Chronique|

La balle de baseball qui a propulsé les Nordiques

Le journaliste Stéphane Turcot au Stade municipal du parc Victoria. 

CHRONIQUE / Une toute petite balle de baseball. C’est tout ce que ç’a pris pour soulever la foule du Stade municipal du parc Victoria de Québec, il y a 50 ans.


C’était le 11 juillet 1972 et le héros national des Québécois, Maurice Richard était sur le monticule quelques minutes avant un match entre les Carnavals de Québec, club-école des Expos de Montréal dans la Ligue Eastern, et les Pirates de Sherbrooke. 

Un lancer protocolaire plus tard et tout le monde était debout pour lancer un immense cri d'amour au Rocket. Une ovation monstre de plusieurs minutes à la hauteur de celles qu’il recevait durant sa fabuleuse carrière de joueur au Forum de Montréal. 

Une larme a coulé sur sa joue et bourru comme il était, l’ancien numéro 9 du Canadien a repris son sang-froid entouré de plus de 5000 spectateurs en liesse. «Je crois que les Québécois ont oublié ce qui est survenu il y a 10 ou 15 ans», a murmuré Maurice Richard à l’un de ses voisins.

C’est cette preuve d’amour du public de Québec qui a convaincu le Rocket d’accepter le poste d’entraîneur-chef de la nouvelle équipe des Nordiques, qui s’apprêtait à faire son entrée dans l’Association mondiale de hockey (AMH).

L’ancien numéro 9 confiera quelques jours plus tard que la réaction des gens de Québec lui a validé qu’il pouvait accepter l’offre que lui avait déposée Marius Fortier et Maurice Filion quelques jours plus tôt. «Jamais je n’aurais accepté le poste si l’accueil des Québécois avait été défavorable, expliquera-t-il au magazine Sport Illustré. Dès cet instant, j’ai pris ma décision. Je serais instructeur pour les Nordiques.»

Le stratagème avait été monté de toutes pièces par Marius Fortier, près de deux semaines après avoir rendu visite à l’ex-légende et sa femme Lucille à leur domicile du quartier Ahuntsic à Montréal. John Ferguson et Phil Goyette venaient de refuser le poste d’entraîneur de la nouvelle équipe professionnelle de la capitale et Jean Béliveau en avait fait de même pour le poste de gérant.

Pendant que Maurice Richard et Maurice Filion jasaient au salon, Fortier avait suivi la femme du Rocket dans la cuisine et s'était assuré de sa complicité pour tenter de le convaincre, elle qui disait s’ennuyer du hockey. Au retour du couple de ses vacances à Wildwood, dans l’État du New Jersey, son mari n’était plus complètement fermé à l’idée de diriger les futurs Nordiques…

— Je n’ai jamais joué à Québec, moi! disait-il, s’inquiétant de la réaction des partisans de la capitale.

— C’est pas grave, y a pas de problème, le monde t’aime, Maurice. Et on va te le prouver, lui avait répondu Fortier, l'un des pères fondateurs des Nordiques.

Ce dernier est sauté sur le téléphone pour lui organiser une sortie de baseball, au Stade municipal, où Maurice Richard pourrait constater que Québec avait oublié les accrochages du passé.

Un long historique

Couverture du magazine <em>Sport illustré</em> en 1972.

En 1952, Maurice Richard n’avait pas digéré que la foule du Colisée, massivement rangée derrière les Citadelles de Jean Béliveau, hue son jeune frère Henri, évoluant pour les Canadiens juniors, dans un match de la Ligue junior A du Québec. Le numéro 9 du Club de hockey Canadien avait répliqué, par la bouche de ses canons dans l’hebdomadaire Samedi-Dimanche, invitant même Béliveau à fuir Québec pour Montréal plutôt que de continuer de se produire dans un «Colisée de fanatisme et d’ignorance du jeu de hockey».

Le journaliste et chroniqueur de La Presse, Philippe Cantin, raconte en moult détails l’accrochage entre le Rocket et Québec dans son livre, Le Colisée contre le forum : mon histoire du hockey, où il cite de nombreux passages de la chronique assassine du joueur vedette des Canadiens. La sortie controversée de Maurice Richard rebondira même à l'Assemblée nationale et à l'Hôtel de Ville de Québec.

