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Que retiendra-t-elle donc des trois semaines qu’elle vient de passer au Québec, de ce second voyage hors d’Inde, sur ces terres qui m’ont connu moi-même enfant?

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Premièrement, il faut dire que le choc culturel n’a pas été particulièrement grand pour elle. Nous l’avions bien préparée, mais le gros du travail avait déjà été fait par la mondialisation, qui n’a cessé au cours des dernières décennies de brouiller les frontières du dépaysement.

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Les hégémonies culturelle et économique occidentales à l’échelle planétaire font en sorte qu’aujourd’hui, une petite citoyenne d’un pays dit en développement peut parfois se sentir plus «dans la normalité» à des milliers de kilomètres de chez elle, dans ces univers parallèles à ceux de la Pat’Patrouille et de Peppa Pig, que dans son propre quotidien.

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Pour elle, les quatre saisons coupées au couteau de nos latitudes sont une réalité autant sinon plus évidente que les pluies diluviennes de la mousson qui paralysent parfois Bombay, la ville où elle habite. Sans même avoir jamais vécu un Noël blanc ou fait craquer sous ses petits pieds une neige fraîchement tombée, elle sait par exemple que le meilleur moyen de s’éviter une mauvaise chute sur la glace est d’épandre du gros sel sur la chaussée. Les feuilles mortes de l’automne nord-américain la font tout autant rêver.

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Son voyage au Québec ressemblait ainsi en bonne partie à une plongée dans la réalité de mondes imaginaires qui ne lui étaient jusque-là accessibles que par l’entremise de Netflix et de YouTube. Faire griller une guimauve sur un feu de camp près d’un chalet au bord d’un lac. Prendre son bain dans une baignoire remplie de bulles. Marcher dans une forêt de conifères jonchée d’aiguilles et de cocottes. Ramasser des fraises dans un champ. Déambuler dans les allées d’un hypermarché. Se balancer jusqu’à plus soif dans un parc presque vide (c’est-à-dire sans avoir à attendre son tour et devoir céder sa place aux autres enfants au bout d’un moment).

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Même le siège d’appoint et la ceinture de sécurité qui l’énervaient tant lors des déplacements en voiture («C’est la loi ici!») la rapprochaient des scènes fictives qui, sur un écran ou dans un livre, peuplent ses repas et ses dernières minutes avant le sommeil.

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Ce petit garçon

En voulant faire découvrir à ma nièce les lieux, les gens et les objets de mes passés, il allait de soi que je retrouverais en chemin différentes versions de moi-même.

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À quelques mètres de mon école primaire m’attendait ainsi le souvenir du petit garçon que j’étais à son âge, en train de nouer une première amitié durable à la sortie de la maternelle, amitié qui se terminerait violemment juste avant l’entrée au secondaire par un coup de poing au visage — mon visage.

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Pendant qu’elle inventait des scénarios mettant en vedette mes figurines Playmobil — minutieusement conservées toutes ces années par ma mère —, je contemplais ces bouts de plastique avec l’impression de reconnaître de vieux amis d’enfance longtemps perdus de vue. Je ne pouvais me rappeler précisément toutes les aventures que nous avions vécues ensemble, mais je savais qu’ils avaient un jour été importants dans ma vie, qu’avec eux, je m’étais imaginé médecin, brancardier, pompiste, motocycliste, femme.

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Du sac contenant mon équipement de patinage de vitesse émanaient les odeurs d’années de dévouement à une discipline, mélange de cuir, de métal, de lycra et de sueur. Quand je dois porter dans mes bras ma nièce fatiguée sur de longues distances, c’est ce même patineur qui parcourt un 3000 mètres.

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Dans mon album de bébé, assidûment rempli par ma mère à l’époque, se trouvait comme il me semblait la pièce à conviction permettant de résoudre un mystère qui turlupinait ma nièce depuis un moment : comment se faisait-il que dans la vallée formée par mon nombril ne se trouvait pas un bouton en forme de fleur comme dans le sien et dans le nombril des autres membres de notre famille? La réponse était retenue dans l’album depuis près de 39 ans par un ruban adhésif : ma fleur ombilicale, momifiée et noircie par les années, preuve ultime que j’avais moi aussi un jour été rattaché au corps d’une mère.

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Dans quelques années, il est à peu près certain que ma nièce ne conservera que peu de souvenirs de son premier voyage au Québec, qui aura certainement été suivi par d’autres. Il lui restera au mieux quelques anecdotes et détails étonnamment précis, en apparence anodins, mais qui perdureront parce qu’ils seront venus creuser de nouveaux sillons sur les terres encore inexpérimentées de son humanité.

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Le voyage crée des souvenirs, des souvenirs qui, même lorsqu’on les croit disparus, continuent ensuite sourdement à nous créer. Particulièrement lorsqu’ils nous proviennent des tréfonds de l’enfance.

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