L’encre n’était pas encore sèche sur le document au moment où l’Université Laval a entrepris de bafouer cette liberté en suspendant pour 8 semaines sans solde deux professeurs, Patrick Provost, professeur de biochimie, chercheur de renommée internationale et spécialiste de l’ARN, ainsi que le professeur de biologie, Nicolas Derome. Raison invoquée : ils ont osé remettre publiquement en doute l’innocuité des vaccins contre la COVID-19 et la pertinence de la vaccination chez les enfants. Dans le premier cas, un collègue offensé par les affirmations du Professeur Provost a choisi de déposer une plainte à la direction de son université plutôt que de simplement discuter ou débattre publiquement avec lui, tel que le veut la tradition universitaire, reprenant ainsi la stratégie de censure adoptée par les étudiants de l’Université d’Ottawa un an plus tôt…
Au terme d’une enquête d’un comité piloté par un avocat, mais dont la composition n’est pas publique, l’administration de l’Université Laval a conclu à un biais de confirmation, à des interprétations partiales et, pire, à la livraison d’informations polarisantes et à un manque de responsabilité envers le grand public. Pourtant, il suffit de lire les grandes revues scientifiques telles que Nature ou Science pour trouver, presque à chaque livraison, des textes qui pèchent de la même façon sans que leurs auteurs ne soient, pour autant, suspendus à répétition par leur institution.
Il ne fait aucun doute, à la lecture de ces conclusions, que l’Université Laval agit à l’encontre des libertés essentielles à la réalisation de la mission universitaire. Or, contrairement à l’histoire de Lieutenant-Duval, l’affaire Provost a soulevé peu d’intérêt sur la place publique. Bien que les grands médias qui ont relaté l’affaire de manière descriptive conviennent du caractère controversé du renvoi, la plupart ne semblent pas aptes à présenter l’enjeu fondamental et social sans, en même temps, prendre position sur le débat sous-jacent qui relève pourtant de la science. Quant au monde politique, à part un appui solide à la liberté universitaire de la part de la ministre McCann, c’est aussi le silence radio.
À l'encontre de la méthode scientifique
Si certains considèrent la liberté universitaire essentielle lorsque la position attaquée est celle qu’ils défendent, ils la pensent moins pertinente si le propos ne fait pas l’unanimité. Comme s’ils pouvaient alors s’arroger le droit ultime de décider de la vérité et de soutenir la censure sur tout ce qui pourrait la remettre en cause, une position à l’encontre de la méthode scientifique elle-même qui est manifestement celle de l’Université Laval.
Comme l’expliquait le philosophe des sciences, Karl Popper, il y a près d’un siècle, on ne peut jamais démontrer une théorie (autre que triviale) en science, on ne peut que chercher constamment à la prendre en défaut. Quant au consensus, c’est lorsqu’il éclate que la science fait les plus grands bonds, comme l’a montré l’historien des sciences Thomas Kuhn. Favoriser cet éclatement n’est pas facile, toutefois : il faut justement cibler des faits choisis avec soin (biais de confirmation et interprétations partiales) et défendre leur pertinence contre le discours dominant (menant à des informations polarisantes). Bien sûr, chaque remise en question ne s’avère pas fondée, et de nombreux chercheurs pataugent dans l’erreur pendant des années. Il suffit d’un succès, pourtant, pour rappeler à quel point la méthode scientifique, qui ne peut que déranger, est essentielle au développement des savoirs.
Plus près de nous, les éthiciens organiques du gouvernement du Québec avançaient eux-mêmes en 2020, à propos de la pandémie : «la référence à “la science” ne peut être présentée comme source unique des décisions de santé publique, sans que soient indiquées en parallèle les principales zones d’incertitude et les raisons qui fondent la décision malgré les incertitudes, notamment les raisons politiques».1
Finalement, l’argument de l’administration de l’Université Laval quant aux manquements face au public se pose en contradiction directe de la politique des Fonds de recherche du Québec et des divers Conseils canadien qui exigent que les travaux et interventions des professeurs soient accessibles au grand public pour que la science s’y déploie dans la plus totale ouverture. On ne peut à la fois protéger le public et lui donner plein accès à la science en marche.
C’est pourquoi la validité ultime des propos des professeurs Patrick Provost et Nicolas Derome ne saurait être au cœur de l’enjeu ici. Cette validité, souvent toute en nuances de gris, ne peut être réglée par une administration universitaire ou un comité anonyme piloté par un avocat, mais par un débat scientifique public qui risque de durer encore de nombreuses années.
À la lumière de ce qui précède et dans le respect de la loi 32 sur la liberté universitaire, nous demandons donc, sans égard à notre position sur la vaccination contre la COVID, à l’administration de l’Université Laval de reconnaître ses erreurs et de lever immédiatement la suspension des chercheurs Patrick Provost et Nicolas Derome.
