Éviter de rendre le jardinage compliqué pour le commun des mortels, c’est justement la mission que s’était donnée Larry Hodgson lorsqu’il a commencé sa carrière de chroniqueur horticole au Soleil, au début des années 1980. Depuis, ils sont des centaines de milliers à suivre assidûment ses conseils, dans notre édition du samedi et sur son blogue, afin de comprendre pourquoi leur pommier ne fleurit pas et comment faire pour se débarrasser de ces étranges pucerons qui ont envahi leur potager.
Or, la carrière du «jardinier paresseux», comme il s’est autoproclamé à ses débuts, tire à sa fin. Pas seulement sa carrière, son existence tout court. Il y a deux semaines, il a annoncé que la fibrose pulmonaire, dont il a été diagnostiqué il y a six ans, lui laisse peu de temps à vivre. La maladie gagne inexorablement du terrain.
«Il me reste des semaines, des mois, c’est difficile à dire», confie-t-il au Soleil, dans une respiration légèrement saccadée. «Je présume que je vais être capable de travailler jusqu’au jour de ma mort ou à peu près.»
Aller jusqu’au bout
En ce début d’après-midi ensoleillé, entouré de ses fleurs et de ses plantes qui peuplent son arrière-cour dans un désordre ordonné, Larry Hodgson n’emprunte pas un ton larmoyant face à cette fatalité. À 68 ans, il savoure plutôt la chance qu’il a eue d’accomplir son rêve de «partager [ma] passion pour l’horticulture avec le plus grand nombre». Dans une entrevue à Radio-Canada, cette semaine, l’animatrice Isabelle Craig l’a présenté à juste titre comme «le Ricardo de l’horticulture».
«Je savais ce que je voulais faire et j’allais le faire, voilà, c’est comme ça. Je suis allé jusqu’au bout», explique celui qui avait quitté un emploi à la Croix-Rouge, à l’époque, pour devenir chroniqueur horticole. À force de travail, le jeune Ontarien à l’accent à couper au couteau s’est forgé une réputation avec laquelle il n’a jamais voulu s’enfler la tête.
Quand on lui demande la raison de sa popularité, Larry Hodgson avance d’ailleurs son souci de rester ce qu’il est, lui, un autodidacte.
Un blogue très populaire
Autour du patio où se déroule l’entrevue, que de la verdure, on s’en doute. Ici, un pommetier ornemental, un lilas, un érable rustique du Japon. Plus loin, des némésies et des lantanas. Le gazon, très peu pour lui, il n’aime pas tellement.
Sa conjointe Marie, discrète, lui apporte un verre d’eau. Elle voit à ce que l’appareil respiratoire auquel il est relié en permanence fonctionne bien. Le fil d’une cinquantaine de pieds lui permet d’avoir une certaine autonomie et de se rendre jusqu’à son plant de renouée polymorphe, sa fleur favorite, qui pousse sur le côté de la maison.
«Je ne fais plus que marcher, pas vite et pas loin parce que je suis vite essoufflé, avoue-t-il. Mes poumons se meurent. Les cellules que je perds ne sont pas remplacées. Quand c’est perdu, c’est perdu, il me faut donc en faire le moins possible.» Chaque matin, il s’astreint à avaler une poignée de comprimés et de médicaments.
Malgré le mal qui l’afflige, il tient à garder contact avec ses lecteurs et alimenter quotidiennement son blogue qui atteint l’achalandage «hallucinant» de 8,5 millions de visites. Soucieux de perpétuer son héritage, son fils Mathieu a pris la relève. Sa belle-fille fait dorénavant le tri de la centaine de courriels qu’il reçoit chaque jour. Le sexagénaire se désole de ne plus être capable de répondre à tout le monde.
«Je vais continuer à écrire pour Le Soleil tant que je vais être capable, mais je ne sais pas quand. Écrire c’est facile pour moi, c’est bouger qui est plus compliqué. Je peux passer huit ou neuf heures par jour à mon ordinateur. Je commence à quatre heures le matin.» Un livre, son 65e en carrière et «le dernier d’après moi», devrait sortir le printemps prochain.
Visite aux Mosaïcultures
Maladie ou pas, Larry Hodgson ne voudrait rater pour rien au monde les Mosaïcultures qui se déroulent jusqu’à l’automne au parc du Bois-de-Coulonge. Il s’y rendra en chaise roulante, avec son désormais indispensable respirateur. Sa dernière émission à Télé-Mag devait d’ailleurs être enregistrée à cet endroit, mais son hospitalisation à l’hôpital Laval, pendant six jours, est venue bouleverser ses plans.
«Pour moi, c’est une grosse affaire. Il y a toutes ces marches à descendre et à remonter [devant sa demeure], mais il faut que j’y aille. Je veux voir de quoi ça a l’air.»
Il se désole que l’événement ne laisse aucune trace après sa fermeture. Même s’il n'a pas encore pu l’admirer en personne, il aimerait que la pergola végétale, érigée sur le site de l’ancienne demeure du lieutenant-gouverneur, refleurisse chaque belle saison.
Apprendre à ralentir
Pour le temps qui lui reste, outre l’importance pour lui de faire œuvre utile par son travail, Larry Hodgson continuera à lire. Il a encore tant à savoir sur «des fleurs qui n’avaient pas de noms», comme dans la chanson de George Moustaki, il y avait un jardin.
Sa soif d’apprendre, «épouvantable», demeure intacte. Il s’émerveille de la découverte récente de ce philodendron d’Amazonie dont les graines flottent sur l’eau et qui attendent la montée des eaux pour aller prendre racine aux branches des arbres. «Si j’ai encore de la matière pour écrire? Ah, ça oui! J’en trouve toujours plus, plus, plus.»
La nature, les fleurs et les plantes lui ont beaucoup appris. D’abord et surtout, la vertu de la patience. Une marguerite ne poussera pas plus vite si vous tirez dessus. Une maxime que l’homme devrait apprendre à mettre en pratique, croit-il.
«Peu à peu à la fois, c’est comme ça qu’on devrait être. Apprendre à ralentir, à décrocher. Arracher les mauvaises herbes dans sa vie, c’est très thérapeutique aussi...