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Tout le monde devrait pouvoir se baigner

Les piscines publiques existent afin que tout le monde puisse profiter des plaisirs de la baignade, pourtant, certaines communautés discriminées ne s’y sentent pas en sécurité et se retiennent d’en profiter comme les autres.

CHRONIQUE / Que ce soit dans la mer ou dans une piscine, se baigner est un symbole de relâchement, de bien être, de ressourcement. Un petit truc tout simple qui procure un grand plaisir. En fait, si c’est simple pour bien du monde, pour d’autres, ça vient avec plusieurs obstacles.


Parmi les obstacles, il y a celles financières, évidemment. Tout le monde ne peut pas s’acheter une piscine et tout le monde ne possède pas une maison. Tout le monde n’a pas les moyens de se payer des voyages sur le bord de la mer non plus.

Même s’il existe des piscines publiques, encore faut-il trouver le temps entre le travail et d’autres obligations, comme la famille ou les études. Il n’est pas rare d’entendre une personne avoir une piscine dire qu’elle n’a même pas le temps d’en profiter.

Ça, ce sont les plus évidents. Mais il y a un obstacle massif qui garde certaines personnes loin des piscines et des plages. Le pire, c’est qu’il passe souvent inaperçu. Il est même souvent invisible aux yeux de plusieurs personnes. 

Je parle des normes sociales, de la stigmatisation et des préjugés. C’est un énorme frein. 

Et là, je ne parle pas des complexes corporels. Oui, plusieurs personnes se retiennent d’aller à la piscine parce qu’elles sont complexées, mais ce n’est pas une discrimination en soi.

Par exemple, être complexé·e sur ses cuisses, sur le mou de ses bras ou la grosseur de son nez, ça ne s’accompagne pas de violences physiques ou verbales, de discrimination à l’emploi, de mauvais traitements médicaux ou d’exclusions sociales. 

C’est une différence majeure entre les complexes – qui peuvent aussi se nourrir des normes sociales – et ces mêmes normes qui rejettent et invalident des groupes de personnes uniquement dues à leur différence. Les personnes trans ne doivent pas juste faire un processus personnel d’accepter leur corps, iels doivent continuellement affronter les préjugés et les insultes et rappeler leur droit d’exister et d’avoir leur place comme les autres.

Pis ça peut vite devenir essoufflant et éreintant. 

Aller dans une piscine publique pour une personne trans peut être tout sauf relaxant. Ça peut être un combat et même traumatisant. Pourquoi? Parce que plusieurs personnes vont les juger. Il y a de bonnes chances de recevoir des insultes devant tout le monde. De se faire dire que ce n’est pas leur place. De voir des gens les contourner ou les éviter comme si iels avaient la peste. 

Une personne trans qui se rend dans une piscine publique ne se demande pas juste si les gens vont juger ses fesses, elle se demande si elle va être invalidée. 

Florence Chenel de TransEstrie raconte que ça peut facilement devenir anxiogène pour la communauté trans. «Il y a encore beaucoup de jugements dans la population. On aimerait que la transphobie n’existe plus, mais non.» 

Comme le rappelle avec justesse Florence, certaines parties du corps deviennent difficiles à dissimuler avec un costume de bain et ça choque souvent une partie de la population. Une femme avec un pénis, par exemple. Ou un homme avec des seins.

Signe d’un besoin, c’est la première chose que les membres de l’organisme ont suggérée lors d’un sondage sur des activités à organiser. Une sortie à la piscine entre personnes trans seulement.

Parce qu’aller se baigner, ça devrait être du plaisir, un moment de relaxation et de bonne humeur, pas un combat pour avoir le droit d’exister. Aller à la piscine ne devrait pas être un statement.

Je les comprends et je les encourage. Confidence entre vous et moi, en tant que personne grosse qui s’est toujours faite écœurée à chaque sortie dans une piscine publique pendant son enfance, moi aussi j’ai banni les piscines publiques de ma vie. Ce qui devrait être un plaisir est devenu un calvaire, un calvaire que j’ai mis de côté. J’ai reçu plusieurs dizaines de témoignages de personnes grosses qui ne se sentent pas bienvenues dans les piscines publiques.

Dans certaines villes, des personnes grosses se sont unies pour réserver des plages horaires d’une piscine publique pour éviter de se faire humilier. Mais ce n’est pas toujours facile à organiser.

Florence Chenel, justement, a trouvé ça plus laborieux que prévu. Sans savoir pourquoi, «réserver la piscine a été compliqué.» Du côté de la Ville de Sherbrooke, on assure que le processus est simple, il y a des formulaires en ligne et une personne a le mandat de gérer ce genre de demandes. Difficile de dire pourquoi la réservation a été compliquée. Soulignons toutefois que la Ville ne refile aucune facture pour ces quelques heures à la piscine. 

C’est la deuxième fois que TransEstrie propose cette activité, vendredi. La première fois, c’était l’été passé. L’organisme aimerait bien ça le proposer plus souvent, mais ça demande beaucoup d’organisation.

On peut se demander si la formule actuelle des bains publics ouverts à tous et toutes est la formule la plus inclusive. J’ai parlé de la communauté trans et des personnes grosses, mais je pourrais aussi parler des personnes âgées, des personnes avec certains handicaps, des personnes avec certaines maladies mentales, des personnes avec des maladies de peau, des minorités culturelles. Plusieurs petits groupes n’iront pas aux bains publics pour se protéger.

Je sais que certaines personnes vont trouver que tout ça n'encourage pas la mixité et vont trouver ça trop «protecteur», mais le chemin vers l'égalité et la mixité doit-il nécessairement se faire sur le dos des personnes discriminées? Elles n'ont pas à toujours être au front le temps que la société évolue. Elles en subissent déjà assez quotidiennement.

Dans certaines villes, il existe déjà des plages horaires régulières réservées aux personnes âgées. On devrait aussi en offrir à d’autres communautés. Après tout, ce sont des installations publiques et ces communautés participent à leur financement comme tous les autres. Elles devraient aussi pouvoir en jouir.

J’espère que TransEstrie, avec son activité, va nourrir une prise de conscience sur l’importance de réfléchir aux options pour rendre inclusives et invitantes les différentes infrastructures publiques. Avoir un corps différent ne devrait pas être une raison pour se priver d’une activité et les villes doivent être plus proactives pour inclure ces populations.

Se baigner, ça ne devrait pas être un luxe.