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Nous sommes à la Boulangerie Aucoin, une institution, pour ne pas dire un service essentiel, dans la région acadienne de l’île du Cap-Breton.

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Ça fait plus d’un demi-siècle et trois générations que la famille Aucoin met la main à la pâte pour faire tourner cette business du secteur de l’alimentation.

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«On sort un millier de pains par jour, dont la moitié sont des pains blancs, m’explique Justin Aucoin, 45 ans, propriétaire de la boulangerie et petit-fils des fondateurs, Alex et Annie Blanche. Nos affaires vont très bien. Nous avons une clientèle qui aime acheter localement, et c’est d’autant plus vrai depuis le début de la pandémie.»

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Point de repère

L’entreprise fondée en 1959 est beaucoup plus qu’un simple commerce de détail sur la mythique Cabot Trail qui serpente sur près de 300 kilomètres. C’est également un point de repère pour les Acadiens qui vont y commander leur pain «croustillant à l’extérieur, mais tendre à l’intérieur».

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Ils s’expriment soit en français, soit en anglais, ou encore en franglais. Ils sont d’ailleurs très nombreux à ''switcher'' d’une langue à l’autre pour mieux se faire comprendre. C’est la réalité linguistique de ce coin de pays où les francos et les anglos parviennent à cohabiter et à s’entendre, malgré leurs différences culturelles.

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«On a la chance de pouvoir encore parler notre langue», reconnaît Justin, un enfant du village, tout en s’activant pour sortir le pain encore tout chaud des fours.

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Lui-même s’exprime dans un français tout ce qu’il y a de plus respectable. Et il tient à ce que ses deux filles, qui sont d’âge scolaire, marchent dans ses pas.

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Les petites douceurs

Au même moment, sa mère Pauline, 67 ans, se joint à la conversation.

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«J’vous dis qu’y fait chaud dans la cuisine mais j’me plains pas de la chaleur!», lance-t-elle, le visage rougeaud, sourire aux lèvres.

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Elle en profite pour faire la promotion de ce qu’elle appelle «les petites douceurs», ces pâtisseries sucrées qui se vendent comme des petits pains… chauds.

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La «jeune» sexagénaire a toujours vécu à Chéticamp. Elle ne se verrait pas mener sa barque nulle part ailleurs. Il faut dire que la boulangerie est située à deux pas du golfe Saint-Laurent et pas très loin des quais de pêcheurs où s’empilent les cages de homards. La vie, ici, se vit à un rythme lent, au fil des saisons.

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Une bouchée de pain à la fois.

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Ça se voit, ça s’entend, elle a toujours défendu sa langue. Encore aujourd’hui, elle continue de jaser avec ses clients avec couleur et élégance.

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Elle est fière d’appartenir à une communauté qui se tient debout. Et on devine qu’elle se sent privilégiée d’avoir toujours pu travailler en français pendant toutes ces années aux côtés de son mari Léonard, décédé il y a douze ans.

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Madame Pauline souhaite que les enfants de la relève, à commencer par ses propres petits-enfants, soient «toujours fiers» de leurs racines et qu’ils n’oublient jamais tout le chemin parcouru par ceux qui les auront précédés.

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Il faut comprendre que dans cette province où tout se passe en anglais du matin au soir, les francophones néo-écossais sont parvenus à faire valoir leurs idées et leurs droits, en tant que minorité linguistique.

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Pour la petite histoire, rappelons que la Fédération des parents acadiens s’était rendue jusqu’en Cour suprême, au début des années 1980, pour faire fléchir le gouvernement.

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La bataille avait été gagnée par la Fédération. Aujourd’hui, on dénombre une vingtaine d’écoles francophones. Il n’y en avait qu’une seule en 1981.

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Sentiment partagé

Mais l’équilibre demeure fragile. Ils sont nombreux, et Steve Gagné est l’un de ceux-là, à montrer des signes d’inquiétude.

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«Il me semble qu’il y a quelque chose qui est en train de changer, m’explique le gérant de département à la Co-op de Chéticamp. De plus en plus de nos jeunes changent d’école et s’en vont s’instruire en anglais.»

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Il est bien placé pour sentir le vent. Chaque jour, il jase aux clients, dans les deux langues, qui viennent remplir leur panier dans cette épicerie qui dessert une population de 2500 habitants dans les villages environnants, notamment l’Isle Madame.

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Steve Gagné est un «local» qui a roulé sa bosse. Jeune adulte, il a traversé l’Atlantique pour aller étudier à Paris.

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«Je voulais être chef et pouvoir travailler dans les grands restaurants, me raconte-t-il tout en saluant les clients de l’épicerie, qui en font autant.»

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Il a bien tenté sa chance en allant travailler à Toronto. Mais il a vite déchanté.

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«Je n’ai vraiment pas aimé mon expérience là-bas, considère-t-il après coup. Je n’ai pas pu supporter le rythme de la ville.»

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Il est revenu vivre à Chéticamp. C’est ici qu’il a décidé de jeter l’ancre pour fonder une famille. Sa fille Millie-Anne a tout juste six mois. C’est son petit trésor.

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Et c’est comment en hiver, quand les touristes sont rentrés chez eux?

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«Pas mal tranquille, me répond-t-il en riant. Le monde est sur le chômage. Il fait froid et il vente toujours très fort. Mais on ne s’ennuie pas. On se rend visite, on va écouter de la bonne musique.»

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