1. Enjeux éthiques de la pandémie de COVID 19 : précaution et déconfinement, Gouvernement du Québec, 2020.
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Signataires par ordre alphabétique :
Claudine Allen, Professeure , Département de physique, de génie physique et d’optique, Université Laval
Guillaume Blum, professeur agrégé, École de design, Université Laval
Olivier Boiral, Professeur titulaire, Université Laval
Yv Bonnier Viger, Médecin spécialiste en santé publique et médecine préventive, Directeur régional de santé publique de la Gaspésie et des Îles et Professeur, Département de médecine sociale et préventive, Faculté de médecine, Université Laval
Pierre-Léo Bourbonnais Ph.D ing., Associé de recherche et chargé de cours, Polytechnique Montréal
Gilles Bronchti, Professeur titulaire, Département d’anatomie, Université du Québec à Trois-Rivières et président du syndicat des professeures et des professeurs de l’UQTR
Julien Bureau, professeur en sciences de l’éducation, Université Laval
Bonnie Campbell, Professeure émérite, Département de science politique, Université du Québec à Montréal
Karine Collette, professeure en analyse de discours, Université de Sherbrooke
David Conciatori, Professeur agrégé, Département de génie civil et de génie des eaux Université Laval
Alain Deneault, Université de Moncton
Daniel Desroches, professeur de philosophie, Collège Lionel-Groulx
Philippe Dubé, Professeur associé, Département des sciences historiques, Université Laval
Myriam Ertz, professeure de marketing, Université du Québec à Chicoutimi
Marie Fall, Professeure de géographie et coopération internationale, UQAC
Jean-Sébastien Fallu, Ph.D., Professeur à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal
Louis Favreau, sociologue, professeur émérite, Université du Québec en Outaouais
Bernard Fruteau de Laclos, MD, professeur agrégé, faculté de médecine, Université Laval
Caroline Gagnon, Professeure titulaire, Université Laval
Jocelyn Gagnon, Professeur titulaire, spécialiste de l’efficacité de l’intervention en éducation physique et sportive, Université Laval
Laurence Guillaumie, PhD, Professeure agrégée, Faculté des sciences infirmières, Université Laval
Audrey Groleau, Ph.D., Professeure titulaire, Département des sciences de l’éducation, Université du Québec à Trois-Rivières
Alain Goupil, professeur, département de mathématiques et d’informatique, UQTR
Pierre J. Hamel, INRS
Claudine Jouny, enseignante en soins infirmiers au collégial
André Joyal, 4 fois vaccinés, professeur associé à l’UQTR
Amir Khadir, MD, Microbiologie médicale-infectiologie, Hôpital Le Gardeur
Caroline Laberge, médecin de famille, professeur de clinique Université Laval
Marie France Labrecque, Professeure émérite, anthropologie, Université Laval
Paul-André Lapointe, Professeur, Département des relations industrielles, Université Laval.
Frédéric Lasserre, professeur, département de géographie, Université Laval
Hélène Makdissi, professeure titulaire - Université Laval
Sylvain Marois, Chargé de cours, Département des Relations industrielles Doctorant en Relations industrielles, Université Laval
Jean Michaud, professeur d’anthropologie, Université Laval
Louise Morand, Ph.D. Éducation, U. McGill
Normand Mousseau, professeur de physique, Université de Montréal
Patrick Mundler, Professeur titulaire, faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation, Université Laval
Paul H. Naccache, Professeur titulaire (à la retraite), Faculté de médecine, Université Laval
Dr Jean-Baptiste Paolini, Anesthésiologiste CIUSSS-NIM, Chargé d’enseignement clinique à l’Université de Montréal
Jean Paradis, retraité Directeur général du Collège d’Alma
Lise Parent, professeure en sciences de l’environnement, Université TÉLUQ
Madeleine Pastinelli, professeure titulaire, Département de sociologie, Université Laval
Chantal Pouliot, professeure de didactique des sciences, Université Laval
A. Hadi Qaderi , Enseignant en science politique au Cegep de Saint-Jérôme
Christophe Reutenauer, professeur de mathématiques, UQAM
Dany Rondeau, professeure de philosophie et d’éthique, Université du Québec à Rimouski
Alain Rouleau, Professeur émérite, UQAC
Daniel R. Rousse, Professeur titulaire, Département de génie mécanique, ÉTS
Jean Philippe Sapinski, Professeur d’études de l’environnement, Université de Moncton
Bernard Saulnier, ing.
Lucie Sauvé, professeure émérite, Institut des sciences de l’environnement, Université du Québec à Montréal
Catherine Simard, professeure en didactique des sciences, UQAR
Hugh Thomas, professeur de mathématiques, UQAM, et titulaire d’une chaire de recherche du Canada.
Pier-Luc Turcotte, erg. PhD, professeur adjoint, Université d’Ottawa
Louise Vandelac, Ph.D. Professeure titulaire, Département de sociologie et Institut des sciences de l’environnement, UQAM