On ignore quand exactement, mais il semble acquis que ça date de très longtemps et que cette connaissance était pratiquement universelle. Entre 1500 et 2000 avant notre ère, des textes anciens montrent que les Égyptiens comprenaient très bien le rôle du sexe dans la procréation. D’autres textes sumériens de la même époque décrivaient la relation sexuelle d’un prêtre avec une prêtresse comme un moyen de favoriser la fécondité au sein d’une communauté, et l’on trouve des preuves écrites du même genre partout dans le monde antique, lit-on dans un chapitre de livre que deux médecins américains, William D. Petok (Université Thomas Jefferson) et Arik V. Marcell (Université John Hopkins), ont publié cette année sur l’histoire de nos connaissances sur la sexualité.
Or au-delà des preuves écrites, il est absolument certain que l’humain avait compris le lien sexe-reproduction bien avant l’invention de l’écriture. «Les humains ont commencé à délaisser la vie de chasseurs-cueilleurs pour devenir fermiers il y a 10 à 12 000 ans. Le croisement des animaux et des plantes en vue d’obtenir des traits particuliers, pour avoir de meilleures récoltes ou plus de lait, n’était possible que si les premiers fermiers connaissaient l’existence de la pollinisation et de l’accouplement», rappellent Drs Petok et Marcell.
Et en effet, dès les débuts de l’agriculture et de l’élevage, on observe une sélection pour certains traits qui a laissé des traces génétiques, selon une revue de la littérature scientifique sur le sujet parue en 2019 dans BMC – Biology. D’après une étude récente qui a analysé le génome de quatre chèvres pré-domestication ayant vécu il y a jusqu’à 50 000 ans avant aujourd’hui, et de 47 chèvres domestiques anciennes, quelques gènes semblent avoir connu une «micro-évolution rapide» — certains étaient liés à la pigmentation, possiblement parce que les premiers éleveurs voulaient repérer ou reconnaître leurs animaux rapidement, d’autres à la taille, à la reproduction et au comportement.
Il faut donc, logiquement, que l’humanité ait compris le rôle de la sexualité AVANT l’invention de l’agriculture et de l’élevage, sans quoi ils auraient été incapables de sélectionner certains traits. Le «déclic» a donc dû se faire quelque part au cours de notre passé de chasseurs-cueilleurs. Mais quand, au juste ? Ça n’est pas clair en ce moment, et il est bien possible qu’on n’en ait jamais le cœur net. On sait que nos ancêtres ont commencé à multiplier les représentations de sexualité et/ou de fécondité il y a entre 20 000 et 35 000 ans. C’est l’époque d’où proviennent la plupart de ces fameuses «Vénus», ces petites statuettes déterrées de sites archéologiques montrant des corps de femmes aux ventres, hanches, seins et vulves souvent très exagérés. On en a trouvé des dizaines un peu partout en Eurasie. Une interprétation possible est qu’elles représentaient des déesses de la fertilité, ce qui pourrait signifier que l’humain avait alors compris que l’acte sexuel menait à la procréation — mais c’est essentiellement spéculatif.
Notons tout de même plusieurs représentations de sexes masculins (souvent en érection) ont été trouvés dans les mêmes sites, aux mêmes époques, soulignent Drs Petok et Marcell dans leur texte. Alors il semblait se passer «quelque chose» de ce côté chez nos ancêtres chasseurs-cueilleurs de l’époque, mais on ne saura sans doute jamais ce que c’était.
Une chose qui est certaine, cependant, c’est qu’il ne faut pas faire remonter le lien sexe-bébé à trop loin en arrière. En regardant le comportement de certains primates, en effet, on pourrait être tenté de croire qu’eux aussi comprennent que le coït mène à la fécondation. Après tout, si les chimpanzés, gorilles et babouins mâles nouvellement arrivés dans un clan ont l’habitude de tuer les petits qui ne sont pas d’eux, cela ne signifie-t-il pas qu’ils «savent» ? Et, de là, que la prise de conscience remonte potentiellement à plusieurs millions d’années ?
Mais on aurait tort, avertissent les anthropologues américaines Holly Dunsworth et Anne Buchanan dans un texte paru en 2017 sur le site Aeon. D’une part, ces primates n’ont pas les facultés cognitives qu’il faut pour lier un geste avec des conséquences qui ne surviennent que plusieurs mois après. Et d’autre part, des études ont montré que ces mâles ont beaucoup moins de chance de tuer un petit s’accrochant à un femelle avec laquelle il se sont accouplés — même si le petit n’est pas d’eux. La réalisation du lien sexe-bébé semble vraiment être l’apanage de l’espèce humaine, dans sa «version» la plus moderne.
Cela dit, s’il est possible que le lien sexe-bébés ait été compris il y a 30 000 ans, les mécanismes derrière sont demeurés un mystère complet pendant très longtemps. Les Grecs anciens, par exemple, pensaient que le sperme avait le pouvoir de donner une forme au sang menstruel, et que c’était de cette manière que les femmes tombaient enceintes, lit-on dans le chapitre des Drs Petok et Marcell. Même au milieu du XVIIe siècle, le savant anglais William Harvey (1578-1657) a conclu au bout de nombreuses dissections animales que la vie prenait forme dans l’utérus et que les trompes de Fallope — qu’il appelait les «testicules féminins» — n’y jouaient aucun rôle.
On comprit peu de temps après que la contribution de la femme à la procréation était de fournir un œuf, mais il fallut encore 200 ans avant que le rôle du sperme ne soit éclairci. En 1677, le grand savant hollandais Antonie van Leeuwenhoek, considéré comme le père de la microbiologie, a observé son propre sperme sous un microscope et fit la première observation des spermatozoïdes (c’est d’ailleurs à lui qu’on doit ce mot), mais n’a pas deviné leur rôle. Ce n’est qu’au siècle suivant que l’on finit par lier le spermatozoïde et la fécondation de l’œuf, et il y eut même un long débat scientifique entre «ovaristes» et «spermistes» pour savoir lequel, de l’ovule ou du spermatozoïde, jouait le rôle principal dans la création de la vie. La question fut finalement tranchée dans les années 1870, avec la première observation directe de la fécondation d’un ovule par un spermatozoïde : match nul, les deux sont d’égale importance !
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