« Elle va me suivre jusque dans ma tombe, je crois ! », s’exclame en riant Geneviève Tremblay, aujourd’hui chef cuisinière à l’Auberge Le Parasol, où elle prépare « régulièrement » ce classique pour les travailleurs de passage ou les employés.
La recette en a fait du chemin avant de se retrouver dans leurs assiettes. C’est d’abord un certain Pierre Laroche, revenu de Tunisie il y a une cinquantaine d’années avec l’agréable souvenir d’un petit plat que sa cuisinière lui préparait là-bas, qui a demandé à Geneviève Tremblay de le reproduire.
Ou était-ce plutôt dans un autre pays qu’avait été concocté ledit spaghetti ? « Je ne me souviens pas si c’était du Maroc ou de la Tunisie. C’était peut-être du Maroc, mais moi, j’ai appelé ça tunisien. […] C’était les années granos, tout le monde voyageait et tout le monde revenait avec des idées. Alors, moi, j’ai dit : “On va l’appeler comme ça, tout simplement.” »
La chef a alors revisité le plat africain avec les ingrédients d’ici et s’est mise à en servir à ses amis, à la maison, remportant un succès instantané.
C’est toutefois lors de l’ouverture du restaurant La Bougresse à Chicoutimi – là où se trouve l’Entre-Côte Riverin –, en 1976, que le spaghetti tunisien a pris son véritable envol. Affiché dès le départ sur le menu de l’établissement, il est vite devenu un favori de la clientèle.
« Nous étions les seuls à le faire dans la région. Il y a quelques particuliers, évidemment, qui ont adopté la recette. On n’était pas avares, ce n’était pas un secret d’État. On ne l’a pas gardée nécessairement pour nous », raconte Germain Bonneau, qui a cofondé La Bougresse avec Geneviève Tremblay, s’occupant davantage de l’administration.
Cet esprit de partage explique peut-être pourquoi le plat se promène encore aujourd’hui dans plusieurs cuisines de la région. Ça... et le fait qu’il est « délicieux », renchérit celle qui évolue depuis toujours dans le milieu de la restauration, soulignant que les Québécois étaient peu familiers avec la nourriture plus relevée dans les années 70 et que la sauce harissa a ouvert les papilles de certains.
Plusieurs variantes
C’est là un ingrédient incontournable lorsqu’il est question de spaghetti tunisien. On mélange la sauce harissa à l’huile d’olive, l’ail et la pâte de tomates pour créer la sauce, dans laquelle il suffit ensuite de mettre les pâtes.
La tradition veut que l’on serve quelques garnitures en guise d’à-côté, soit des échalotes, du fromage cheddar, des quartiers de tomates, du persil, des champignons tranchés finement ou des saucisses merguez.
« Ce n’était pas gratiné, ce n’est jamais, jamais gratiné », insiste Germain Bonneau, notant que l’ajout d’un brin de coriandre, pour les amateurs, peut constituer une variante intéressante.
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Son ancienne partenaire d’affaires, avec laquelle il est toujours resté lié d’amitié malgré son départ de la région en 1984, est d’avis que la coriandre « masque » trop le goût de la sauce harissa. Elle propose en revanche d’autres variantes, le feta, « ou n’importe quel autre fromage », pouvant se substituer au cheddar. Des tomates en morceaux ou broyées peuvent également être utilisées à la place de la pâte de tomates, pour la sauce.
Geneviève Tremblay, qui s’est rendue en Tunisie il y a quelques années, fait remarquer qu’on y fait une recette similaire, mais distincte du plat popularisé au Saguenay–Lac-Saint-Jean. « J’y suis allée pour les noces de mon fils – sa femme est tunisienne. Ils font un spaghetti aux fruits de mer qui ressemble un peu à ça, mais pas tout à fait. »
C’est donc dire que le spaghetti tunisien, tel que nombre de Saguenéens et Jeannois le connaissent aujourd’hui, a une forme qui lui est propre. C’est une recette qui embrassait bien l’esprit de La Bougresse, où le mot d’ordre était de servir ce qui ne se servait pas ailleurs, tant pour les mets que les vins, selon Germain Bonneau.
Le cofondateur du restaurant était d’ailleurs très heureux de recevoir l’appel du Progrès, y voyant l’occasion de faire connaître, une fois pour toutes, la « vraie origine » du plat et de « rendre à César ce qui revient à César ».
Ni lui ni son ancienne collègue ne sont surpris de la popularité presque intacte du spaghetti tunisien, 50 ans plus tard.
« La Bougresse, c’est coulé dans le ciment pour certains dans leur mémoire. C’était de belles années aussi. On parle des années 70-80. C’était merveilleux à cette époque-là ! Il y en a beaucoup qui ont de gros souvenirs de ça », conclut Geneviève Tremblay.
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Pour ceux qui n’ont jamais essayé le spaghetti tunisien et qui désirent rattraper le temps perdu, la recette est disponible en ligne, notamment via ce lien.