La dame, qui a préféré ne pas être identifiée par crainte d’être «boudée» par sa clinique, est inscrite au GMF de la Clinique médicale de Sillery.
Pendant trois semaines, ses tentatives de voir un médecin au sans rendez-vous de la clinique sont demeurées vaines. Sur Bonjour-santé, la plateforme de rendez-vous vers laquelle la Clinique médicale de Sillery redirige ses patients, «ça me répondait toujours qu’il n’y avait pas de place», rapporte la Silleroise.
«Un jour, j’ai décidé d’aller en personne à ma clinique, où on m’a dit qu’il y avait trois places de rendez-vous disponibles pour la journée et qu’il fallait passer par Bonjour-santé. Je suis allée sur Bonjour-santé devant la personne à l’accueil et j’ai fait la démonstration qu’il n’y avait aucune place de disponible», relate-t-elle.
Le Soleil a tenté d’obtenir des explications auprès de la direction de la Clinique médicale de Sillery, mais n’avait pas eu de retour au moment d’écrire ces lignes.
Au bout de trois semaines de tentatives infructueuses — «il y a une seule fois où j’ai eu un message disant qu’une place venait de se libérer, mais il était 1h30 la nuit et je dormais, je m’en suis rendue compte seulement à 5h30, et la place n’était déjà plus libre», précise-t-elle —, notre interlocutrice s’est rendue à la clinique d’urgence mineure du Jeffery Hale, rouverte il y a un peu plus d’un an pour répondre aux besoins des patients orphelins ou qui sont dans l’impossibilité d’obtenir un rendez-vous avec leur médecin de famille.
«Dans la file, à 7h du matin, il y avait plusieurs patients dans ma situation, des gens qui n’arrivaient pas à voir leur médecin», rapporte la dame, qui s’ennuie de la bonne vieille méthode de prise de rendez-vous par téléphone.
«Jusqu’au printemps dernier, on pouvait appeler à ma clinique à partir de 21h le soir, et j’ai toujours réussi à avoir un rendez-vous le lendemain ou deux jours après. Mais depuis qu’ils sont avec Bonjour-santé, c’est impossible», déplore celle qui dit s’être même abonnée, pour un peu moins de 6$ par mois, aux services payants de Bonjour-santé, pensant, comme on le lui aurait dit à sa clinique, y dénicher plus facilement des rendez-vous.
À ce sujet, la vice-présidente de Bonjour-santé, Annie Blanchette, précise que le fait de payer cet abonnement «ne donne pas accès à des rendez-vous ou à des disponibilités supplémentaires». «Ça permet seulement aux patients d’avoir accès à d’autres services complémentaires avec des médecins spécialistes ou des infirmières-conseils», explique Mme Blanchette, tout en assurant que les disponibilités des médecins de famille apparaissent toutes dans la version gratuite de Bonjour-santé.
La résidente de Sillery à qui nous avons parlé a finalement pu faire soigner sa sinusite par l’urgentologue de la clinique du Jeffery Hale. «Il m’a prescrit des antibiotiques, et il m’a dit que je n’aurais qu’à le rappeler à l’urgence du CHUL si ça ne fonctionne pas, qu’il fera le suivi», précise la dame, qui se dit «vraiment déçue du gouvernement et de notre ministre de la Santé».
«Ils se pètent les bretelles qu’il y a tant de milliers de nouvelles personnes qui sont maintenant inscrites à un médecin de famille, alors qu’il y en a tant d’autres milliers qui font la file dehors à 7h du matin parce qu’ils ne sont pas capables de voir leur médecin», dénonce-t-elle.
Chez Bonjour-santé, on explique que le ministère de la Santé a récemment mis en place un «orchestrateur de rendez-vous», un outil qui vise à relier l’ensemble des plates-formes existantes de prise de rendez-vous aux dossiers médicaux électronique (DMÉ). Cet orchestrateur (HUB) permet plus particulièrement au citoyen de voir l’ensemble des rendez-vous disponibles au Québec, peu importe la solution de rendez-vous qu’il utilise. Des contrats de gré à gré totalisant 3 millions $ ont d’ailleurs été conclus avec Bonjour-santé et Pomelo pour leur permettre d’arrimer leur solution de rendez-vous avec le nouvel orchestrateur du gouvernement.
«Depuis le déploiement [de l’orchestrateur], les GMF ont l’obligation de transmettre toutes leurs disponibilités à ce dernier. Ils ont le choix de les publier en mode “public”, c’est-à-dire disponible aux différents portails de rendez-vous (Bonjour-santé, Pomelo ou Rendez-vous Santé Québec [la plateforme de rendez-vous du gouvernement], ou en mode “privé”, c’est-à-dire réservé aux secrétaires. Les cliniques ont 100 % du contrôle des disponibilités qu’elles offrent à leurs patients», écrit la vice-présidente de Bonjour-santé dans un échange de courriels avec Le Soleil.
En entrevue, Annie Blanchette insiste : «Les disponibilité des cliniques, Bonjour-santé n’a aucun contrôle là-dessus.» Les cliniques, dit-elle, ne publient pas sur le web 100 % des disponibilités des médecins. «Elles doivent par exemple se garder des places pour des gens qui appellent à la clinique ou qui se présentent en personne, comme des patients qui ne sont pas en mesure de faire la procédure web», souligne Mme Blanchette.
Annie Blanchette note par ailleurs que l’orchestrateur du gouvernement «connaît encore quelques ajustements technologiques qui sont hors du contrôle des portails de rendez-vous».
«Malheureusement, les portails ne peuvent afficher que ce qu’ils reçoivent», insiste-t-elle, précisant que depuis le déploiement de l’orchestrateur, le 1er avril, les cliniques gèrent toutes leurs disponibilités à partir du DMÉ.
«Il est vrai qu’il y a eu moins de disponibilités depuis le mois d’avril en raison de soucis technologiques. Quand on déploie une nouvelle plateforme comme celle-là, c’est normal qu’il y ait des ajustements dans les premiers temps. Or les cliniques ont vécu des problématiques importantes au début, et elles se sont fermées. Elles ont arrêté de mettre des disponibilités publiques sur le web, obligeant les patients à appeler dans les cliniques», rapporte Annie Blanchette.
Disponibilités déplacées vers le GAP
Autre enjeu, selon elle : le fameux GAP (pour Guichet d’accès à la première ligne), ce nouveau service réservé aux personnes sans médecin de famille mis sur pied par le gouvernement Legault.
«Avec la nouvelle entente avec la FMOQ [Fédération des médecins omnipraticiens du Québec], il y a des sommes importantes qui ont été accordées pour stimuler la disponibilité des médecins. Et ce que nous avons pu observer d’un point de vue purement statistique, c’est qu’il y a eu une bascule des disponibilités sans rendez-vous qui étaient offertes à toute la population vers des disponibilités GAP, qui sont offertes seulement aux patients orphelins», observe Annie Blanchette.
«Dans le fond, il n’y a pas plus de disponibilités aujourd’hui dans le réseau de la santé. Les médecins qui faisaient du sans rendez-vous populationnel avant ont juste pris la moitié de ce temps-là pour le basculer vers le GAP, réservé aux patients orphelins. On n’a pas injecté de nouvelles disponibilités dans le réseau avec ce système-là, on a tout simplement déplacé des disponibilités du sans rendez-vous populationnel vers du sans rendez-vous GAP», résume la vice-présidente de Bonjour-santé, qui est aussi gestionnaire de quatre supercliniques dans la région de Montréal.