Chronique|

Le Québec à l’assaut du Tour de France

Hugo Houle a ému tous les Québécois, mardi, lorsqu’il a levé les bras vers le ciel pour dédier sa victoire à son frère Pierrik, décédé tragiquement en 2012

Hugo Houle a ému tous les Québécois, mardi, lorsqu’il a levé les bras vers le ciel pour dédier sa victoire à son frère Pierrik, décédé tragiquement en 2012. Un triomphe historique pour le Québec, qui voyait enfin l’un des siens remporter une étape du prestigieux Tour de France, une première depuis la création de la Grande Boucle en 1903.


Même s'ils demeurent moins nombreux que les adeptes de vélo de montagne, les cyclistes québécois sont sur une véritable lancée depuis une dizaine d’année. David Veilleux, 123e en 2013, a cassé la glace en devenant le premier cycliste né dans la Belle Province à compléter le Tour de France, ce qu’ont fait Antoine Duchesne (107e en 2016) et Hugo Houle (91e en 2019, 47e en 2020 et 66e en 2021) par la suite.

De voir Houle remporter une étape du Tour de France, c’est donc une avancée extraordinaire pour le cyclisme québécois du point de vue historique. 

De quoi rendre fier Pierre Gachon, le premier Québécois de l’histoire à avoir pédalé le mythique parcours français, en 1937. Qui était-il? Voici un petit retour en arrière.

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Mai 1937, rue Saint-Denis à Montréal. Ils sont une vingtaine de cyclistes réunis pour souhaiter la bonne chance au Montréalais Pierre Gachon, qui s’apprête à embarquer à bord du Montcalm, un navire du Canadien Pacifique, à destination de Québec d’où il partira ensuite pour l’Europe.

Né à Paris en 1909, Gachon a immigré au Québec au milieu des années 1920, quelque temps après la mort de son père, tombé au combat pendant la Première guerre mondiale. C’est son père adoptif, le Belge Henri Van der Auwera, qui lui a fait découvrir le vélo, étant propriétaire d’une boutique de fabrication de bicyclettes, rue Duluth est, à Montréal.

Ce même Van der Auwera, le président du Club cycliste canadien, a inscrit son fils adoptif quelques semaines avant le Tour de France de 1937.

Spécialiste des épreuves d’endurance, Pierre Gachon avait marqué les esprits, en 1934, lorsqu’il avait complété le trajet Montréal-Toronto en quinze heures et trois minutes. Un an plus tard, le Québécois d’origine française tentait de battre son propre record canadien en s’attaquant au trajet Montréal-Québec, aller-retour, les 29 et 30 septembre 1935.  

Gachon avait effectué la première partie du circuit reliant les deux plus grosses villes de la province en un temps record de cinq heures 48 minutes — maintenant une impressionnante moyenne de 33 milles à l’heure —, mais au retour, il avait dû rouler pendant plusieurs heures sous une pluie glacée, signant finalement un chrono de 13 heures 15 minutes. «Seul un courage à toute épreuve le soutint et l’inspira pour lui faire finir sa randonnée», résuma alors le quotidien La Patrie.

Intronisé au Temple de la renommée du cyclisme québécois en 1988, Gachon décrira son état physique après cet éprouvant marathon à La Presse. «À l'arrivée, j'étais gelé et je tremblais comme une feuille, dira-t-il au journaliste Michel Marois en 1990. Mes amis m'ont transporté dans le sous-sol du chalet du golf municipal, à coté de la fournaise!»

Retournons à 1937. Lorsqu’il met le pied en France au début de juin, après une semaine passée à bord de l'Empress of Australia, Pierre Gachon apprend que sa bicyclette, qu’il a dû acheter d’un club local pour se qualifier au Tour de France, n’est toujours pas prête. 

Le cycliste de 28 ans ne recevra le précieux vélo que la veille du départ. Mal entraîné, le coureur de l’équipe anglaise Albion devra finalement abandonner après la première étape du Tour, celle reliant Paris (Île-de-France) à Lille. «C’est dommage car je crois que j’aurais pu aller au bout si j’avais pu m’entraîner», dira plus tard le premier Québécois et Canadien à avoir roulé la Grande Boucle.

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Revenons à Hugo Houle, grande fierté québécoise des derniers jours en France. Le chemin qu’a accompli le cycliste de Sainte-Perpétue depuis quelques années est admirable. Sa victoire de mardi a ému aux larmes Louis Garneau, homme d'affaires et ex-athlète olympique qui a cru en Houle, il y a une quinzaine d'années, en lui donnant un vélo, des vêtements et une bourse pour l'encourager à continuer. Celui-ci s’envolera d’ailleurs pour Paris dans les prochaines heures, où il espère trinquer au champagne avec Houle dimanche sur les Champs-Élysées. 

Pendentif en forme de croix bien accroché au cou — qu’il a aussi remis à Houle quelques jours après la mort tragique de son frère, fauché par un chauffard à l’âge de 19 ans seulement — Garneau éprouve une fierté immense de voir son ancien protégé, qu’il a connu à l’âge de 16 ans, propulser le cyclisme québécois à de nouveaux sommets. 

Garneau est admiratif du sérieux, de la persévérance et de la discipline du jeune trentenaire québécois. «Il va motiver beaucoup de jeunes au Québec et au Canada, se réjouit l'ancien cycliste devenu entrepreneur. Hugo envoie le message que tout est possible. Il vient d’ouvrir sa carrière sur un autre volet. Il sera maintenant considéré comme un des leaders. Il va renégocier son prochain contrat à la hausse. Les salaires ne sont pas hauts chez les pros, mais il va peut-être devenir millionnaire l’année prochaine.» 

Les cyclistes d'ici (Hugo Houle et Guillaume Boivin de l’équipe Israel-Premier Tech et Antoine Duchesne de Groupama-FDJ) ne seront pas les seuls Québécois à être en mission en France dans les prochains jours.  

C’est que Louis Garneau profitera de son voyage dans ce pays pour y brasser des affaires. Il présentera le casque haut de gamme qu’il a développé ces dernières années aux différentes équipes, dans l’espoir de renouer avec le Tour de France en 2024.

Son entreprise a déjà habillé la formation Europcar, de 2010 à 2015, et Garneau se dit confiant de renouer avec la Grande Boucle avec son nouveau casque breveté. «Je pense bien être capable, s’emballe l’homme d’affaires. J’aimerais mieux que ce soit l’équipe d’Israel-Premier Tech qu’une autre, mais on verra. J’aimerais bien embarquer dans la gang québécoise, ce sont tous des amis en plus!»

La victoire de Hugo Houle de mardi était historique et c'est tout le Québec qui a gagné avec lui.