À peine un mois après la période intensive des déménagements, la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ) sonne l'alarme. Sans parler de crise du logement, la CORPIQ s'inquiète que ses membres vivent eux aussi les contrecoups d'un «déséquilibre de l’offre de logements dans plusieurs régions de la province».
À l'approche du 1er juillet, de nombreux locataires étaient toujours en recherche d'un nouveau toit, avec des taux d'inoccupation au plancher et des prix de loyers en flambée. Et avec une offre restreinte, plusieurs ont dû se résigner à emménager dans un logement ne correspondant pas à leurs besoins ou excédant leur capacité de payer.
Les défauts de paiement font «mal»
Résultat: les propriétaires immobiliers s'inquiètent d'écoper de ces défauts de paiement. Déjà, les cas de «non-paiement» du bail sont «beaucoup plus nombreux, avance Marc-André Plante, directeur des affaires publiques et des relations gouvernementales à la CORPIQ. Et on prédit qu'ils vont continuer d'augmenter».
Une réalité que révèlent les résultats d'un nouveau sondage mené auprès de 1200 propriétaires par le regroupement.
Bon an, mal an, les non-paiements de loyer en temps génèrent quelque 40 000 dossiers au Tribunal administratif du logement (TAL). Cependant, compte tenu des «délais» de l'instance, plus de 45% des locateurs «ne se battent pas» devant les tribunaux pour recevoir leur dû.
Le phénomène des non-paiements causerait des pertes annuelles de 225 millions $ aux propriétaires québécois, selon l’organisation les représentant. «Cette situation devrait connaître de nouveaux sommets», craint-elle.
Le coup de sonde de la CORPIQ montre d'ailleurs que lors des deux dernières années, «22% des propriétaires locatifs ont été confrontés [...] à une situation où le locataire ne paie pas le dernier mois avant la fin de son bail».
Ce type de «vol» est une pratique qui se répand, rapporte M. Plante. «Les gens trouvent ça banal, mais il faut se rappeler que 7 propriétaires sur 10, surtout à Québec, sont des petits propriétaires avec moins de cinq logements.
Avec 44% des locataires qui auraient laissé leur logement dans un «état inacceptable» pour le locataire suivant, selon le sondage, la CORPIQ continue de plaider pour l'implantation d'un «dépôt de garantie» lors de la signature d'un bail, jusqu'ici illégal.
L’inflation aux trousses du budget de rénos
Devant des coûts de main-d’œuvre en hausse et une croissance des taux d’intérêt, le milieu locatif souffre par ailleurs de l'inflation. Près du tiers des propriétaires compte ainsi diminuer les dépenses en rénovation, selon l’organisation.
«En regard des résultats du présent sondage, la CORPIQ note un niveau d’endettement élevé des propriétaires locatifs et des effets sur la gestion et l’entretien du parc locatif au Québec. Avec le manque de logement dans plusieurs régions du Québec, une stratégie intégrée sera nécessaire pour accroître le nombre de logements et assurer l’entretien du parc existant. Il faut aussi plus de logements sociaux et abordables», invite la CORPIQ, à l'aube des élections provinciales.
Le manque de logements abordables derrière les non-paiements, selon le FRAPRU
Le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) craint également une hausse des cas de non-paiement, mais le groupe de défense des droits des locataires pointe plutôt du doigt le contexte économique et «l’explosion des prix des loyers» pour l’expliquer.
Faute de logements sociaux et abordables, un bon nombre de familles feront le choix d’un loyer au-dessus de leur moyen, se désole l’organisme. «Les gens qui ne réussissent déjà pas à payer n’ont pas d’alternatives. Il n’y a rien pour eux et elles, souligne la porte-parole, Véronique Laflamme. Les quelques logements disponibles ne correspondent pas du tout aux besoins».
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Elle refuse toutefois d’adhérer à une rhétorique proposant qu’une tendance de «vols» des propriétaires se répande au Québec.
«Les ménages à faible et modeste revenu sont généralement prêts à tout faire pour payer leur loyer, Mme Laflamme. On coupe ailleurs, et ça se reflète notamment sur la demande dans les banques alimentaires.»
Pour éviter une situation de hausse du nombre de non-paiements, Québec devrait investir «massivement» dans les logements sociaux afin de permettre aux locataires moins nantis de vivre dans un logement à leur moyen, milite le FRAPRU.
Mme Laflamme souligne également que malgré la hausse du coût de la main-d'œuvre et des taux d’intérêts, l’état des logements des locataires québécois ne devrait pas en faire les frais. «Toutes ces données sont prises en compte par le Tribunal Administratif du Logement pour calculer la hausse annuelle des loyers», note-t-elle.
«Les locataires ne doivent absolument pas se conditionner à accepter des conditions moins décentes, des logements insalubres. La hausse frappe partout, mais ce n’est pas une raison», indique la porte-parole du FRAPRU.
L’organisme s’oppose aussi vivement au dépôt de garantie réclamé par la CORPIQ. Il craint qu’en découlerait un tonne de dossiers devant les tribunaux, parfois «pour une armoire mal lavée».
Véronique Laflamme prend en exemple les 44% de propriétaires jugeants «inacceptables pour le prochain locataire» l’état de leur logement une fois l’occupant déménagé, chiffres proposés par l’association des propriétaires. «Ça serait tous des locataires qui ne retrouveraient pas leurs dépôts?, questionne-t-elle. Qui jugerait ce qui est acceptable ou non ? Ca finirait au tribunal, déjà débordé.»
«On peut faire dire pas mal de choses aux chiffres», conclut la porte-parole du FRAPRU en invitant à la prudence avec les résultats du sondage de la CORPIQ. Mais l’immobilier, ça reste très rentable.»