Hors radar
La plupart du temps, les étrangers se croisent sans se parler sur le sentier qui longe la rivière Saint-Charles. Ils marchent, courent, roulent ou promènent leur chien, absorbés par la musique ou le balado dans leurs oreilles ou les pensées dans leur tête.
Mais Émilie* peut vous dire que ce n’est pas toujours vrai. Parfois, certains osent franchir la distance psychologique qui les sépare des inconnus.
Émilie, qui arrive au bout de la quarantaine, est une femme réservée et pince-sans-rire. Au parc Cartier-Brébeuf, elle aime jogger ou marcher et lire des romans policiers assise sur un banc.
Il y a cinq ans, elle a croisé plusieurs fois un promeneur de chiens sur le sentier de la rivière. Chaque fois, Benoît, un homme du même âge, lui souriait et la saluait, et Émilie lui renvoyait la politesse.
Grand, brun, mince, les yeux bleus, Benoît avait le genre de physique qui plaît habituellement à Émilie. Mais, à ce moment-là, Émilie ne cherchait pas activement un amoureux. Et Benoît passait complètement inaperçu sur son radar.
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Émilie évitait d’ailleurs les applications de rencontre. «J’ai l’impression de passer un examen là-dessus», dit-elle. Elle préfère de loin les rencontres face à face. «Au moins, on voit la personne dans son habitat naturel.»
Se doutant peut-être qu’il devait avancer prudemment, Benoît s’est contenté de lui dire «bonjour» durant quelques semaines. Puis, il a osé lui demander ce qu’elle lisait une fois où il l’a aperçue avec un roman au parc.
Puis, Benoît s’est décidé à lui proposer une date dans un café. Émilie a accepté. «À un moment donné, c’est tes amis qui disent : “Donne au moins une chance!”» dit-elle.
Au café, Émilie a été charmée par la simplicité, l’humour et la facilité de conversation de Benoît. Il a remporté une deuxième date. Et voilà cinq ans qu’Émilie et Benoît se fréquentent. Ils n’habitent pas ensemble, forment plus ou moins un couple, mais ont une «une relation privilégiée», dit Émilie.
Aujourd’hui, c’est la personne qu’Émilie voit le plus souvent dans la vie. Et elle ne pourrait plus se passer de l’inconnu qui a osé lui demander ce qu’elle lisait.
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Flamme de festival
Ce soir-là, Martin était allé voir les Gipsy Kings au Pigeonnier, puis était descendu à la place D’Youville pour les trois ou quatre dernières chansons de Michel Rivard au Festival d’été de Québec.
Dans la foule, Martin, qui avait 25 ans à l’époque, a rencontré des clients du boulot, dont un qui était accompagné d’une femme pulpeuse aux cheveux courts blonds. Martin a cru que c’était la copine d’un d’entre eux.
Ensemble, ils ont chanté et dansé sur les dernières chansons de Michel Rivard. Portés par l’euphorie collective, «on s’est pris par le cou tout le monde», dit Martin.
À la fin du concert, les gars et la fille ont demandé le numéro de téléphone de Martin. Il se rappelle avoir répondu quelque chose comme «il est dans l’annuaire». (C’était il y a 35 ans.)
Quelques jours plus tard, c’est la fille du groupe — appelons-la Manon — qui l’a appelé. Elle habitait à l’île d’Orléans et l’invitait à un party.
«Moi, j’étais sûr qu’elle serait là avec son chum. Mais quand je suis arrivé là, elle était toute seule, raconte Martin. J’ai dit : “Oh, ton chum est pas là?” Elle a dit : “Quel chum?”» Et puis, il a compris le malentendu : le gars qui l’accompagnait au Festival d’été, c’était son frère.
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Manon habitait seule dans la maison de campagne de l’île d’Orléans. Ses parents étaient partis dans un camping tout l’été.
Bien vite, Martin a compris qu’elle avait le béguin pour lui. Lui était moins sûr. Il venait de s’extirper d’une relation tumultueuse de 7 ou 8 ans et il lui a tout de suite dit qu’il n’irait pas plus loin qu’une amourette.
«Elle a dit : “C’est pas grave, c’est pas grave”. Mais elle s’est attachée. Pendant ces deux mois-là, elle a trouvé ça dur. Elle m’appelait tout le temps et je ne répondais pas.»
Martin a tout de même succombé à ses avances. Chaque samedi soir du reste de l’été, il s’est rendu à l’île d’Orléans chez Manon. «On a eu beaucoup de fun», dit-il.
Mais, à la fin de l’été, Manon espérait encore que son amant devienne amoureux. Mais son cœur n’avait pas bougé. «Il y a eu des larmes», se souvient Martin.
Trois ans plus tard, Martin a rencontré une autre femme avec qui il est heureux, marié et a plusieurs enfants. Mais en repensant à Manon de l’île d’Orléans, il ressent un frisson de nostalgie. «Des fois, on aimerait ça revenir dans ce temps-là.»
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Un french pour tout le monde
Un après-midi d’été dans le Kamouraska, Christian a été invité dans une cour arrière pour tuer le temps avec des amis.
À ce moment, Christian avait 16 ans. Il était timide. Il n’avait jamais embrassé une fille et il pensait surtout à faire du sport.
Dans la cour de son ami, Christian a été étonné de voir qu’il n’y avait pas juste des gars, mais une fille aux cheveux longs bruns qui, tout compte fait, lui plaisait pas mal.
