Les vaccins à ARNm sont-ils vraiment utilisés depuis 20 ans par les vétérinaires ?

L’affirmation : «Après discussion avec des vétérinaires, il semblerait que les vaccins à ARN-messager [ndlr : comme ceux de Pfizer et de Moderna contre la COVID] sont utilisés en médecine vétérinaire depuis près de 20 ans — si ce n’est pas plus ! Êtes-vous en mesure de confirmer cette affirmation ?», demande Jean-David Bourque.


Les faits

Il faut croire qu’il y a eu une certaine confusion autour de la notion d’«utilisation en médecine vétérinaire» parce que non, ces vaccins-là n’ont pas un historique d’«utilisation» aussi long que ça. «J’imagine qu’il y a eu beaucoup d’essais sur des animaux, mais ce n’est pas la même chose qu’une utilisation en médecine vétérinaire», dit Denis Archambault, lui-même vétérinaire et chercheur en immunologie et virologie animale à l’Université de Montréal.

La «preuve de concept» théorique des vaccins à ARNm remonte à environ 1990, quand des chercheurs américains ont injecté un mélange d’ARNm et de lipides dans des animaux et ont réalisé qu’ils pouvaient ainsi leur faire produire (un peu) de la protéine codée dans l’ARNm. Et la première fois que l’on est parvenu à obtenir une réponse immunitaire (chez des souris) grâce à de l’ARNm date de 2000.

Mais il a fallu beaucoup, beaucoup de temps avant de maîtriser la technique suffisamment bien pour en faire des vaccins fiables, lisait-on récemment dans un historique de ces vaccins publié dans Nature. Un des principaux problèmes était que l’ARNm est très instable quand on l’injecte dans un organisme — il est attaqué et dégradé très rapidement. Pour cette raison, pendant les années 1990 et une partie des années 2000, les vaccins à ARNm étaient surtout vus comme des traitements potentiels contre le cancer (en injectant de l’ARNm contenant des informations pour assembler des protéines qui sont exprimées par des cellules cancéreuses, on espérait amener le système immunitaire à s’attaquer aux tumeurs), et non comme un moyen d’immuniser contre des maladies infectieuses. Et cela valait pour les usages en médecine tant humaine qu’animale.

Il a fallu plusieurs innovations avant d’être capable de stabiliser l’ARNm suffisamment pour en tirer des vaccins fiables. Un moment charnière survint en 2005, toujours d’après Nature, quand deux chercheurs découvrirent une manière de changer subtilement l’ARNm afin d’éviter qu’il soit attaqué et dégradé par le système immunitaire. Un autre arriva en 2012, quand une compagnie canadienne mis au point des nanoparticules de lipides capable de protéger le matériel génétique et d’en faciliter l’entrée dans les cellules (lesquelles vont alors «lire» ce matériel génétique et assembler la protéine codée dans le brin d’ARNm). Comme il y a toujours un délai, souvent de plusieurs années, entre une découverte en science fondamentale et son approbation par les autorités réglementaires, cela montre qu’il ne peut pas y avoir eu 20 ans d’usage des vaccins à ARNm en médecine vétérinaire. «Cela remonte à quelques années, pas plus», dit Dr Archambault. 

«En ce moment, précise-t-il, il y a deux vaccins à ARNm qui sont approuvés en médecine vétérinaire au Canada : un contre l’influenza aviaire et l’autre contre la diarrhée épidémique du porc. Mais ils ne sont pas utilisés à grande échelle. (…) L’influenza est un virus qui mute beaucoup [ce qui réduit l’efficacité du vaccin, ndlr] et la diarrhée du porc, c’est endémique et c’est juste dans des petites zones. Et en plus, en Amérique du Nord, on n’entre pas dans un élevage n’importe comment : il y a un système de douches et tout, et comme on a cette gestion serrée des infections, ça minimise les risque d’entrée des virus. Alors t’as moins besoin de vacciner tes animaux.»

Verdict

Non, pas vraiment. Il y a bien eu des essais sur des animaux depuis une vingtaine d’années, certes, mais ça ne compte pas pour une «utilisation en médecine vétérinaire» à proprement parler. Les mêmes difficultés techniques qui ont empêché l’usage des vaccins à ARNm pour prémunir contre des maladies infectieuses chez l’humain prévalaient également en médecine vétérinaire, et il n’y a pas 20 ans qu’on les a surmontées.

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