Les stationnements pris d'assaut dans le Vieux-Québec

La saison touristique est bien lancée, après les deux dernières longues fins de semaine. Des commerçants et hôteliers l'observent par des ventes et un taux d'occupation en hausse, des résidents du Vieux-Québec le constatent quant à eux par le nombre de tours du quartier qu'ils doivent faire avant de parvenir à dénicher le «Saint-Graal»: un espace de stationnement.

Avec le retour du beau temps et le lancement du Festival d'été, les visiteurs et les touristes prennent d'assaut le Vieux-Québec... et les stationnements réservés aux résidents. «Le casse-tête recommence!»


La saison touristique est bien lancée, après les deux dernières longues fins de semaine. Des commerçants et hôteliers l'observent par des ventes et un taux d'occupation en hausse, des résidents du Vieux-Québec le constatent quant à eux par le nombre de tours du quartier qu'ils doivent faire avant de parvenir à dénicher le «Saint-Graal»: un espace de stationnement.

Les places gratuites pour se garer sur rue sont une denrée rare dans ce secteur patrimonial. Plusieurs rues interdisent le stationnement, ailleurs, quelques parcomètres sont disponibles. Sur d'autres artères, la signalisation ne permet qu'aux détenteurs de vignette d'y laisser leur voiture. Ces cases réservées se font toutefois souvent «approprier» par des visiteurs en quête d'une place libre, à proximité des attraits touristiques. Le tout sans avoir à sortir le portefeuille, signale Michel Masse, président du Comité des citoyens du Vieux-Québec. 

Pourtant, les parcs de stationnement publics sont nombreux, pointe-t-il. Une courte recherche sur le site web de la Ville de Québec permet d'en recenser plus d'une vingtaine dans le quartier Vieux-Québec—Cap-Blanc—Colline Parlementaire. Même si bon nombre permettent d'accéder à la portion intra-muros à distance de marche, «les gens souvent ne veulent pas payer. Aussitôt qu'ils voient un espace, ils se tirent dedans et ne se posent pas de question», dit-il.

Michel Masse, président du Comité des citoyens du Vieux-Québec. 

Et pour preuve, le week-end dernier, la «folie» s'est emparée des stationnements. Michel Masse rapporte avoir compté à proximité de chez lui d'«innombrables véhicules» sans vignette, occupant pourtant des espaces identifiés comme tels. Sur la côte de la Montagne, par exemple, cinq des sept espaces destinés aux résidents étaient utilisés par des voitures sans vignette.

La problématique se ressent aussi sur d'autres voies comme les avenues Sainte-Geneviève, Saint-Denis et la rue des Remparts. Durant le dernier week-end, M. Masse a fait appel au 9-1-1 à deux reprises pour signaler des infractions de stationnement. Il dit aussi faire fréquemment de la «sensibilisation» auprès d'automobilistes ignorants de la signalisation en vigueur ou dont le véhicule bloque un trottoir ou une entrée privée.

«Ce n'est pas normal que le citoyen soit obligé d'appeler la police la fin de semaine pour faire respecter la réglementation. Il ne faudrait pas que ça devienne une habitude», regrette-t-il. Si la situation se produisait en banlieue, compare une autre citoyenne, «c'est comme si des touristes se stationnaient dans votre driveway».

Beaucoup plus de vignettes que de places

Avec des hôtels bondés pour le retour sur les plaines d'Abraham des spectacles à grand déploiement du Festival d'été de Québec, qui accueilleront pendant douze jours des dizaines de milliers de festivaliers, des citoyens du Vieux-Québec craignent que le phénomène ne s'accentue.



À l'aube du lancement des festivités, Michel Masse s'est présenté, au nom de ses voisins, devant les élus du conseil municipal pour les presser de trouver une solution afin de leur éviter de revivre la «chaise musicale» pour une énième saison.

Parce que le problème, bien qu'il a pris une «petite pause» avec la pandémie et les interdictions de voyager, n'est pas nouveau. C'est que la Ville de Québec délivre «beaucoup plus» de vignettes aux résidents qu'elle ne compte d'espaces désignés pour accueillir les détenteurs. Entre trois et quatre fois plus, selon les citoyens contactés par Le Soleil

Certains rapportent même de la «fraude» lors du renouvellement des vignettes par Internet. Anik Demers-Pelletier a vu des voisins soudoyés par des gens qui désiraient utiliser leur adresse sur leurs comptes dans le but d'obtenir une vignette. Il arrive aussi que d'autres résidents, qui disposent d'un stationnement personnel, le louent et achètent une vignette pour leur propre véhicule, donne-t-on en exemple.

«C'est déjà un casse-tête si on a accès à tous les stationnements, alors imaginez-vous quand on est envahis!» décrie Sonia Plourde. De nombreux travaux sur rue «amputent» aussi des espaces, déplorent des résidents. Cette mère de quatre enfants, qui demeure dans le quartier depuis 13 ans, en sait quelque chose. 

«Ça se complique d'année en année», soutient Mme Plourde, d'avis que la multiplication des locations touristiques de type Airbnb dans les environs n'est pas étrangère à un problème «exacerbé». Lors de belles soirées d'été, elle peut mettre jusqu'à 20 minutes à «tourner en rond», à la chasse d'une case de stationnement. Souvent, même, elle se résigne à payer un parcomètre.

