Chronique|

La sociologie de l’intimidation derrière les comptes TikTok «j’expose»

CHRONIQUE / Existe-t-il réellement une personnalité type de l’intimidateur ou de la victime? Selon le chercheur David Gaudreault, le phénomène de l’intimidation scolaire naît plutôt des structures d’oppression ancrées dans nos sociétés.


En lisant le texte de ma collègue Victoria Baril sur les comptes d’intimidation TikTok «j’expose» dans certaines écoles secondaires du Québec, on s’est regardé avec mes collègues, abasourdis d’entendre que les ados se traitaient encore, en 2022, de «tapettes» et de «sluts» en ligne. 

Il y a environ 15 ans, lorsque je suis entrée au secondaire (ça ne me rajeunit pas), on commençait à parler de cyberintimidation. Bon, disons qu’à l’époque, pas mal d’adultes prenaient ces insultes pour des enfantillages. N’ayant moi-même pas toujours été la fille la plus cool de l’école (lisez ici la nerd qui aimait un peu trop les mangas, prise en grippe par quelques gars de l’équipe de foot), je sais de quoi je parle.

Par contre, 6 ans plus tard, lorsque mon petit frère a intégré la même école, j’ai constaté  un changement de mentalité de la part des élèves comme des professeurs. Certains comportements n’étaient plus acceptables. Alors comment se fait-il que l’on fasse face aux mêmes insultes, aux mêmes dynamiques de pouvoir, mais seulement, sur un nouveau médium de communication?

«Ce que je montre dans mon livre, c’est que c’est assez récent qu’on reconnaît l’intimidation comme forme de violence entre jeunes», indique le chercheur doctorant au département de sociologie de l'Université Laval, David Gaudreault. Ses recherches portent sur les problèmes sociaux et les dispositifs de définition et de gestion de la déviance. Au printemps dernier, il a publié l’ouvrage Chronique de la violence : Une généalogie de l'intimidation scolaire issu de sa maîtrise. 

«À chaque fois qu’une nouvelle technologie apparaît, des évènements vont sortir et on va avoir l’impression qu’une nouvelle forme d’intimidation apparaît ou que c’est pire qu’avant, explique le chercheur. Mondialement, le premier cas de cyberbullying, c’est reconnu pour être un Québécois», ajoute-t-il. 

Vous vous souvenez peut-être du Star Wars kid, ce jeune garçon de Trois-Rivière qui s’est simplement filmé en train de pratiquer une chorégraphie de sabre laser. Quand des collègues de classes ont trouvé la cassette de la vidéo, ils l’ont mis à son insu en ligne et c’est ainsi qu’il est devenu la risée d’internet et une des vidéos les plus vues de YouTube à l’époque. Cette pièce d’anthologie de la culture web n’est en fait qu’un autre cas de harcèlement scolaire. On peut espérer qu’il n’aurait pas vécu le même sort aujourd’hui, mais il n’empêche que l’intimidation, dans sa forme la plus primitive, semble persister malgré l’évolution des mentalités. Les technologies ne sont pas la cause de l’intimidation, mais plutôt de nouvelles plateformes où elle prend vie à plus grande échelle. 

Des structures d’oppression plus grandes que nous

Dans son livre, David Gaudreault analyse la littérature scientifique, les discours médiatiques et politiques qui touchent à l’intimidation au Québec depuis les années 80. «Essentiellement, c’est une lecture très psychologisante qui est faite de l’intimidation et plus précisément, c’est une lecture dominée par une perspective comportementaliste, explique-t-il. Si je simplifie, cette approche considère que la source de la violence ou du conflit se trouve dans la structure de personnalité anormale de certains enfants». 

En gros, si tu intimides quelqu’un, c’est que tu as des problèmes comportementaux, puis si tu te fais intimider, tu es victime de ton propre comportement passif, soumis et anxieux. Le chercheur indique que l’on a tendance, en occident, à placer la responsabilité de ce problème social sur la psyché des enfants, plutôt que de s’intéresser à d’autres facteurs. 

De cette façon, on néglige l’influence des rapports de domination qui existent déjà dans notre société sur le comportement des plus jeunes. «Les enfants ne font que reproduire, à leur échelle, les rapports de domination qui existent déjà dans notre société comme le sexisme, le classisme, le racisme, l’homophobie, etc.) De plus, il indique que, si l’on regarde sérieusement les données qui touchent à l’intimidation, il est facile de constater que les personnes intimidées finissent souvent par rapporter, elles-mêmes, commettre de l’intimidation. Dans ce cas, peut-on réellement déterminer qu’il existe une personnalité type d’intimidateur? «Le portrait qu’on se fait très manichéen entre le bien et le mal, les victimes et les agresseurs, ça fait des bons films, de bons articles de journaux, mais ce n’est pas un bon portrait de la réalité», ajoute-t-il.

Vous l’avez surement constaté vous-même à l’école. La personne qui se fait emmerder par les individus les «plus cool» finit souvent par persécuter ceux qui sont considérés comme plus bas dans l’échelle sociale afin, entre autres, d’augmenter leur propre valeur. Si vous n’avez jamais remarqué ce type de schéma dans votre entourage scolaire, vous risquez d’avoir existé dans l’une de ces réalités:  1. Le monde des bisounours, 2. Le confort qu’apporte l’ignorance, 3. Vous vous trouviez tout en haut de l’échelle sociale. Surement que vous essayiez simplement de survivre dans ce monde de brutes. 

«La société capitaliste elle-même fonctionne par la compétition, la concurrence, le déclassement et l’exclusion des autres. Ces fonctionnements-là, les enfants le ressentent très jeunes dans le système d’éducation […]. Il y a une certaine hypocrisie de s’étonner qu’il existe des gens qui vont essayer de discréditer et de complètement évacuer l’autre personne», dit-il en terminant. 

Et la solution alors? —Je vous vois venir avec cette question dans ma boîte courriel. Il n’y a pas de recette magique, mais être conscient des différents schémas d’oppression et s’éduquer sur la réalité et les difficultés des gens qui nous entourent me semble être un bon début. Vous ne pensez pas?