Quand j’ai entendu parler d’elle pour la première fois, j’étais franchement intrigué. Comment cette Française, spécialisée en restauration d’œuvres d’art et qui travaillait il n’y a pas si longtemps à Versailles, a-t-elle bien pu aboutir dans le secteur Grand-Mère de Shawinigan? Je me suis rendu à l’Atelier du Patrimoine où elle exerce son métier pour en discuter.
Blotti dans l’ancienne usine de l’Empire Shirt, l’atelier se fait bien discret. On ne trouve d’ailleurs aucune indication à l’extérieur de l’imposant bâtiment de briques. En franchissant le seuil de la porte, je suis entré dans un lieu qui, bercé d’une douce musique, transcendait le calme et la sérénité. À la vue des tableaux soigneusement rangés, j’avais la curieuse impression d’accéder à un endroit habituellement gardé secret. D’autant plus que cette entreprise m’était inconnue quelques jours auparavant.
Mais comment cette jeune globe-trotter aux yeux pétillants s’est-elle retrouvée ici? Lors de ses recherches pour trouver un nouveau lieu de stage en remplacement de New York, elle est tombée sur le nom d’Ann Marlène Gagnon, propriétaire de l’Atelier du patrimoine. Un atelier au Canada, tenue par une conservatrice-restauratrice de renom… l’occasion était trop belle pour la future diplômée. Elle, qui était tombée en amour avec le pays à l’occasion d’un voyage d’études à Victoria à l’âge de 15 ans et qui s’était promis de revenir y vivre.
Aujourd’hui, Lucile et Ann Marlène partagent une complicité et une confiance mutuelle évidentes. En plus de lui avoir offert un stage, puis un emploi, Ann Marlène a carrément pris la jeune restauratrice sous son aile, ce qui a grandement facilité son intégration à la région et à la pratique de son métier en sol québécois.
– Qu’est-ce qui t’a attiré dans ce domaine?
– Avec la restauration d’œuvres d’art, j’ai trouvé l’équilibre parfait entre deux de mes intérêts: les arts et les sciences.
Au fil de notre conversation, j’ai en effet été surpris de constater à quel point les sciences sont omniprésentes dans son quotidien. Alors que je m’attendais à discuter d’aspects purement esthétiques ou artistiques, il a plutôt été question de sujets tels que le processus de dégradation chimique des matériaux ou la polarité des solvants. J’en ai rapidement compris que c’est sous un regard scientifique que la restauration s’opère et que ce n’est surtout pas l’endroit pour se laisser aller à l’improvisation ou aux élans créatifs. «C’est ça le plus grand danger. Il ne faut jamais se prendre pour un artiste quand on restaure une œuvre.»
– Et le Québec, c’est un lieu intéressant pour travailler?
– Absolument. Au Québec, les gens n’ont pas peur de faire restaurer leurs tableaux. En France, les clients sont presque exclusivement des musées ou des galeries d’art, tandis qu’ici il y a aussi monsieur et madame Tout-le-Monde. Je dirais même que les gens prennent plus soin de leurs tableaux ici qu’en France.
C’est d’ailleurs le contact privilégié avec cette clientèle qui lui apporte la plus grande satisfaction. «Ce que j’aime le plus de mon métier, c’est quand je remets le tableau au client. De savoir que tu leur fais plaisir, c’est un sentiment vraiment agréable.»
Pour conserver un équilibre mental et physique, malgré ce travail minutieux et solitaire qui exige une concentration absolue durant de longues heures, Lucile a une solution infaillible: le plein air. D’ailleurs quand je lui ai demandé de me parler d’elle au début de notre rencontre, sa toute première phrase a été spontanément: «Je suis scoute!» Bien qu’elle ait cessé de pratiquer le scoutisme à l’âge de 20 ans, cette philosophie de vie est de toute évidence restée imprégnée en elle. À son grand bonheur, elle a trouvé dans la Mauricie le terrain de jeux idéal. «Hier, après des heures de retouches, j’avais besoin de me défouler, alors je suis allée jusqu’à Grandes-Piles en remontant la rivière Saint-Maurice en kayak.» Que ce soit à pied, à vélo ou en kayak, Lucile a bien compris l’importance de prendre soin d’elle, tout comme elle le fait quotidiennement pour les œuvres qui lui sont confiées.
Au départ, j’étais intrigué à savoir pourquoi Lucille s’était retrouvée à Shawinigan. La réponse était pourtant bien simple: pour l’amour du métier et du pays.