Dans le monde de la sécurité informatique, la crypto-romance est bien connue. C’est une forme de fraude extrêmement complexe et organisée, mise sur pied par des réseaux criminels asiatiques.
En anglais, on nomme cette arnaque «Pig Butchering», en référence à la pratique d’engraisser un porc avant de l’abattre. Avec la crypto-romance, le fraudeur crée un lien de confiance et amadoue une victime avant de lui voler son argent, en l’invitant à investir en crypto-monnaie.
Aux États-Unis, les dommages monétaires causés par cette fraude sont immenses. Une femme au Texas a perdu 8 millions de dollars cette année. Un montant qu’elle avait hérité de son père défunt, selon un reportage de l’agence Bloomberg paru en mai 2022.
En Asie, ce stratagème aurait également fait des millions de victimes, avant de se transporter aux États-Unis et au Canada.
Des centaines de victimes au Canada
Le centre antifraude du Canada a confirmé au Soleil qu’en 2021, 457 victimes canadiennes de crypto-romance, ont perdu un montant total de près de 40 millions de dollars. Depuis le 1er janvier 2022, le CAFC a recensé 189 victimes ayant perdu, au total, 18,3 millions de dollars.
L’organisation dit avoir reçu un premier signalement de crypto-romance en 2019.
Dans la région de Québec, le phénomène est plus jeune, alors que les enquêteurs spécialisés en fraude évoquent un premier signalement en 2021, indique David Pelletier, porte-parole du Service de police de la Ville de Québec.
Depuis le début de l’année, une dizaine de dossiers ont été ouverts sur le territoire desservi par le SPVQ, affirme David Pelletier.
Le stratagème semble avoir été repéré à travers la province. «Oui, c’est un phénomène qui est connu», confirme Hélène St-Pierre, porte-parole de la SQ. La base de données de la Sûreté du Québec ne permet toutefois pas de déterminer le nombre de plaintes reçues pour ce type de fraude.
La crypto-romance, c’est quoi exactement?
Carlo Charles, chercheur en sociologie à l’université McMaster, étudie ce phénomène depuis janvier 2022. En entrevue avec Le Soleil, il explique que «l’accent est mis d’abord sur la romance.»
Le fraudeur commence par créer un profil sur une application de rencontre. Il s’affiche comme un jeune professionnel à succès, qui travaille dans la même ville que sa cible.
Lorsque le «match» est fait, la séduction commence. L’arnaqueur dit à sa victime que «tout ce qu’il cherche, c’est une relation amoureuse, intime et sérieuse avec quelqu’un», détaille Carlo Charles.
Au début, les conversations portent uniquement sur le potentiel amoureux, «sans parler d’argent, sans mentionner les crypto-monnaies», assure-t-il. «Ils peuvent passer deux jours, trois semaines, six mois, un an, même, à discuter avec quelqu’un, pour établir la confiance avec elle», explique Carlo Charles.
Ce lien de confiance est essentiel dans la crypto-romance. «À partir du moment où il est établi, les fraudeurs peuvent convaincre n’importe qui de faire n’importe quoi», constate Carlo Charles.
«En plus de mon emploi, j’investis dans la cryptomonnaie»
Après des jours ou des mois de conversations virtuelles, l’arnaqueur mentionne qu’il investit dans la crypto-monnaie. Si son interlocuteur se montre intéressé, il le réfère à une plateforme parfaitement légale pour en acheter.
Cette étape sert à consolider la confiance de la victime, parce qu’au début, ses investissements vont porter fruit, explique Carlo Charles, et le fraudeur ne collecte pas d’argent à ce moment.
Par la suite, l’arnaqueur dira «si vous voulez faire plus d’argent, je vous envoie un lien qui vous amènera vers une autre plateforme d’investissement».
Cette autre plateforme, fausse, a une apparence très réaliste. Les fraudeurs vont même aller jusqu’à «pirater l’interface de plateformes d’investissement légales, la manière dont ça se présente, le logo, les couleurs et tout, pour que ça ressemble à une plateforme réelle», précise M. Charles.
Ainsi, si les victimes font leurs recherches, elles vont constater que la plateforme suggérée existe.
À partir du moment où elles investissent beaucoup d’argent sur le site piraté, les victimes n’ont aucun retour monétaire et le fraudeur les bloque.
Une arnaque aidée par la pandémie
Selon Carlo Charles, le succès de cette arnaque peut s’expliquer par les restrictions sanitaires imposées dans les dernières années. «Pendant la pandémie, l’internet était la seule manière de rencontrer des gens. C’est pour ça qu’il y a autant de victimes en Amérique du Nord», dit-il.
Normalement, lorsqu’une relation est établie sur un site de rencontre, un rendez-vous en personne est planifié à court terme. Mais en temps de pandémie, c’était devenu impossible.
Dans ce contexte, «il n’y a pas de différence, vraiment, entre les fraudeurs et les vraies personnes, affirme Carlo Charles, parce que quoi qu’il en soit, vous n’allez pas pouvoir vous rencontrer. Les conversations en ligne sont les seules façons pour vous de discuter, d’avoir une relation sérieuse avec quelqu’un.»
Ainsi, il ne faut pas culpabiliser les victimes, selon le chercheur. «Ce sont des gens comme tout le monde, qui ont aussi besoin d’amour, d’amitié, et de fonder une famille», rappelle-t-il.
Il ajoute que les victimes de crypto-romance sont principalement des célibataires, qui n’ont pas d’enfants et un cercle social très restreint.
Gangs asiatiques et trafic humain
Selon les recherches effectuées par Le Soleil, des réseaux asiatiques hyper-organisés sont derrière la plupart des cas de crypto-romance. Le chercheur Carlo Charles a constaté la même chose.
«Ces gangs criminels sont aussi impliqués dans le trafic humain», explique le spécialiste. Dans plusieurs cas, ils attirent des Chinois avec des promesses de bons emplois. Lorsqu’ils se présentent sur les lieux de l’entrevue, ils sont envoyés vers d’autres pays asiatiques comme la Malaisie ou la Thaïlande, la police chinoise ayant chassé ces réseaux de la Chine en 2019, mentionne le chercheur.
Dans ces pays «encore plus corrompus», où le gouvernement laisse opérer ces réseaux criminels sans contrôle policier, les gens trafiqués sont enfermés dans des immenses bâtiments fermés, avec des agents de sécurité qui les empêchent de sortir, explique Carlo Charles. Là-bas, ils sont forcés de frauder sur le web à longueur de journée.
Différentes équipes spécialisées travaillent pour ces gangs, incluant des professionnels en profilage psychologique, en informatique et en réseaux sociaux. «Ce sont des opérations très sérieuses qui sont effectuées par des gangs criminels très organisés», résume Carlo Charles.
Voilà pourquoi il ne faut pas prendre le phénomène à la légère, dit-il, car les impacts peuvent être grands, non seulement pour les individus fraudés, mais aussi pour les pays touchés. «Plus il y a de victimes, pire c’est pour le pays, pour l’investissement, pour la création d’emplois et l’économie», met en garde le chercheur.
Le centre antifraude du Canada rappelle de se méfier:
- si quelqu’un que vous n’avez jamais rencontré vous déclare son amour;
- si la personne veut rapidement passer à un mode de communication privé ou différent (courriel, messagerie texte, Whatsapp, Google Hangouts, etc.);
- si votre interlocuteur a toujours un prétexte pour ne pas vous rencontrer en personne;
- si la personne prétend vivre près de chez vous et travailler à l’étranger