Y a-t-il vraiment 6 % des enfants qui font la «COVID longue»?

L’affirmation: «Un article de La Presse Canadienne citait récemment une étude qui montrerait que 6 % des enfants qui attrapent le SRAS-CoV-2 font la COVID longue. Mais il me semble que cette étude ne permet pas de l’affirmer parce que son échantillonnage est basé sur des visites aux urgences. Alors est-ce vrai?» demande Vincent Dussault, de Montréal.


LES FAITS

L’étude en question est parue il y a quelques jours dans la revue médicale JAMA Network Open. Essentiellement, elle est le travail d’une grosse équipe de cliniciens et de chercheurs dans huit pays différents (Canada, États-Unis, Argentine, Costa Rica, Paraguay, Italie, Espagne et Singapour) qui ont suivi pendant trois mois des enfants qui se sont rendus à l’urgence (entre mars 2020 et janvier 2021) pour des symptômes compatibles avec la COVID. Pour 1686 d’entre eux, un test PCR positif a confirmé qu’ils étaient bel et bien atteints du SRAS-CoV-2, mais pour 1701 autres, le test fut négatif — ils avaient simplement attrapé un virus respiratoire différent. Les auteurs se sont servis de ce groupe «négatif» comme point de comparaison.

Il n’est pas faux de dire que 6 % des enfants qui avaient la COVID avaient toujours un ou des symptômes persistants, récurrents ou qui étaient apparus après l’infection au bout de trois mois (surtout de la fatigue, fièvre, toux, difficultés respiratoires, etc.) : ce fut le cas de 110 des 1686 enfants positifs, ou 5,8 %. C’est une proportion relativement élevée, qui signifierait qu’un très grand nombre d’enfants pourraient traîner des séquelles de la COVID assez longtemps après leur infection. Mais il y a au moins deux éléments de contexte à prendre en compte, ici, que l’article de presse ne mentionnait pas.

Le premier, c’est que ces résultats ne sont pas généralisables à l’ensemble des enfants qui attrapent la COVID. L’étude portait en effet sur «des enfants qui ont testé positif au SRAS-CoV-2 dans des urgences : notez qu’il s’agit d’une population qui est probablement plus malade que la moyenne et donc plus susceptible de faire la COVID longue», souligne un des auteurs de l’étude, Dr Stephen Freedman, clinicien-chercheur à l’Université de Calgary. Bien que toute infection à la COVID, même bénigne, vient avec un risque de séquelle à long terme, plusieurs travaux ont montré que les chances sont plus fortes pour les patients qui font des formes graves de la maladie. Les résultats de cette étude ne s’appliquent donc qu’aux enfants qui ont visité une urgence pour leurs symptômes, et on peut penser que cette proportion est plus faible chez les enfants en général.

Le deuxième élément de contexte à considérer, ici, c’est que l’article du JAMA Network Open avait un «groupe contrôle» pour permettre les comparaisons. Comme les symptômes mesurés au bout de trois mois sont fréquents et pas spécifiques au SRAS-CoV-2 (fatigue, toux, etc.), il y a toujours un certain pourcentage des enfants qui en ont. Le fait d’en observer chez 6 % des enfants positifs au bout de trois mois ne signifie donc pas qu’ils font tous une COVID longue — certains peuvent avoir attrapé un autre virus, être un peu amorphes à cause d’une canicule, etc. À preuve : «dans le groupe [négatif, qui n’a pas eu la COVID], il y avait un peu plus de 3 % des enfants qui ont rapporté ce genre de symptômes, m’a indiqué Dr Freedman.

C’est donc dire qu’il y avait environ la moitié des enfants du «groupe COVID» qui auraient probablement eu les mêmes symptômes au bout de trois mois, même s’ils n’avaient jamais attrapé le virus. «C’est la différence [entre le groupe COVID et le groupe contrôle] qui est importante», dit Dr Freedman.

À cet égard, les enfants de l’étude qui ont dû être hospitalisés étaient 10 % à rapporter des symptômes après 90 jours dans le groupe COVID, contre 5 % dans le groupe contrôle, ce qui laisse environ 5 % de COVID longue. Chez les enfants qui ont reçu leur congé directement à l’urgence, sans être admis à l’hôpital, c’était plutôt 4,2 % dans le groupe COVID et 2,7 % chez les «négatifs», ce qui donnerait environ 1,5 % de COVID longue — ce qui est le chiffre qui a la meilleure chance de s’approcher de ce qui se passe dans la population en général. Notons que ces résultats s’alignent assez bien avec plusieurs autres études [https://tinyurl.com/4j247ec3], qui ont trouvé autour de 2-3 % de COVID longue chez les enfants (une fois soustrait le pourcentage dans le groupe négatif).

Ça n’est donc pas 6 % des enfants infectés qui font la COVID longue, mais nettement moins que ça, selon toute vraisemblance, même s’il est pour l’instant difficile de dire combien exactement. Il faut également noter qu’à l’échelle populationnelle, même un taux de seulement 2 % peut représenter un très grand nombre d’enfants atteints, compte tenu de la forte contagiosité du virus.

VERDICT

Probablement pas. L’étude citée mentionnait bel et bien le chiffre de 6 %, mais il portait uniquement sur des enfants qui ont visité l’urgence pour des symptômes ressemblant à la COVID — et qui étaient donc plus malades que la moyenne des enfants qui attrapent le virus. En outre, dans ce genre d’étude, il faut soustraire le groupe contrôle du groupe COVID, ce qui laisse clairement moins de 6 %.

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