Au cœur de l’histoire, la vaccination contre la COVID.
À la suite d’une plainte déposée en janvier par un professeur de la faculté de médecine, un comité formé d’un avocat et de deux experts scientifiques a été mandaté pour enquêter sur des propos tenus par Patrick Provost, chercheur en biochimie, qui s’est entre autres prononcé contre la vaccination des enfants.
Le verdict est tombé le 14 juin, le comité a jugé que le professeur avait trompé le public et l’Université Laval l’a suspendu sans salaire pendant deux mois.
C’est énorme.
J’ai jasé lundi avec Yves Gingras, professeur d’histoire à l’UQAM et surtout membre de la Commission Cloutier qu’a mise sur pied le gouvernement Legault à la suite du scandale à l’Université d’Ottawa autour «du mot qui commence par n». Le mandat de la commission était précisément de trouver comment protéger cette liberté, la loi adoptée il y a deux semaines est née du rapport qu’elle a déposé.
M. Gingras est «scandalisé» par la sanction imposée par l’Université Laval. «C’est une intervention complètement déplacée. Même si je pense qu’il [Patrick Provost] se trompe sur certains points, ce qu’il a dit, il a le droit de le dire. Il y a un virage autoritaire dans certaines universités et des départements de ressources humaines qui se comportent comme des entreprises privées», déplore-t-il.
C’est l’avis aussi du Syndicat des professeurs de l’Université Laval, le SPUL, qui a déposé un grief dans le dossier de Patrick Provost.
Les professeurs d’université, rappelle M. Gingras, «sont des agents libres. Ce que les universités comprennent de moins en moins, c’est que la valeur d’un professeur, ce n’est pas juste le salaire, c’est sa crédibilité. Et s’il y a des erreurs dans son discours, ça doit se discuter par un débat.»
Par le choc des idées.
Ce n’est donc pas aux directions d’université, insiste-t-il, de se mêler de ce débat. Suffit d’aller lire les notes explicatives, au tout début de la Loi. «La loi définit le droit à la liberté académique universitaire comme le droit de toute personne d’exercer librement et sans contrainte doctrinale, idéologique ou morale une activité par laquelle elle contribue à l’accomplissement de la mission d’un tel établissement d’enseignement.»
Et la COVID, du point de vue du débat scientifique, est devenue une véritable camisole de force.
Yves Gingras parle d’«hystérie».
Vincent Beaucher, chargé de cours à l’Université de Sherbrooke et aussi président de la Fédération de la recherche et de l’enseignement universitaire (FREUQ) – qui ne représente toutefois pas les professeurs de l’Université Laval – estime aussi que l’institution a dépassé les bornes. «Je crois qu’il n’est jamais souhaitable ni avisé qu’une université inflige une sanction disciplinaire à un de ces enseignants lorsque cette sanction cadre dans un contexte de liberté académique. À moins qu’il s’agisse de propos diffamatoires, un enseignant universitaire qui s’exprime, entre autres, dans son champ de compétence et de connaissance ne devrait pas subir les foudres de son institution, même si ses propos sont déplaisants ou malaisants», a-t-il réagi par courriel.
Ça peut être une «arme à deux tranchants», prévient-il. «En agissant d’une manière qui semble, ou qui est, unilatérale et sans avertissement, [l’Université Laval] se met dans une posture de répression et envoie un message ambigu quant à l’importance qu’elle accorde à la liberté académique dans ses murs. […] C’est le genre de précédent qu’on ne voulait pas voir surgir, tout particulièrement après l’adoption d’une loi qui doit protéger et promouvoir la liberté académique en milieu universitaire…»
Yves Gingras va plus loin. «Il faut que les professeurs dénoncent publiquement ce qui se passe. Il y a des universités qui exigent que les profs signent des ententes de confidentialité et il y a des profs qui les signent. C’est ça, le danger actuel, il faut aller plus loin, il faut dénoncer ce qui se passe dans les corridors.»
C’est d’autant plus vrai pour l’Université Laval, qui a été une des premières à monter aux barricades pour défendre la liberté académique de Verushka Lieutenant-Duval qui avait été suspendue par l’Université d’Ottawa. «Il faut débattre de tout, prendre des risques, étudier et explorer des sujets difficiles, sensibles, voire controversés», avait alors réagi la rectrice Sophie D’Amours dans une lettre ouverte.
Cette fois, l’Université a préféré ne pas commenter la suspension sans salaire de son propre professeur.
Ce professeur, faut-il le mentionner, avait dénoncé publiquement une entente conclue entre l’Université Laval et le Port de Québec, qui avait exigé la «confidentialité absolue» sur la provenance du financement. «Il serait opportun que l’Université Laval et l’Administration portuaire de Québec corrigent leurs erreurs, clarifient les modalités de leur relation partenariale et rendent publique la nouvelle convention-cadre. Surtout si le Port de Québec est «un partenaire comme un autre» pour l’Université Laval.
L’Université Laval ne doit pas se contenter d’obtenir la note de passage à cette épreuve de reprise; elle doit suivre ses propres standards d’excellence, chercher à préserver son indépendance et faire la démonstration qu’elle n’est pas monnayable.»
J’ai demandé à l’UL s’il y avait des précédents, si d’autres professeurs avaient été suspendus si longtemps et, le cas échéant, pour quels motifs. L’«équipe des affaires publiques» m’a répondu : «L’Université Laval ne dévoile pas d’information concernant les dossiers personnels des employées et employés.»
Ce n’est pas ce que j’ai demandé.
Yves Gingras se souvient d’un seul cas, «il y a 15 ou 20 ans à l’École polytechnique d’un professeur qui avait critiqué l’institution.» Dans le texte publié dimanche du collègue Jean-François Cliche, le président du SPUL, Louis-Philippe Lampron, disait à juste titre que : «si on commence à dire : “là, on vous suspend pour deux mois parce que vous avez fait du cherry-picking, on n’a pas fini”.»
Et la liberté ne sera plus qu’une marque de yogourt.