christian Quesnel, la maison d’édition Alto a décidé de produire une édition collector de La cité oblique. L’ouvrage reconnaissable grâce à sa couverture mauve contiendra notamment une œuvre de Christian Quesnel.
Parmi les autres ramifications du projet, on compte une exposition du bédéiste à la Galerie Montcalm, à Gatineau. Dès le 1er septembre et jusqu’au 8 décembre, H. P. Lovecraft, la Nouvelle-France et le Québeck présentera les planches originales de La cité oblique.
La microbrasserie La Barberie, à Québec, brassera également une bière dans le contexte de la parution de la bande dessinée.