«Il y a des avantages à vivre dans chaque quartier. Le Vieux-Québec ne devrait pas faire exception. Le fait de vivre dans un quartier populaire et envahi ne devrait pas nous enlever le peu d'espaces et de privilèges qu'on a», estime la mère de famille. 

Tolérance «excessive» des délinquants

Ils sont d'ailleurs plusieurs à juger que les voitures immatriculées d'une autre province ou d'un autre État bénéficient généralement davantage de «privilèges» que celles des citoyens locaux. En entrevue avec Le Soleil, la perception d'une «tolérance excessive» à l'endroit des visiteurs a été soulevée presque à l'unanimité. 

«Est-ce que c'est parce qu'on veut leur offrir une belle expérience à Québec? On ne sait pas, mais on voit rarement des contraventions sur les pare-brise sans vignette», s'interroge Sonia Plourde.

«On comprend que la Ville, si elle donne un ticket, elle n'est pas capable de percevoir l'argent par la suite et que ça génère de la paperasse administrative», présume pour sa part Sophie Bélanger.

Un constat d'autant plus frustrant, d'après Anik Demers-Pelletier, alors que la Ville n'adopte «aucune» tolérance envers les résidents. Une voiture stationnée sur les quatre clignotants le temps de rentrer les achats de l'épicerie est passible d'un constat d'infraction, témoignent plus d'un.

Déménager ou rester?

«Comprenez-nous bien», avisent des citoyens. La question n'est pas de bannir les visiteurs près de chez eux, au contraire. «On est prêts à être conciliant», assurent-ils. «Mais entre la volonté de recevoir des touristes et celle de garder des résidents, ça prend des incitatifs.»

Depuis la campagne électorale, l'équipe de Bruno Marchand partage son intention de repeupler le quartier historique, déserté au fil des ans. La conseillère municipale du district, Mélissa Coulombe-Leduc, espère «améliorer la qualité de vie» de la population y qui demeure toujours et qui s'y installera.

Il faudra, pour ce faire, s'attaquer rapidement aux enjeux de stationnement, urgent des résidents actuels. Déjà, dans le voisinage, des déménagements ont eu lieu pour cette raison dans un passé récent, confirme Michel Masse, du Comité des citoyens du Vieux-Québec.

«La question se pose», affirme Sophie Bélanger au sujet de l'idée de déménager, après plus de 10 ans dans le secteur. «On habite dans l'un des plus beaux quartiers, mais on sent que la Ville pellette par en avant».

De potentielles solutions «rapides» pour soulager la «pression» des stationnements existent pourtant. Et elles ne passent pas par une signalisation anglophone, comme suggérée par quelques-uns, rejette-t-il. «On nous sert l'argument que les gens qui viennent de l'extérieur parlent anglais et ne comprennent pas. La signalisation est normalisée, c'est la même partout en Amérique du Nord. Le P, en anglais ou en français, c'est le même.» M. Masse parle plutôt d'augmenter, sans «placarder», la signalisation dans des rues problématiques et de faire davantage de promotion des transports en commun. 

Mais la première étape, s'entendent les résidents, serait d'abord de veiller à faire respecter la réglementation. Cela passe par plus de préposés au stationnement, principalement la fin de semaine. «Si on n'en a pas pour faire la discipline, il n'y aura pas de conséquences. Le point chaud, c'est dans le Vieux-Québec», réclame Mme Bélanger. 

Un stationnement de «débordement» gratuit pour résidents, un Vieux-Québec piéton et l'ajout de navettes sont d'autres alternatives, énumère-t-on. 

Consultation à l'automne

Parlant d'une «problématique extrêmement importante» pour le Vieux-Québec, la conseillère municipale de Cap-aux-Diamants, Mélissa Coulombe-Leduc, promet de s'attaquer au chantier du stationnement en priorité. Pour connaître «tous les irritants» en lien avec le stationnement, elle prévoit cet automne une consultation auprès des résidents, mais, dans l'intervalle, dit s'être assurée «qu'on fasse respecter la réglementation en vigueur». «Ce sera un baume sur cet irritant qu'est le stationnement en attendant de trouver des solutions plus pérennes», a-t-elle déclaré lors de la dernière séance du conseil municipal.

Tantôt saluée, la «bonne volonté» de l'administration Marchand est pour d'autres synonyme d'un report des «actions concrètes». La perspective d'une nouvelle consultation «exaspère». «Ça nous enlève quand même notre été, ajoute Sonia Plourde. Il faut qu'il se passe quelque chose». 

L'équipe de Bruno Marchand est en place depuis huit mois, mais «aucun geste concret n'a été posé», déplore Anik Demers-Pelletier. «Il lui reste encore trois ans pour faire quelque chose, elle a le temps, tempère Sophie Bélanger. Mais le temps n'a pas la même valeur pour nous, quand on vit ça quasiment au quotidien».

En attendant, «on espère juste que ça ne fera pas fuir d'autres résidents», redoute-t-elle.