Au bout d’un moment de papotage, Jessica* s’est avancée doucement vers Christian et a commencé à l’embrasser devant les autres gars, médusés.
Puis, Jessica a retiré ses lèvres des siennes. Et elle s’est mise à embrasser les autres gars qui étaient là, un après l’autre.
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Puis, au fil des heures, Jessica «frenchait» qui elle voulait, au gré de ses envies, mais avec un certain souci d’équité, semble-t-il. «Je dirais qu’on l’a fait à peu près trois ou quatre fois chaque», se souvient Christian.
Cet après-midi-là, Christian a eu son premier amour d’été. «Je ne suis pas tant tombé en amour avec elle qu’avec l’expérience qu’elle m’a fait vivre», dit-il.
Christian n’a jamais eu la chance de flirter à nouveau avec Jessica, qui n’était que de passage dans le Kamouraska.
C’était il y a 36 ans. Mais Christian, qui a aujourd’hui 52 ans, se souvient encore de cette femme qui a réveillé son intérêt pour l’amour. «J’ai compris qu’il n’y avait pas juste le sport dans la vie».
* Les vrais prénoms ont été modifiés pour protéger leur anonymat.
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DEUX HISTOIRES DE NOS LECTRICES
Un coup de foudre réciproque
J’ai 14 ans et nous sommes en 1976, l’année des Olympiques à Montréal. Je suis invitée à passer quelques semaines durant l’été chez de la parenté qui habite à Longueuil. Dès le premier jour de mon arrivée, mon cousin me présente son meilleur ami, dont les parents étaient Français. Bang : coup de foudre instantané, moi qui n’avais jamais été intéressée par les garçons jusqu’à présent. Ses magnifiques yeux bleus et son beau sourire ne sont sans doute pas étrangers à la situation… Et je comprends rapidement que cette attraction est très réciproque… au grand dam de ma tante qui n’a pas de filles et qui s’inquiète de la tournure imprévue des choses. Disons qu’elle appellera ma mère à Québec une couple de fois pour l’avertir de la situation (je ne l’ai su que par la suite).
Vélo, pique-niques, baignades et autres activités ponctuent mon séjour. Arrive le moment redouté du retour à Québec : il faut se séparer. Nous promettons de nous écrire, de nous téléphoner et de nous visiter lorsque possible. Nous avons tenu promesse : j’écrivais au moins une lettre à chaque matin, que je postais, et j’en recevais au moins une autre de mon amoureux durant la journée. Le facteur était l’homme le plus surveillé de mon quartier! Et en l’absence d’Internet, il fallait être patient pour communiquer. Et le soir, on se téléphonait et on parlait pendant des heures. Je me souviens encore de la facture d’interurbains du premier mois (35 $), que ma mère m’avait demandé de rembourser; une petite fortune, quand notre seule activité professionnelle est de garder des enfants à coup de 0,50 $/heure.
Nos échanges épistolaires se sont lentement espacés au gré de l’année scolaire; et un jour, on a tous les deux réalisé que cette relation à distance ne tiendrait pas la route et on a rompu. Mais j’ai tout de même conservé toutes les lettres reçues et je garde un très beau souvenir de ce premier amour. Merci, Jean-François pour ces beaux moments de jeunesse!
Suzanne Michaud, Québec
La salopette verte
Matane, été 1995. Je revenais dans ma ville natale pour travailler au restaurant de mes parents puisque je voulais faire un retour aux études à l’université de Rimouski. J’avais travaillé auparavant en Abitibi pendant près de quatre années et je voulais me rapprocher de ma famille. J’avais 24 ans et j’étais célibataire, sans enfant. Un soir, après le travail, mes amis et moi décidons d’aller au bar dansant de la place, je me suis changée et j’ai mis ma salopette verte. Je dansais sur la piste de danse quand je l’ai vu, lui, qui me regardait avec un de ses amis. Un homme châtain, pas trop grand, comme je les aime…
Je suis allée à la salle de bains et je suis passée devant lui afin de confirmer ce que je sentais. Il semblait un peu gêné et ne m’a pas parlé. Je ne le connaissais pas. Je retourne danser un peu et je vais faire un tour à un autre bar qui est à côté du bar dansant. Comme je passe dans l’allée, je vois mon bel inconnu. Je me lance et je me présente. Je lui dis mon nom, ce que je fais à Matane et nous faisons connaissance. J’apprends qu’il est à Matane pour l’été, car il est aux études également et il va à l’Université Laval.
Nous passons l’été 95 ensemble, nous faisons du camping pendant nos temps libres, nous apprenons à nous connaître. Nous sommes toujours ensemble. Il se développe quelque chose de beau, mais la fin de l’été arrive, et ce, beaucoup trop vite. Nous devons nous quitter pour le retour aux études, lui à Québec et moi à Rimouski.
Nous faisons le pari de continuer malgré la distance, nous nous verrons une fois aux deux semaines pendant toute la durée de mes études. Nous avons essayé et nous avons eu nos hauts et nos bas. Mais au bout de 27 ans de vie commune, en plus d’avoir eu deux belles filles, je peux vous dire que je ne regrette pas d’être retournée à Matane à l’été 95 et d’avoir mis ma salopette verte pour aller danser…
D’une lectrice qui a préféré garder son anonymat