«Mon accusation peut paraître dure mais demandez à n’importe quel joueur professionnel senior ou junior qui a pris part à une joute au Colisée de Québec, avait-il écrit. On vous répètera que les gants de là-bas vous tirent des sous, des marbles et des morceaux de bouteilles à plein sling-shots, vous frappent de toutes sortes d’instruments si vous patinez le long des clôtures et, surtout, vous abreuvent des injures les plus personnelles. Si le joueur visiteur se plaint à la police ou aux dirigeants des clubs locaux, on vous réponds : “Oh! N’en faites pas de cas… c’est la gang de Saint-Sauveur.»

Dix ans plus tard, en 1962, l’un des fils de Maurice, Normand, sera même hué par la foule du Colisée lors du prestigieux Tournoi international de hockey pee-wee, autre geste que ne digèrera pas le Rocket.

Un point tournant

L’embauche de Maurice Richard comme entraîneur-chef, en juillet 1972, a été un véritable coup de circuit pour les Nordiques. Les médias du monde entier se sont emparés de la nouvelle, donnant une crédibilité à la nouvelle équipe de Québec. 

Son contrat de trois ans, à 40 000 $ par saison, ne durera que le temps des roses car à bout de nerfs, le Rocket finira par démissionner après deux parties, ne se sentant pas à la hauteur du défi. Le reste appartient à l’histoire, comme on dit. Les Nordiques ont fait le saut dans la LNH en 1979, avant de déménager au Colorado en 1995.

Où est passée la balle?

Revenons à ladite balle, du lancer protocolaire effectué par Maurice Richard le 11 juillet 1972.

C’est le journaliste sportif de TVA Québec, Stéphane Turcot, qui en est le propriétaire depuis plus d’une vingtaine d’années. Elle lui a été donnée en cadeau par Georges Maranda, un ancien joueur des Majeures — avec les Giants de San Francisco et les Twins du Minnesota — dans les années 1960. Maranda, comme employé des Carnavals au début des années 70, possédait le souvenir depuis le fameux 11 juillet 1972.

Au tournant des années 2000, se sachant atteint du cancer, l'ancien artilleur de Québec avait invité le journaliste à la maison, lui qui avait réalisé quelques reportages télé sur sa carrière au fil des ans.

Passionné de baseball, Stéphane Turcot se souvient très bien de leur dernière rencontre : «Il m’avait dit qu’il voulait me la donner [la balle] car il savait que ça aurait une grande signification pour moi, que je n’essaierais pas de la revendre. J’avais accepté et ça m’avait beaucoup touché. Il est décédé quelque temps plus tard.»

C’est le journaliste sportif de TVA Québec, Stéphane Turcot, qui est le propriétaire de la balle lancée par Maurice Richard, et ce, depuis plus d’une vingtaine d’années.

L'objet de collection, autographié par Maurice Richard, vaut «cher» aux yeux de Turcot, qui ne se considère pas comme un grand collectionneur pour autant. «Je me dis que cette petite balle-là a réussi à convaincre un des plus grands joueurs de l'histoire [du hockey] à diriger les Nordiques, note-t-il. C'est un moment important de l'histoire du sport à Québec et je suis bien content de l'avoir.»

Le journaliste et amoureux du sport avoue s'être déjà fait plaisir, s'envoyant la balle avec son fils Philippe. «On s'est lancé un petit peu, mais pas longtemps, sourit-il. On a fait quelques lancers et ensuite j'ai dit : “Ok, on va prendre une autre balle!’’ Je ne voulais pas qu'elle ait une marque de gazon ou quelque chose du genre.»

Turcot, un collègue respecté du milieu journalistique, conserve la précieuse balle dans une bibliothèque à la maison, à la vue de tous. Il n'a aucune intention de la vendre et entend léguer l'artéfact à ses enfants. 

On peut donc affirmer que cet objet marquant de l'histoire des Nordiques de Québec est entre de bonnes mains. 

Comme il y a 50 ans...

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Je termine cette chronique en vous lançant une invitation. Si vous possédez des articles souvenirs marquants de l'histoire du sport, je suis intéressé à connaître vos belles histoires.